Rats, pigeons, renards… Un autre regard sur ces « nuisibles »

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Qui se souvient de ce fameux conte des frères Grimm : « Le joueur de flûte de Hamelin » ? Il débarrassa le village du fléau des rats, et pour cela on le remercia mille fois. Exterminons ces nuisibles qui salissent nos villes et mettent notre santé en danger ! Et débarrassons-nous des autres nuisibles aussi, par la même occasion : pigeons, hérissons, renards, chauves-souris, etc. Tous dehors, ou tous à mort !

Ce que le conte ne nous dit pas, c’est que les coupables désignés ne sont peut-être pas responsables des nuisances qui nous dérangent tant.

La présente analyse se propose de questionner la faune dite « nuisible », et, à travers elle, la place de la nature en ville. Réfléchir à la cohabitation entre toutes les espèces de la biodiversité urbaine, c’est remonter à l’origine et à la responsabilité de l’être humain dans la création et dans le maintien de cette cohabitation qui semble devenir problématique. C’est surtout regarder en face la responsabilité de l’être humain dans les dégâts environnementaux et sanitaires observés.

Biodiversité urbaine, de qui parle-t-on ?

Une partie de la faune composant la biodiversité urbaine est qualifiée de nuisible.

Difficile de définir les espèces nuisibles étant donné que, scientifiquement, ce terme n’existe pas. Il s’agit davantage d’un qualificatif attribué à certaines espèces par la société humaine. On parlera alors plutôt d’espèces non désirées, qui ne nous sont pas, ou plus, utiles. Mais non désirées en fonction de quoi ? Difficile encore une fois de s’arrêter sur une caractéristique fixe. En fonction des époques, des régions, des groupes sociaux concernés (professionnels ou non), les espèces comprises dans ce terme générique varient. Ainsi, alors qu’ils sont fortement appréciés sur notre canapé, les chiens sont des espèces non désirées dans certaines régions du monde. Dans d’autres, chez certains professionnels, ce sont les chats. Et ne parlons pas du loup qui lui, en fonction des décennies, change de statut.

On pourrait dire que, à notre époque, il existe des êtres vivants acceptés et acceptables socialement dans nos milieux urbains, telles que les espèces domestiquées et domesticables, pour l’essentiel. Les autres espèces doivent composer avec notre écosystème et son biotope fortement perturbé par l’urbanisation, les pollutions, etc.

Pour compliquer encore un peu le tableau, toutes les espèces vivant en milieu urbain ne sont pas « non désirées ». Ce statut officieux d’espèces non désirées concerne plutôt les espèces définies comme liminaires, c’est-à-dire à la marge, entre deux, ni vraiment sauvages ni vraiment domestiques, qui vivent en liberté dans cet espace proche et qui cohabitent avec nous.

Le mot nuisible va alors cibler des espèces, qui sont proches de nous sans pour autant être domestiquées, et plus particulièrement les espèces commensales à l’être humain, c’est-à-dire celles qui se nourrissent des déchets produits par ce dernier. Et elles sont nombreuses : pigeons, souris, renards, mouettes, chauves-souris, chouettes, corneilles, pies, rats, lapins, taupes, etc.

Nous proposons de porter notre regard plus particulièrement sur trois espèces : les rats, les pigeons et les renards Nous les avons choisies parce qu’elles sont communément les moins désirées en milieu urbain et qu’elles monopolisent l’attention de nombreux projets et campagnes dits « sanitaires ».

Les rats

Premiers sur la liste des espèces non désirées : les rats, qui englobent sous ce nom générique le rat brun (Rattus Norvegicus), le plus prisé des campagnes de dératisation, le rat noir (Rattus Rattus), le rat musqué (Ondatra zibethicus L) et les campagnols des champs (Microtus arvalis Pall). Bien qu’ils ne soient ni sauvages ni domestiques, mais hybrides, ils vivent à proximité des êtres humains et de leurs activités, jouissant d’une réputation déplorable et d’une image sanitaire tout aussi négative.

