Les jachères sont pointées du doigt par les libéraux pour détourner l’attention et ainsi éviter de répondre aux revendications des agriculteur·rices qui visent les dérives du marché ultra–libéralisé des produits.
Après une semaine de fronde et de blocages, le Premier Ministre Alexandre De Croo annonçait ce mardi soir « aller porter le point des jachères à l’Europe ». Les 27 se réunissent en effet ce mercredi pour discuter le budget européen et faire le point sur la crise agricole dans les différents états membres. Le point a bien été porté et il est, hélas, validé…
4% de terres non-cultivées, vraiment ?
Les 4% de terres concernées par cette problématique avaient déjà été pointés du doigt suite à l’invasion russe en Ukraine, et aux dérèglements des marchés qui s’en étaient suivis. L’argument : « Comment pouvons-nous assurer une souveraineté alimentaire si nous nous privons de l’utilisation de certaines terres ? ». Avec pour conséquence en 2022 et 2023, une autorisation de remise en culture exceptionnelle de ces terres, qui serait à nouveau envisagée pour 2024.
Un beau foin pour pas grand chose, puisque ces 4% de superficie non-productive ne sont en réalité pas une perte sèche 4% de la superficie cultivable. En effet, ces éléments peuvent être une combinaison, au choix, de haies, mares, cultures fixatrices d’azote, une bordure de champs ou une jachère. Grâce à différentes règles et coefficients calculés pour chaque élément, la superficie consacrée à ses fameux 4% est en réalité assez faible. Concrètement, cela correspond en Wallonie à des surfaces de l’ordre de 0,1 % de la surface agricole cultivée. Certes, l’exploitant·e n’est pas payé pour ces éléments s’il·elle se contente de respecter uniquement la conditionnalité. Mais s’il·elle dépasse le seuil des 3 ou 4% imposé, les incitants deviennent par contre très intéressants car dans ce cas il est rémunéré pour tous les éléments jusqu’à 7% (% calculés en hectares environnementaux).
On comprend vite que la portée de cette mesure est largement symbolique.
De la poudre aux yeux des agriculteurs
Supprimer ces 4% d’éléments non productifs ne va donc ni augmenter la production alimentaire de 4%, ni augmenter le revenu des agriculteur.rices. Au contraire, il les privera d’un outil intéressant et rémunérateur. En effet, bon sens paysan oblige, les terres consacrées à ces éléments non productifs sont en général les moins productives, en raison d’une qualité agronomique moindre, d’une moins bonne exposition, d’un accès plus difficile… En outre, ces éléments de biodiversité ont aussi des bénéfices agronomiques.
Une fin de cette obligation de jachère ne va donc pas changer grand-chose financièrement pour les exploitant·es, qui ne toucheront plus les aides versées en rémunération du rôle environnemental joué par ces terres.
Une catastrophe environnementale… Et agricole ?
Ces jachères et autres éléments non productifs jouent un rôle crucial pour la biodiversité des cultures, et ce qui est appelé le « maillage écologique » devenu quasi inexistant dans certaines régions agricoles : le fait que les oiseaux et petits mammifères puissent trouver un refuge facilement dans ces milieux ouverts, dans des haies, des bandes enherbées, des jachères, des zones de fauche tardive, des parcelles laissées sur pied etc. On estime que ce maillage doit représenter 10% de la surface agricole afin de rétablir les populations d’oiseaux des cultures qui ont baissé de 60% sur les 30 dernières années. Un véritable effondrement de la biodiversité. Or, selon les derniers chiffres pour la Wallonie, nous ne serions qu’à 0.7% de maillage écologique en milieux agricoles.
Cette biodiversité est le système immunitaire des cultures. Oiseaux, insectes et petits mammifères contribuent à réguler les maladies et les ravageurs qui s’attaquent aux cultures, à polliniser les cultures à fleurs. En négligeant les services rendus par la nature, notre système agricole s’est retrouvé enfermé dans un engrenage dépendant des produits phytopharmaceutiques : davantage de phytos, moins de biodiversité, plus (+) de maladies et donc encore plus de phytos.
Pourtant d’autres pratiques existent et ont fait leurs preuves
En se passant totalement de pesticides, d’autres pratiques agricoles, notamment l’agriculture biologique, ont montré qu’il était possible de cultiver à bons rendements en travaillant en partenariat avec la nature et la biodiversité.
Pointer du doigt la paille pour éviter la poutre
Si les libéraux utilisent ces éléments non productifs comme l’étendard de l’opposition entre environnement et productions agricoles, c’est pour se cacher, et ainsi éviter de répondre aux nombreuses revendications du monde agricole qui dénoncent le marché ultra libéral qu’ils défendent.
Les revendications des agriculteurs visent, elles à réduire le pouvoir de la grande distribution et à enterrer les accords de libre-échange en faveur de prix de ventes qui soient équitables, rémunérateurs et indépendants des fluctuations du marché.
Les libéraux ont poussé depuis des dizaines d’années l’agriculture vers un modèle ultra libéralisé et ultra productiviste, face auquel les producteurs expriment aujourd’hui leur ras-le-bol.
Agriculteurs, agricultrices : vos revendications sont légitimes. Ne vous laissez pas aveugler par des mesures qui n’y répondent pas, et qui mettent en péril la bonne santé de vos terres, de nos paysages et la pérennité de vos pratiques.