Figure de plus en plus médiatisée sur les questions énergétiques1, Jean-Marc Jancovici n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur les énergies renouvelables. Une énergie qui ne serait pas assez dense, trop aléatoire, aux impacts nombreux (voire pires que ceux d’autres énergies diront même certains lobbies). Pour Jean-Marc Jancovici, comme pour d’ailleurs un certain nombre de nos élus, ou de patrons d’entreprise, pas de solution crédible sans nucléaire. Est-ce vraiment la réalité ? Cet article vise à démontrer qu’au contraire, un mix 100 % renouvelable est possible en 2050, sous certaines conditions, et qu’il est même désirable. La première de ces conditions est de mettre en œuvre une politique de sobriété énergétique.
La sobriété, levier majeur de la transition
Quand on cherche à diminuer son empreinte carbone, ce qui est l’objectif annoncé à tous les niveaux de pouvoir, on ne peut faire fi du levier que représente la sobriété. En effet, remplacer simplement nos appareils existants par des plus performants (levier d’efficacité) ou produire de l’énergie sans ressource fossile (levier de substitution des moyens de production) ne garantit pas une diminution de notre empreinte carbone. L’effet rebond est là pour nous rappeler que bien que l’efficacité de nos machines se soit nettement améliorée depuis des décennies, l’augmentation de leur usage a plus que compensé ce gain énergétique. Il est à parier qu’une part majeure (et croissante) de notre empreinte sera aussi issue de nos biens importés. Il est essentiel d’analyser nos besoins, et de réduire ceux-ci à ce qui est effectivement nécessaire. Le GIEC met d’ailleurs en évidence dans son dernier rapport2 cette nécessité. Cela signifie repenser nos modes de chauffage et de déplacement, mais aussi notre production industrielle et nos biens importés. Il ne s’agit pas de demander aux pauvres de consommer moins, mais bien d’exiger que les gros émetteurs3 mettent en place une stratégie permettant une vraie rupture.
Les scénarios sobres existent et sont crédibles
Contrairement à ce que martèlent trop de personnes, les scénarios misant sur la sobriété existent et si, comme tout scénario, ils postulent un avenir qui n’est qu’une projection volontariste, les bases physiques de ces scénarios sont solides. Le scénario CLEVER, dont les premiers résultats ont été présentés en décembre 20224, montre qu’un scénario 100 % renouvelable et avec importations limitées est possible pour l’Europe. Le modèle industriel et le modèle agricole ont été peaufinés, et les choix dans le bâtiment et le transport ont tenu compte des dernières évolutions en la matière. Les hypothèses sont à la fois ambitieuses et réalistes, toutes les technologies utilisées présentant une maturité technologique avérée5 et étant déployées à une vitesse compatible avec les chaines logistiques. Dans la même veine, CAN Europe (Climate Action Network Europe) prépare une actualisation de son scénario « compatible avec les 1,5°C de l’accord de Paris » qui sortira cette année aussi. Canopea est partenaire de ce projet et publiera prochainement les résultats de ce scénario de ce réseau européen d’action climatique.
L’intermittence est un défi, qu’il est possible de relever
Certes les énergies renouvelables sont intermittentes, mais le système électrique de demain ne sera pas celui d’aujourd’hui. Les interconnexions seront renforcées, la gestion de la demande sera beaucoup plus importante et les capacités de stockage (batterie, chaleur, molécules) et de backup seront renforcées. Sachant que le déploiement du renouvelable est une réalité en cours (notamment pour raison économique, voir ci-dessous), la complémentarité avec ces sources devient un réel enjeu. Or, l’énergie nucléaire est peu modulable, ce qui réduit son intérêt dans le cas de la Belgique. En effet, ce n’est qu’aux moments les plus tendus – des creux éoliens d’une à deux semaines certains hivers – qu’un appoint nucléaire serait le bienvenu. Pour le reste, le nucléaire sera une énergie fixe additionnée qui ne favorisera pas la sobriété énergétique. Si on consomme toujours autant d’énergie, on ne change pas nos modes de vies et de production. Donc, même si on décarbone, les autres impacts environnementaux (ex: biodiversité) et sociaux de notre modèle de société persisteront. La filière nucléaire est surtout vue par certaines industries comme le moyen de s’assurer une énergie abondante et stable, et donc de ne pas diminuer leur consommation.