Les pigeons

En milieu urbain, on retrouve majoritairement les pigeons bisets (Colomba livia) perchés sur les reliefs des façades d’immeubles, sur les corniches et les faîtes de toits, dans les parkings, dans les gares, dans les locaux désaffectés. Les pigeons ramiers (Colomba palumbus) se posent plus volontiers dans les arbres des parcs et des jardins ou ceux qui bordent l’espace public. Outre leurs déjections, les nuisances acoustiques qu’ils génèrent font des pigeons des ennemis de la tranquillité urbaine.

Les renards

En troisième position vient le renard. Sa réputation est moins sinistre que celle du rat, sa présence moins salissante que celle des pigeons. A cause des prédations commises et des maladies auxquelles on l’associe, il reste tout de même craint.  

En quoi les rats, les pigeons et les renards seraient-ils nuisibles pour l’être humain ?

Le point commun entre ces trois espèces est la crainte des dégâts environnementaux qu’elles inspirent (par exemple, des déprédations sur les cultures, sur les potagers, sur les autres espèces, sur les bâtiments), mais, surtout et avant tout, sanitaires (physiques ou psychologiques) qu’elles pourraient occasionner dans nos sociétés urbaines. Faisons le point.

Des nuisances environnementales

La principale espèce de notre top trois à être concernée par les nuisances environnementales : les pigeons. En effet, via leurs déjections les pigeons peuvent dégrader des matériaux (ou enrichir un engrais pour les cultures, selon les visions) ; leurs plumes et résidus de nids peuvent boucher les gouttières. Toutefois ceci n’est pas propre aux pigeons et concerne l’ensemble des oiseaux que l’on peut retrouver dans nos villes. Là où les pigeons font la différence, c’est quant à leur nombre. Leur surpopulation et leur mode de vie en colonie augmentent les nuisances à un niveau local. Leur surpopulation n’est toutefois pas due à un exploit de l’espèce mais bien à une cohabitation de proximité avec l’être humain.

Le renard peut aussi avoir un impact dérangeant sur l’environnement puisqu’il urine sur les limites de son territoire et sur ses itinéraires, ce qui peut intoxiquer d’autres espèces. De manière plus anecdotique, il déplace des monticules de terre et, donc dévaste des espaces verts et des jardins. Il s’attaque également aux poules et aux lapins élevés en enclos à ciel ouvert. Finalement il éventre et saccage les poubelles entreposées sur la voirie.

En termes d’atteintes environnementales, les actions humaines liées à ces espèces ne sont pas à négliger. En effet, les biocides utilisés pour se débarrasser des rats sont à risque de contaminer notre environnement et ses prédateurs, touchant l’ensemble la chaîne alimentaire. Les rodenticides utilisés dans les campagnes de dératisation des égouts des villes par exemple peuvent être emportés en cas de forte pluie et contaminer ainsi les rivières et les organismes aquatiques en aval des stations d’épuration, comme cela a été le cas en Allemagne.

Des propagateurs de maladies ? – Les zoonoses

Les rats, les pigeons et les renards vivent au plus près de nous. La crainte qui persiste le plus dans l’imaginaire collectif est celle des maladies propagées par ces espèces dites « nuisibles ». Le partage d’espaces communs pourrait favoriser le contact. Cette proximité inquiète. On s’imagine alors être mordu.e.s, ou attraper leurs puces. Voire même, sans qu’il n’y ait de rencontre, attraper leurs maladies en rentrant en contact avec des éléments (air, eau, terre, objets) qu’ils auraient contaminés.

La transmission d’une maladie de la faune vers l’être humain existe bel et bien. Cela s’appelle une zoonose. Cette transmission est possible car, dans le règne vivant, de nombreuses bactéries, virus ou parasites passent d’un hôte à un autre. Soit par un contact direct avec l’hôte ou avec le vecteur (la puce qui vit sur l’hôte), soit indirectement par contact avec des éléments contaminés (surfaces et objets touchés par les urines, par exemple). Ces maladies voyagent ainsi d’un animal à un autre. L’être humain faisant partie du règne du vivant et étant un animal parmi d’autres, il ne fait pas exception. Nous échangeons des pathogènes avec les animaux ; et eux avec nous. Cela a toujours été le cas et le sera toujours. A titre d’exemple, différentes études indiquent qu’entre un tiers et la moitié de toutes les maladies infectieuses humaines sont d’origine zoonotique, c’est-à-dire qu’elles sont transmises par des animaux. Et qu’elles représentent environ 75 % des nouvelles maladies qui ont affecté l’homme au cours de ces 10 dernières années.

