G10 mobilité : aller de l’avant, vraiment ?

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Ce 31 mai 2024, le G101 publiait une déclaration commune intitulée « Allons de l’avant – Mobilité du futur ». Si Canopea adhère à plusieurs des recommandations formulées, nous nous interrogeons par contre sur de nombreuses autres, empreintes, à nos yeux, d’un dogmatisme certain et déconnectées des défis environnementaux présents et futurs.

Le document (18 pages) est structuré en dix points.

Les trois premiers points tracent le cadre dans lequel s’inscrivent les recommandations formulées dans les sept suivants. Dans le premier point (contexte), le G10 se limite à affirmer que la mobilité en Belgique est « préoccupante » et appelle à une meilleure gouvernance, une meilleure coordination entre les différents gouvernements du pays. Dans le second point, consacré aux objectifs poursuivis, sont exposées les préoccupations socio-économiques qui fédèrent les membres du G10. On y trouve – excellente surprise – l’affirmation suivante : « il est nécessaire d’éviter et de raccourcir les déplacements ». Affirmation toutefois tempérée, il est vrai, par un « le tout sans nuire à la compétitivité » portant sur l’ensemble des solutions envisagées. Dans le troisième point (gouvernance), rédigé sur le mode « auberge espagnole » (ainsi, chacun·e devra apporter sa propre définition de ce qu’est « un meilleur développement territorial »), le G10 rappelle quelques grands principes : analyse d’impact, mesure, contrôle de mise en œuvre – sans oublier, bien sûr, la simplification administrative.

Citoyens, travailleurs, marchandises

À nos yeux, le point fort de cette déclaration commune est sans conteste le quatrième. Y sont clairement exposées les vraies priorités en termes de transport public : qualité de l’offre, nœuds multimodaux, intégration des services des différents opérateurs, intégration tarifaire.

C’est dans le cinquième point (marchandises) que la divergence de vues entre partenaires sociaux et ONGs d’environnement commence à se faire sentir. Si la convergence est évidente quant à la promotion du transport ferroviaire, le lissage du trafic routier sur la journée (fluidisation) nous laisse dubitatifs. Nettement plus problématique à nos yeux est la demande du G10 d’accroître à 44 tonnes (contre 40 actuellement) la masse maximale autorisée des poids lourds pour le trafic transfrontalier entre États autorisant déjà les 44 tonnes sur leur territoire. Ce point constitue une poursuite de la politique du pied dans la porte que nous dénoncions en 2022.

Le plaidoyer en faveur de l’aéroport national, avec son parfum de recherche de la quadrature du cercle, est, hélas, simplement affligeant. Le G10 nous dit : « Il faut donc veiller à ce que cet écosystème économique soit facilement accessible (y compris pour les travailleurs concernés) par le biais d’un transport public / durable. » Il faut donc rendre accessible de manière durable le mode de transport le moins durable …

Infrastructures

Avec le point 6, consacré aux infrastructures, on assiste à un bel exercice d’équilibriste. Le G10 y ouvre la porte à l’accroissement du réseau routier sans que cela soit explicitement dit : « il est important d’élaborer des plans concrets de développement d’infrastructures (y compris les « charging and refuelling stations ») ou de renforcement/modernisation de celles-ci pour la mobilité de demain. ».

En matière de financement des infrastructures (point 7), le G10 promeut clairement les partenariats public-privé (PPP) dont il est malheureusement notoire qu’ils se font généralement (pour ne pas dire toujours) au bénéfice du secteur privé2 ou… qu’ils ne se font pas.

Fiscalité

C’est au point 8 (fiscalité) que la divergence de vues précédemment évoquée se fait fracture, fossé, gouffre… Et que pourrait bien résider sinon la du moins l’une des principales raisons d’être de cette déclaration commune … Car s’il y a divergence entre l’analyse de Canopea en matière de fiscalité et celle du G10, il y a totale convergence entre cette dernière et la « première priorité majeure » du mémorandum 2024 de MOBIA (alliance des fédérations FEBIAC, RENTA et TRAXIO). Et MOBIA porte, en ce domaine, le message de la FEBIAC qui, depuis une vingtaine d’années au moins, tente par tous les moyens possibles de faire supprimer la taxation des voitures à l’achat.