Le renouvelable pas forcément plus cher
La question du prix est très discutable. L’éolien est en effet l’énergie au plus bas coût de production aujourd’hui6. Certes, il convient d’assurer la stabilité du réseau à tout instant, mais à partir du moment où la flexibilité devient la norme, tout le système va se réorganiser et les coûts d’intégration vont bénéficier de ce facteur d’échelle et diminuer avec le temps. Bien malin qui pourrait prédire ces coûts à 30 ans, tout comme il est hasardeux d’évaluer le coût de fin de vie des centrales nucléaires et de leurs déchets. Méfions-nous donc des discours plein d’aplomb sur le sujet !
Il n’y a pas que le climat !
Comme l’a magistralement expliqué Timothée Parrique dans une grande conférence Canopea à Liège7, il ne s’agit pas de regarder simplement la variable des émissions de CO2. Il s’agit au contraire pour évaluer toutes nos politiques de les passer au crible du « Donut », avec son plancher social et son plafond environnemental. Le Donut de la Belgique en 2015 est présenté en figure 3. Comme on peut le voir, nous dépassons toutes les limites environnementales, et le chômage est un point rouge dans le plancher social. La sobriété est le levier qui permet d’agir positivement sur le plus de dimensions, en limitant l’extraction de matières et ses impacts sociaux et environnementaux, mais aussi en permettant une répartition plus équitable des ressources. Qui plus est, ce levier est mobilisable immédiatement. Il suffit de penser à la limitation de vitesse sur nos routes.
Wallonie 100 % renouvelable : commandez un atelier !
Si vous souhaitez aller plus loin et challenger vos connaissances sur le sujet en groupe, n’hésitez pas à appeler David Lemin ou moi-même pour vivre un atelier ludique et participatif sur le sujet. Conçue à la base par la Ceinture énergétique namuroise9, cette animation vous fera réfléchir sur notre consommation, réaliser notre mix énergétique parfait, et comprendre le défi de l’équilibrage électrique du réseau. Un atelier de 3h à partir de 8 personnes. Une bonne façon de démystifier ce sujet devenu sensible.
La démocratie en jeu
Le simple fait de débattre de ces questions est essentiel. Le récent sondage « Noir, Jaune, Blues » du Soir et de la RTBF10 montre qu’une tendance de la population belge à apprécier une attitude autoritaire du pouvoir se dessine. Si comme nous, vous croyez que la démocratie est une valeur essentielle, n’hésitez pas à susciter le débat. Récemment, l’association negaWatt Belgium11 a été créée avec comme mission principale le débat citoyen autour des grandes questions énergétiques. Comme le préconisait Ivan Illich12, le technicien est là pour fixer les limites de la solution (le plancher et le plafond du Donut via la mesure des indicateurs), mais les choix politiques, eux, doivent faire l’objet d’un débat démocratique. C’est le moment d’agir pour que la démocratie ne recule pas !
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- La BD « Le monde sans fin » (Jancovici, Blain) affiche un record de ventes et, qui sait, a peut-être été votre cadeau de Noël ! Pour une revue détaillée des chiffres qui posent problème dans cette BD, voir ce très bon article, qui cite ce blog qui décortique la BD page par page
- 6° rapport du GIEC, 2022
- Pour une distribution « sociale » des émissions par habitant, voir le travail de Tim Gore (Oxfam)
- Pour revisionner le webinaire, visitez ce site
- Pour une définition rigoureuse des TRL (Technological Readiness Levels), voir ici
- Pour les coûts de production, voir par exemple le dossier énergie du Soir du 26/22/2022
- Plus d’info sur cette conférence ici
- Source : https://goodlife.leeds.ac.uk/
- Plus d’info sur la CEN sur leur site
- Voir l’article de ce sondage ici
- Vous pouvez soutenir cette initiative via le site internet de l’asbl
- Ivan Illich, La convivialité, éditions du Seuil, 1973