Plusieurs zoonoses ont ainsi pu être identifiées, et rien que pour la Belgique, il est possible de pointer du doigt 116 zoonoses. Parmi les espèces hôtes ou vectrices de ces zoonoses, la classe des mammifères explose tous les scores : elle peut transmettre 86% des zoonoses. En décortiquant les mammifères hôtes, on se rend assez vite compte que la mauvaise réputation des rats et des renards n’est pas tout à fait justifiée. En effet, parmi les 116 zoonoses auxquelles nous sommes exposé.es en Belgique, 28% sont transmissibles par… les chiens ! Ensuite viennent les ruminants qui peuvent transmettre 24% des zoonoses, tous les rongeurs confondus transmettent 20%, les chats 18%, les cochons 10% , les chevaux et les lapins à égalité avec 8%. Les oiseaux sont assez proches des chats, avec une transmission de 17% des zoonoses. Puis les reptiles se faufilent loin derrière avec 3% des zoonoses.

Voyons plus en détails ce qu’il en est pour nos trois espèces cibles. Commençons par le rat.

Parmi les 116 zoonoses transmissibles à l’être humain en Belgique, seules deux maladies sont uniquement attribuables aux rats, à savoir la peste et le typhus ; et ce via les puces qu’ils portent. Notons toutefois que, concernant la peste, des analyses sont encore en cours. Les rats qui ont propagé la peste en Europe via leurs puces sont des rats noirs, et non pas les rats bruns qu’on retrouve aujourd’hui dans nos villes. Les rats bruns semblent d’ailleurs avoir développé une résistance au bacille de la peste et leurs puces sont différentes de celles du rat noir, ne transmettant ainsi pas la peste. Vingt trois autres maladies peuvent également être transmises par le rat, mais aussi par d’autres animaux. Tout autre rongeur (campagnol, castor, écureuil, loire, mulot, souris, etc) peut également transmettre ces 23 maladies à l’être humain. Parmi ces dernières, 11 peuvent également être transmises par des animaux auxquels nous sommes beaucoup plus exposés et desquels nous sommes beaucoup plus proches comme les chiens et les chats.

Zoonoses et rats

La transmission de ces maladies exige un contact très rapproché permettant le transfert des puces, ou encore par morsure ou contact avec de l’urine. Peu de personnes ont un contact assez rapproché avec les rats que pour être concernées, les rats fuyant dès la vision d’un être humain. Les seules situations à risque pourraient être celles des propriétaires de rats ou des professionnels comme les éboueurs où les contacts sont plus fréquents. Et encore. Dans son étude, Sciensano a analysé les quelques cas de leptospirose, maladie typiquement associée aux rongeurs, observés en Belgique ainsi que leurs origines. Il semblerait que ces cas aient été contractés lors d’un voyage à l’étranger via des contacts dans une eau contaminée (baignade, sport en eau douce, etc) et non pas via des contacts directs avec ces rongeurs. Notons également qu’en termes de transmission d’un hôte à l’autre, les chats, parce qu’ils consomment occasionnellement des rongeurs, sont susceptibles d’héberger un ou des vecteurs de pathologies et deviennent donc un danger pour la santé humaine.

Zoonoses et pigeons

Parmi les 116 zoonoses transmissibles à l’être humain en Belgique, aucune maladie n’est spécifiquement transmissible par les pigeons. Ils peuvent, par contre, transmettre 17 maladies à l’être humain, celles transmissibles par tout autre oiseau. Sur ces 17 maladies, 8 sont également transmissibles par des mammifères.

Les maladies transmissibles du pigeon à l’être humain nécessitent un contact très rapproché, comme c’est le cas pour certains colombophiles. Les maladies peuvent alors se transmettre par inhalation ou par contact direct avec l’oiseau ou ses sécrétions.