Mais commençons par le commencement de ce point 8. Le G10 semble avoir pour objectif premier d’améliorer la fluidité du trafic comme il le laisse entendre en soulignant que la fiscalité qu’il promeut « incite à mieux utiliser l’infrastructure dans le temps. » Il propose dès lors de s’orienter vers un système de redevance kilométrique variable selon certains critères. Ce système :

  • « matérialiserait le principe de l’internalisation des coûts externes ;
  • remplacerait les taxes liées à la possession, c.-à-d. la taxe de mise en circulation et la taxe de circulation. Elle serait applicable pour tous les véhicules (y compris étrangers) roulant sur le territoire. »

Dès lors que l’on désire internaliser les coûts externes, on devrait en toute logique revendiquer une augmentation de la fiscalité appliquée aux véhicules routiers. En effet :

  • selon l’étude de référence en la matière en Europe3, les coûts externes totaux du trafic routier en Belgique s’élevaient à 26,4 milliards d’euros en 2016 ;
  • selon les estimations de la FEBIAC, en 2016, la « productivité fiscale » des véhicules à moteur s’élevait à 18,771 milliards d’euros ;
  • soit un déficit de 7,2 milliards d’euros …
  • alors même que, pour établir son estimation, la FEBIAC fait feu de tout bois, allant même jusqu’à comptabiliser les « cotisations de solidarité » sur les voitures de société, ces cotisations relevant en fait de la fiscalité sur le travail et étant d’un niveau bien moindre à celui des cotisations dues sur du salaire versé en espèces4 …

Néanmoins, à notre connaissance, la volonté du G10 en la matière serait plutôt de ne pas augmenter la « pression fiscale » (ou la contribution au bien public pour le dire de manière plus positive) sur les véhicules à moteur. Ce qui est antinomique avec la volonté affichée d’internaliser les coûts externes.

Une autre faiblesse de l’argumentaire fiscalité du G10 réside dans la confusion entre les différents types d’outils fiscaux. En Belgique existent :

  • une fiscalité à l’achat, de compétence régionale : la taxe de mise en circulation (ou TMC) ; la TMC peut (sous certaines conditions) être utilisée par les pouvoirs publics pour aider les citoyen·ne·s à résister à la pression publicitaire et à opter pour des véhicules en adéquation avec leurs besoins réels de mobilité : des véhicules plus modestes, dont la construction requiert moins de matières premières, moins gourmands en énergie, moins dangereux pour les autres utilisateurs de l’espace public et moins chers à l’utilisation5 ;
  • une fiscalité à la possession, de compétence régionale également : la taxe de circulation annuelle (ou TC) ; la TC pourrait éventuellement pousser les citoyen·ne·s à sortir de la logique de possession pour s’orienter vers le partage de véhicules ; il n’y a cependant pas d’exemple d’utilisation de la TC à cette fin ; cette taxe a d’ordinaire une fonction strictement budgétaire ; vu le faible niveau de la TMC en Wallonie, il serait souhaitable d’opérer un glissement de la TC vers la TMC afin de rendre le signal-prix de cette dernière plus efficace ;
  • une fiscalité à l’utilisation, actuellement de compétence fédérale : les accises sur les carburants ; l’effet du prix des carburants à la pompe sur les comportements de mobilité est avéré : lors des périodes de forte augmentation, on observe un tassement de la consommation (conduite apaisée, covoiturage, meilleure gestion des déplacements) ; effet avéré mais faible toutefois et de courte durée : un effet d’habituation à des prix de carburants plus élevés s’installe rapidement et les vieilles habitudes reviennent tout aussi vite.

Ces trois types de fiscalité peuvent produire des effets différents – et tout aussi désirables les uns que les autres – en termes d’amélioration du bilan environnemental du transport. Il est donc indispensable de les considérer dans une logique de complémentarité – et il est dangereux de les présenter comme opposés, ce que font le G10 et MOBIA. Qui vont même, pour mieux simplifier le débat en le dualisant (possession contre utilisation), jusqu’à présenter la TMC, qui relève de la fiscalité à l’achat, comme une taxe « liée à la possession ».

La nécessité d’adopter une approche rationnelle, non dogmatique de la fiscalité des transports est d’autant plus criante dans le contexte actuel : l’électrification progressive du parc de véhicules à moteur va induire une diminution de la consommation de carburant – et donc une diminution des rentrées budgétaires associées (accises et TVA : en chiffres ronds, environ 6 et 2,5 milliards d’euros annuels respectivement). L’introduction phasée d’un prélèvement kilométrique pourrait ainsi se faire en parallèle de l’électrification. Mais les discussions risquent d’être ardues, le prélèvement étant de compétence régionale et les accises de compétence fédérale. Polluer cette indispensable réflexion sur la fiscalité à l’utilisation en voulant la mettre en balance avec les autres types d’outils fiscaux est irresponsable. Cette approche ne peut hélas s’expliquer que par la volonté de supprimer toute « entrave à la liberté » … de vendre des véhicules toujours plus lourds, plus puissants, moins respectueux.

