Éviter aux personnes disposant d’une voiture de société à moteur thermique une baisse trop soudaine de l’avantage financier dont elles bénéficient. Telle est la volonté affirmée de Monsieur Van Peteghem, ministre des Finances. C’est là faire fi de beaucoup de choses. Dont l’esprit et la lettre de la loi relative aux voitures de société. La transition est en cours ? « Ralentissons-là » nous dit le ministre des Finances … et avec lui, hélas, l’ensemble du gouvernement fédéral dont l’accord conclu ce lundi 29/01/2024 est fort proche de la position de monsieur Van Peteghem.
En matière d’impôt des personnes physiques, une voiture de société constitue un avantage de toute nature (ATN). La valeur financière de cet avantage est calculée selon une méthode qui la sous-évalue. Dès lors, l’impôt dû sur cette rémunération « alternative » est moindre que ce qu’il serait si l’ATN était égal à la vraie valeur financière de la mise à disposition de la voiture.
Comment est calculé l’ATN : rappel
Concrètement, l’ATN est calculé sur base du prix catalogue de la voiture, de son âge et d’un « coefficient CO2 ». Celui-ci est fonction de la différence entre les émissions de la voiture concernée et une valeur de référence (une pour l’essence et une pour le diesel). Celle-ci est établie chaque année sur base de la moyenne des émissions des voitures neuves vendues en Belgique l’année précédente. Les valeurs pour 2023 : respectivement 82 et 67 gCO2/km pour l’essence et le diesel.
En 2011, lorsque cette méthode de calcul a été adoptée, la volonté du législateur était claire : les émissions moyennes devant baisser en vertu d’un règlement européen, il s’agissait que les voitures de société s’inscrivent dans cette dynamique. L’incitant financier a produit l’effet voulu : les émissions de CO2 des voitures de société ont baissé plus rapidement que celles des voitures des particuliers (-19% contre -11% sur la période 2012-2020).
L’Europe balise la voie à suivre
Le règlement européen, plusieurs fois révisé depuis 2011, impose aujourd’hui aux constructeurs de ne plus vendre que des voitures « zéro émissions de CO2 » en 2035. Dès lors, les ventes de voitures électriques (réputées « zéro CO2 )» et de voitures hybrides rechargeables (dont les émissions sont notoirement sous-estimées) augmentent fortement. Même si leurs parts de marché demeurent modestes, ceci a pour effet de faire baisser fortement la valeur moyenne des émissions des voitures neuves. Par ailleurs, une autre disposition, visant la déductibilité fiscale des voitures de société dans le chef des employeurs (introduite par le ministre des Finances en 2021), renforce la dynamique d’électrification en Belgique. La valeur de référence CO2 pour le calcul de l’ATN en diminue d’autant plus. Ceci pour les voitures à moteur thermique (essence, diesel et gaz). Pour les voitures électriques et hybrides rechargeables, c’est le seuil minimum du coefficient CO2 (soit 4%) qui s’applique. Car les législateurs ont été prévoyants et ont limité à minimum 4% et maximum 18% la valeur du coefficient CO2.
La manœuvre du ministre Van Peteghem
Selon le ministre Van Peteghem, comme les émissions de CO2 des voitures neuves ont beaucoup baissé sous l’effet de l’électrification, les nouvelles valeurs de référence pour 2024 (qui devraient, donc, remplacer les 82 et 67 g/km évoqués ci-dessus) sont si basses que les coefficients CO2 des voitures thermiques seront très élevés. Ce qui serait « trop injuste » …
Rien ne vaut un petit exemple
Voyons ce qu’il en est dans les faits. Considérons la voiture de société la plus vendue en Belgique en 2023, soit la BMW X1. Un véhicule inutilement lourd, puissant et rapide : dans sa version essence « de base », il développe une puissance de 136 ch, pèse 1 575 kg à vide, a une vitesse de pointe de 208 km/h… et émet 143 gCO2/km. Faisant l’hypothèse que ce véhicule est immatriculé à Bruxelles, qu’il roule 25 000 km par an (chiffre moyen pour une voiture de société) et sera utilisé pendant 4 ans, son prix de revient pour un particulier sera, selon le calculateur en ligne du Moniteur automobile, de 9 380 € par an. Le « coefficient CO2 » de ce véhicule est égal à 11,6% (avec la valeur de référence appliquée en 2023). La valeur de l’ATN est, quant à elle, de 3 828 €/an, soit 2,45 fois moins que la valeur réelle. Dans l’hypothèse où les craintes du ministre Van Peteghem seraient plus qu’avérées et que le coefficient CO2 atteindrait sa limite maximale (soit 18%), l’ATN grimperait à 5 940 €/an, soit encore 1,58 fois moins que la valeur réelle de l’avantage perçu…
L’esprit et la lettre de la loi
En fait, le ministre des Finances néglige à la fois l’esprit et la lettre de la loi. L’esprit : le but du législateur était, en 2011, de faire baisser les émissions de CO2 des voitures de société, but que le ministre a lui-même renforcé par les nouvelles dispositions relatives à la déductibilité fiscale desdites voitures. La lettre : la loi fixe un maximum de 18% pour le coefficient CO2, dispositif mis en place pour éviter que les pauvres bénéficiaires de voitures lourdes, puissantes, très émettrices de CO2 ne doivent payer le juste prix pour l’avantage dont ils bénéficient.
Revenons à l’exemple ci-dessus : dans les circonstances d’urgence climatique absolue que nous vivons, est-ce réellement « trop cher payer » pour un véhicule dont on cherche officiellement à décourager la mise sur le marché ? Et dont on perçoit mal l’utilité en tant qu’outil de mobilité, soit dit en passant …
Sérieusement, monsieur Van Peteghem… Sérieusement, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement fédéral… Certes, vous avez un tout petit peu « limité la casse ». Cependant, si votre but avait été de démontrer votre totale incapacité collective à adopter les mesures disruptives indispensables pour relever le défi climatique, nous serions tenus de vous féliciter : ce but est largement dépassé
Une Carte Blanche parue dans La libre et Le Soir du jeudi 25/01/2023.