Zoonoses et renard 

Parmi les 116 zoonoses transmissibles à l’être humain en Belgique, une seule maladie est uniquement attribuable aux renards, la cysticercose. Par contre les renards peuvent également transmettre d’autres maladies tout comme les chiens et les chats, telle que l’échinoccose en forte augmentation ces dernières années. Ainsi, malgré les idées reçues, le renard roux de nos villes ne véhicule plus la rage depuis 2001. Par contre, les renards peuvent transmettre des maladies identiques à celles transmises par les chiens et les chats. Les renards permettraient d’éviter la propagation de maladies véhiculées par les rongeurs en consommant ces derniers.

Arrêtons-nous quelques instants pour faire le point. En considérant le danger sanitaire lié uniquement au rat, au pigeon et au renard ; en comparant ce danger au danger réel représenté par d’autres espèces ; en considérant également l’exposition de l’être humain à ces trois espèces comparativement à d’autres espèces que nous accueillons volontiers à l’intérieur de nos maisons, comme les chats, les chiens, ou autres petits animaux de compagnie.

Qu’est-ce qui fait qu’une crainte sanitaire est à ce point élevée pour ces trois espèces proches de nous, sans pour autant vivre avec nous, alors que la crainte d’attraper les maladies potentiellement transmissibles par nos animaux domestiques ne nous effleure pas une seule seconde ? Bien évidemment, l’idée ici n’est pas d’incriminer spécifiquement telle ou telle espèce au détriment d’une autre. L’idée est bien de comprendre pourquoi certaines espèces sont particulièrement stigmatisées alors que le danger et l’exposition sont moindres. Est-ce le manque de domestication qui rend ces animaux plus faciles à pointer du doigt ? Sont-ce les associations entre ces espèces et les lieux qu’elles occupent, souvent sales et détériorés, qui facilitent cette stigmatisation ? Notre responsabilité, en tant qu’être humain, n’est-elle pas engagée, dans cette vision des choses ?

Afin d’être tout à fait complète dans la réflexion menée, il me semble important d’aborder les effets sanitaires de la gestion des « nuisibles » par l’être humain. A tout prendre, ces effets sont plus inquiétants que les zoonoses véhiculées par nos trois espèces.

Effets sanitaires de la gestion des « nuisibles »

Gardons tout d’abord à l’esprit que, si des hôtes comme les rats, pigeons ou renards sont éliminés, les vecteurs (les puces) devront trouver d’autres hôtes pour survivre, comme par exemple nos animaux domestiques, ou nous.

Les biocides utilisés notamment dans les campagnes de dératisation ont peut-être même un effet plus dangereux que les maladies véhiculées. Les rodenticides ne sont pas inoffensifs pour la santé humaine ou pour l’environnement. Actuellement règlementés, nombre d’entre eux sont toutefois disponibles en vente libre au grand public. Les plus fortement dosés en substances actives sont réservés aux professionnels. Mais des dérogations existent et ces produits pourraient dès lors se retrouver dans les mains de Monsieur et Madame tout le monde. Une mauvaise utilisation ou un stockage négligé des rodenticides peuvent entraîner un empoisonnement accidentel grave.

 « Chaque année le Centre antipoison reçoit environ 750 appels(*) impliquant un rodenticide (produit pour tuer les rongeurs). La majorité des accidents (70%) surviennent chez l’animal. Chez l’homme les expositions aux rodenticides concernent autant les enfants que les adultes. Chez l’enfant il s’agit surtout d’ingestion accidentelle de faibles quantités. Chez l’adulte 20% des appels concernent une ingestion volontaire. » (Extrait de l’article « Intoxication par raticide anticoagulant chez l’homme », Centre anti Poisons).

Ces biocides peuvent être consommés par d’autres espèces non ciblées : des espèces sauvages ou moins sauvages, comme nos chiens et chats, qui peuvent soit ingérer directement le biocide, soit manger un rongeur ayant ingéré des matériaux imprégnés de biocide.