Le G10 demande aussi des « incitants durables » et évoque des « soutiens suffisants pour promouvoir l’adoption de choix durables en matière de mobilité ». Est-il question de primes à l’achat de voitures électriques ou de soutiens financiers en faveur des déplacements domicile-travail effectués à pied et à vélo ? Le G10 reste flou, préférant manifestement laisser ouvertes toutes les portes. Flou aussi en ce qui concerne le budget mobilité : « Les interlocuteurs sociaux rappellent leur souhait de voir le budget mobilité être uniquement utilisé pour apporter une réponse aux défis en matière de mobilité auxquels notre pays est confronté (plus précisément, pour rendre la mobilité plus durable et favoriser la multimodalité). » Comprenne qui pourra.

Innovation

Pour le G10, « il est important de mettre en place un cadre encourageant l’innovation. » Il enchaîne en soulignant l’importance d’effectuer des tests et d’adapter la législation pour permettre le déploiement du nouveau concept ou de la nouvelle technologie si lesdits tests s’avèrent concluants. Les véhicules plus longs et plus lourds (VLL) font sans doute partie des éléments ayant motivé la rédaction de ce paragraphe … Mais les tests peuvent-ils ne pas être probants dès lors qu’ils sont effectués dans des conditions très (très) strictes ? Par ailleurs, un test probant sur le plan technique ne dit généralement rien ni de l’utilité sociale du développement technologique ni des effets induits, notamment sur les finances publiques (dans le cas des VLL : besoins d’adaptation des infrastructures).

À souligner, le G10 appelle aussi de ses souhaits la facilitation des innovations non technologiques, citant à ce titre les centres de distribution urbains et les livraisons par vélo-cargo.

Rôle et missions des partenaires sociaux

S’adressant aux autorités et opérateurs de transport, les partenaires sociaux demandent à être consultés sur les questions de transport, notamment celles abordées dans la déclaration commune. Ce qui appelle quatre remarques :

  • le G10 est indubitablement une source de connaissances en ce qui concerne les « habitudes, besoins et réalités des différents acteurs » ;
  • source de connaissances, le G10 l’est sans doute aussi sur d’autres questions telles que la fiscalité – mais des connaissances utilisées à des fins éminemment partisanes et donc peu susceptibles d’instruire utilement la décision politique ;
  • quant au contexte environnemental dans lequel devrait s’inscrire toute réflexion relative à une politique de mobilité durable, il nous semble pouvoir affirmer qu’elle réside plutôt dans les ONG d’environnement, lesquelles devraient dès lors être également consultées de manière systématique ;
  • les déplacements domicile-travail ne représentent que 19% des motifs des déplacements en Belgique, le premier motif étant les loisirs (31%) suivi des courses/services (25%)6 ; il est donc nécessaire de s’extraire du cadre de réflexion ayant prévalu ces dernières années et ayant conduit à l’adoption de nombreuses mesures centrées sur le domicile-travail et ne concernant donc qu’un cinquième des déplacements dans notre pays.

Aller de l’avant … vers le passé ?

Le G10 a pour ambition – c’est le titre de sa déclaration commune – d’aller de l’avant, vers la mobilité du futur. À la lecture de cette déclaration, le doute subsiste : le G10 nous recommande-t-il d’aller de l’avant à reculons ou de reculer en marche avant ? Ce qui est certain, par contre, c’est que la mobilité future appelée de leurs vœux par les partenaires sociaux ressemble étrangement, sur bien des points, à une version exacerbée de la mobilité des dernières décennies.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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  1. Le Groupe des 10 (G10) est composé de 5 représentants des organisations patronales (2 FEB, 2 Unizo, 1 UCM et 1 Boerenbond) ainsi que de 5 représentants des syndicats (2 CSC, 2FGTB et 1 CGSLB : https://emploi.belgique.be/fr/themes/concertation-sociale/niveau-interprofessionnel/accord-interprofessionnel-aip
  2. Voir à ce sujet la présentation courte et percutante du PPP « Diabolo » par Inter-Environnement Bruxelles : https://www.ieb.be/spip.php?page=impression&id_article=17803
  3. Commission européenne, Direction générale de la mobilité et des transports, Essen, H., Fiorello, D., El Beyrouty, K., et al., Handbook on the external costs of transport : version 2019 – 1.1, Publications Office, 2020, https://data.europa.eu/doi/10.2832/51388
  4. Voir notamment : https://www.canopea.be/voitures-de-societe-comment-vider-les-caisses-de-la-securite-sociale/
  5. Voir notamment : https://www.canopea.be/la-fiscalite-automobile-a-lachat-pour-reconcilier-fin-du-mois-et-fin-du-monde/ et : https://www.canopea.be/automobile-et-environnement-pour-une-fiscalite-efficace/
  6. SPF Mobilité et Transports. 2019. Enquête Monitor sur la mobilité des Belges