Il est permis de se demander pourquoi ces rodenticides sont encore utilisés, leurs impacts sur la santé étant connus. Ce, d’autant plus qu’ils semblent n’avoir qu’une efficacité limitée à moyen et long terme, les rats développant une résistance.

Une trop grande proximité qui est de notre responsabilité ?

A analyser les données sur la santé humaine, le risque de contracter des maladies via les rats, les pigeons ou les renards n’est pas aussi présent qu’on pourrait l’attendre. L’exposition aux agents pathogènes reste faible. Pourtant la proximité avec ces trois espèces continue de déranger. Pourquoi ces espèces veulent-elles vivre auprès de nous à tout prix ? Et si l’être humain y était pour quelque chose ?

Il est intéressant de se rappeler que, historiquement, pour certaines espèces, c’est l’être humain qui est à l’origine de leur présence. Les pigeons de nos villes actuelles proviennent des pigeons bisets autrefois domestiqués pour l’envoi de messages sur de longues distances, encore largement utilisés durant la première guerre mondiale. Au fil du temps, certains de ces pigeons, originellement domestiques, se sont échappés ou ont été relâchés dans la nature. Il en est de même pour les pigeons de courses dont bon nombre se perdent et adoptent alors la ville comme nouveau territoire.

Le couvert et le gîte

Le pigeon, tout comme le rat ou le renard, sont restés au sein de nos villes car ils y trouvent deux choses essentielles à leur survie : le couvert et le gîte. Et l’être humain y est pour beaucoup.

Le gîte

Certaines espèces ont été importées dans les milieux urbains comme c’est le cas des pigeons. D’autres espèces s’y sont introduites au fur et à mesure car leur habitat a été profondément modifié par l’urbanisation et notre mode de vie. D’une part, l’urbanisation artificialise les habitats de ces espèces et les déconnecte les uns des autres, ne permettant pas à leurs habitants de « déménager » d’une zone verte vers une autre. D’autre part, l’habitat naturel ayant été transformé par la destruction des espaces verts, par une bétonisation des zones vertes, par les travaux qui y sont conduits (par exemple les travaux sur des territoires et nids de rats), ces espèces ont dû s’adapter et trouver refuge dans les zones urbaines en utilisant des structures similaires à leur habitat naturel, comme par exemple les immeubles hauts pour les pigeons, parce qu’ils ont un aspect de falaises.  

Outre les déplacements des populations de nos trois espèces cibles, l’urbanisation cause également de manière très directe la diminution de la biodiversité. Cette diminution ne permet pas la propagation des virus au sein d’une large diversité d’animaux, ce qu’on appelle « l’effet de dilution ». Parmi ces animaux, qui manquent à l’appel, figurent des espèces qui ne transmettent pas la zoonose à l’être humain et que l’on peut donc qualifier de « cul de sac ». Le virus circule alors plus fréquemment, au sein d’un nombre plus limité d’espèces. Les espèces les plus protégées étant celles que nous avons domestiquées, elles sont plus proches de nous et, par conséquent, favorisent la transmission des zoonoses, et donc leur arrivée chez l’être humain. De plus, la densité humaine étant plus importante dans les zones urbaines, la transmission des zoonoses est d’autant plus facilitée.

Le couvert

La gestion, ou plutôt le manque de gestion, des déchets au sein de nos ville offre une opportunité de repas pour les trois espèces cibles. Les déchets sauvages, les poubelles abandonnées, les tas de compost sont autant d’opportunités de repas pour nos « nuisibles ».

Le rat vit et construit son nid à proximité des zones de déchets entreposés. Notons qu’à l’origine, le rat est granivore et mange les réserves dans les champs ou les greniers des fermes. Mais, en changeant son habitat, il a dû adapter son régime alimentaire et suivre ainsi les us de la vie collective humaine. Il est ainsi devenu omnivore voire nécrophage afin de pouvoir digérer les déchets. De même pour le pigeon, qui se nourrit des ordures ménagères et des restes alimentaires jetés dans l’espace public. Le renard suit le même chemin en modifiant progressivement son régime alimentaire initial composé de mammifères et d’oiseaux vivants pour ingérer les déchets de nos villes. Il ne fait pas l’impasse de quelques rongeurs mais ceux-ci composent une part minime de son régime par rapport aux déchets urbains.

Le manque de gestion des déchets fausse l’image de détérioration et de saleté portée par les espèces ciblées. A l’origine de cette saleté, on trouve les comportements humains qui entreposent, jettent, laissent traîner leurs détritus. Si ces animaux et ces zones sont sales, n’est-ce pas tout simplement parce que nous les rendons sales ?

Certaines études ont démontré que le niveau de revenu dans un quartier est un indicateur de transmission de zoonoses. Qu’un bas niveau de revenu est associé à un entreposage inadéquat des détritus plus important favorisant un contact plus élevé avec les rats par exemple. Ces quartiers sont également associés à une moindre gestion des déchets par les services publics. Toutes les composantes d’une société humaine (statut socio-économique, d’éducation, gestion de la ville, etc) semblent donc participer à l’apparition de ces espèces au plus près de nous.

Que faire ? Vers une cohabitation ?

Les premières solutions avancées semblent de lancer des campagnes d’éradication de ces espèces sans prendre d’autres mesures de gestion de la ville. Tout n’est pas pour autant permis.

La Wallonie suit les recommandations de l’Union Européenne concernant les espèces exotiques invasives, sans que le rat des villes, les pigeons et les renards n’en fassent partie. Il existe un Arrêté du Gouvernement wallon permettant la chasse de certaines espèces dans certaines conditions et sous réserve d’un permis, espèces dont font partie le renard et le pigeon biset en zone rurale.

Difficile donc de lancer une campagne d’éradication. Toutefois, toujours en Wallonie, une nouvelle loi communale oblige les communes à « nettoyer et enlever les encombrants » afin de garantir la salubrité et la propreté de la ville, d’éviter les « épizooties » et de « remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces ».

De même un arrêté du Gouvernement wallon mentionne l’obligation pour les particuliers d’assurer la destruction des rats dès qu’ils sont observés sur leurs biens.

Bien que ne faisant pas partie des espèces invasives, le rat, plus spécifiquement, n’est donc pas vraiment le bienvenu. Contrairement à ses cousins les musaraignes ou le lérot qui eux sont protégés car considérés comme utiles pour l’être humain, le rat des villes ne l’est bien évidemment pas et on encourage même à le chasser. Le seul élément qui vient au secours du rat est Le Code Wallon du Bien-être Animal (CWBA) qui interdit l’usage des pièges à colle, mais demande de privilégier l’usage de biocides pour des raisons de sécurité humaine…

A part le pigeon des lauriers et le pigeon de bole qui, de leur côté, bénéficient d’une protection particulière, accordée par le Décret du 6 décembre 2001 de la Conservation de la Nature, qui interdit de le piéger, le capturer, le mettre à mort, de détruire, d’endommager ou de perturber le nid ou les œufs qu’il contient, ni de vendre ces derniers ; nos pigeons urbains ramiers et bisets ont moins de chance car ils peuvent peut être chassés dans certains Etats membres suivant la Directive européennes CEE/79/409.

Le renard est le seul à s’en sortir un peu mieux. Il constitue une espèce protégée mais, selon l’Arrêté du Gouvernement wallon du 18 octobre 2002, la destruction du renard peut être envisagée si ce dernier devient une menace pour différents élevages et ce, « dans l’intérêt de la faune (Art. 1trois) ou dans l’intérêt de la santé et de la salubrité publiques sous certaines conditions strictes (Art. trois2 à trois4) ».

Peu d’éléments viennent donc au secours de nos trois espèces, permettant le lancement de campagne de destruction.

Toutefois, au vu des éléments énoncés précédemment, ceci ne semble pas la solution la plus adaptée. Ces campagnes n’ont jamais montré de résultats efficaces à moyens et longs termes. La solution vient peut-être d’ailleurs, d’une meilleure gestion de la ville, des sources de subsistances de ces espèces et, donc, des comportements humains. Mais pour cela l’être humain doit prendre ses responsabilités dans les causes de cette proximité non désirée avec ces espèces dites « nuisibles ».

Prioritairement en améliorant considérablement la gestion de nos déchets, en sensibilisant les populations à ces espèce (en allant voir l’exposition rattus par exemple), en punissant les dépôts clandestins, en favorisant des poubelles extérieures hermétiques, en adaptant et respectant les horaires de collectes et en renforçant le nettoyage de la voirie, des parcs et jardins.

Ensuite, une réflexion grandissant doit s’opérer sur l’urbanisation et l’artificialisation des espaces verts et toutes les conséquences sur la biodiversité, la faune et son déplacement. L’urbanisation doit se limiter et, dans le cas contraire, être réfléchie pour préserver les habitats naturels coûte que coûte.

Ces processus étant longs, il pourrait être intéressant de tendre vers un processus de cohabitation sain où toutes les espèces partageraient l’espace urbain mais de manière distincte. Pour cela, il est possible d’adapter les lieux concernés en mettant à disposition des habitats plus « sains » comme des pigeonniers de régulation par exemple. Cela demande de penser et aménager l’espace urbain de façon à y inclure les différentes espèces urbaines et parvenir à cohabiter avec elles. Ce processus permet aussi de reconnaître l’utilité de ces espèces comme « auxiliaires de gestion des détritus » dans une ville où la gestion des déchets est défaillante. En effet, leur nouveau régime alimentaire basé sur les déchets nous est finalement utile puisqu’il permet d’éviter l’obstruction des canalisations. Les égoutiers de Bruxelles les voient d’ailleurs comme des alliés, mais aussi comme des « alerteurs » de catastrophes imminentes lorsque les déchets ne parviennent plus à être régulés par ces espèces.

Au fur et à mesure de nos réflexions on comprend bien que l’enjeu de la gestion des espèces dites nuisibles rejoint les enjeux sanitaires et environnementaux au sein de nos villes. Rappelant vaguement le concept de one health qui tend à orienter des actions dans différents secteurs pour préserver une santé unique. On comprend qu’intrinsèquement la santé humaine est liée à notre mode de vie, à notre environnement et aux espèces animales que nous côtoyons/rencontrons. Des solutions durables permettant de préserver ces trois composantes doivent provenir de la source des dégâts observés : à savoir, les comportements humains.

REFERENCES

Articles

  • Ayral, F. (2015). Vers une surveillance des zoonoses associées aux rats (Rattus norvegicus) (Doctoral dissertation, Université Grenoble Alpes).
  •  Gobert, J., Deroubaix, J. F., Arbarotti, A. E., Serrano, L., Martinache, P., Moilleron, R., & Bressy, A. (202trois, June). Tuer le vivant indésirable: penser la circulation des biocides dans les espaces quotidiens et urbains pour mieux penser les politiques publiques. In 24e rencontres internationales de l’urbanisme, APERAU.
  • Gustin, V. (2022). Entre le bien-être du rat d’égout et la santé publique, faut-il choisir?
  • Leila Beratto (202trois). Marion Vittecoq : « L’un des facteurs principaux de transmission des pandémies, c’est l’élevage intensif et globalisé ». Consultable ici : https://www.15trois8mediterranee.com/marion-vittecoq-lun-des-facteurs-principaux-de-transmission-des-pandemies-cest-lelevage-intensif-et-globalise/
  • Polack, B., Boulouis, H. J., Guillot, J., & Chermette, R. (2015). Les zoonoses (tableaux synthétiques: animaux réservoirs de pathogènes et modes de transmission). Revue Francophone des Laboratoires, 2015(477), 67-79.
  • Vittecoq, M. (2022). Mettre en pratique l’approche «Une seule santé» Au-delà du «comment» se poser la question du «pourquoi». Environnement, Risques & Santé, 21(trois), 201-204.

Conférence

  • Visio conference (202trois) : «Nuisibles» dans l’habitat : quelle attitude adopter pour préserver la biodiversité et la santé humaine ?

Exposition

Vidéo

La minute sauvage. Thomas Jean. Le rat des villes :

 Sites internet

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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