En pleine crise agricole, le ministre wallon de l’Agriculture a annoncé une augmentation du « soutien couplé bovins ». Si le Gouvernement devait confirmer, ce serait un signal clair qu’il se positionne en faveur d’une agriculture intensive au détriment des emplois, de la santé et de la nature.
À la suite des manifestations agricoles de ces dernières semaines, c’est le branle-bas de combat à tous les niveaux de pouvoir. Une prise de conscience du monde politique et des annonces qui, si elles se traduisent en mesures concrètes répondant à des demandes éminemment légitimes des agriculteurs, auront de quoi réjouir.
Hélas, parmi les mesures annoncées par le ministre de l’Agriculture se cachent des reculs environnementaux graves, totalement injustifiables. Arrêtons-nous sur la toute première mesure : « l’augmentation de la prime de soutien couplé aux bovins viandeux ».
De quoi parle-t-on ?
Maintenir l’élevage en diminuant les densités
La Wallonie est une terre d’élevage, en particulier de bovins destinés à la production de viande. On y retrouve des vaches viandeuses dans près de 40 % des fermes.
Il est bien connu qu’en Belgique les agriculteurs gagnent en moyenne moins bien leur vie que les travailleurs des autres secteurs. Ce qu’on sait moins, c’est que cette tendance cache une variabilité importante : les éleveuses et éleveurs de vaches viandeuses dégagent des revenus moyens considérablement inférieurs au revenu des fermes en grandes cultures par exemple. En conséquence, nombre d’éleveurs mettent la clé sous le paillasson.
Un autre fait bien connu est que l’élevage est un contributeur majeur aux émissions de gaz à effet de serre : les vaches éructent du méthane, un gaz à effet de serre très puissant. Mais l’élevage est aussi un secteur central pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, car sans élevages, plus de prairies. Or les prairies sont de formidables « stocks » de carbone qu’il est crucial de préserver[1]. Pour répondre au défi climatique, il faut maintenir l’élevage dans les pâturages, tout en veillant à diminuer le nombre de vaches par parcelle de prairie ou encore limiter les épandages de lisier – bref, sortir des logiques d’élevage intensif. Et coupons tout de suite l’herbe sous le pied des chantres de l’insécurité alimentaire : réduire la production de viande (qui est largement excédentaire pour la Belgique) peut, au contraire, avoir un effet positif sur notre souveraineté alimentaire[2].
Les prairies wallonnes ont aussi de l’intérêt pour la biodiversité, intérêt démultiplié lorsqu’on sort des pratiques intensives.
Des financements incompatibles
Il est donc légitime de vouloir soutenir davantage les élevages. C’est sur la manière, en revanche, qu’on trouve à redire.
Il existe en effet deux types d’aides ciblant les élevages.
D’un côté, le « soutien couplé » : une aide versée chaque année à l’éleveur en fonction du nombre de bêtes. Plus il a de bêtes, plus il reçoit de subsides[3].
De l’autre, des aides en fonction de la quantité de prairies exploitées, avec des montants plus élevés lorsque le nombre de vaches par parcelle est faible, réduisant du même coup l’impact sur le climat. Ce mécanisme vaut pour certaines aides de la politique agricole commune (PAC): l’Éco-régime « Prairies permanentes » et la mesure agroenvironnementale « Autonomie fourragère ».
Pas de chance : l’effet incitatif des mesures encourageant le maintien des prairies et la réduction des cheptels est annihilé par le soutien couplé, financièrement beaucoup plus intéressant. Le cumul des aides citées ci-dessus est comparativement plus avantageux pour les élevages les plus intensifs[4]. Pas étonnant, dès lors, que la Wallonie, même si la situation y est moins critique qu’en Flandre, figure parmi les régions d’Europe où l’élevage est le plus intensif[5].
Cette architecture ne répond donc pas aux enjeux environnementaux. Pire : sur le plan économique et social, aussi, la mesure manque sa cible. En effet, des chercheurs ont démontré que les aides couplées ne répondent nullement à l’objectif de maintenir l’emploi agricole, contrairement aux mesures agroenvironnementales et celles qui soutiennent l’amélioration de la qualité des produits[6].
La proposition d’augmenter la prime de soutien couplé est donc une mauvaise idée sur toute la ligne : tant pour la lutte contre la crise climatique et le déclin de la biodiversité, que pour la bataille contre la disparition des élevages wallons.
Une mesure qui profiterait aux exploitations intensives
Nous dénonçons cette mesure inique qui profiterait aux exploitations les plus intensives. Plus grave, elle le ferait au détriment de tous les autres éleveurs. En effet : en 2022, anticipant que le budget du soutien couplé ne serait pas entièrement mobilisé (le cheptel wallon baisse de manière structurelle), la Wallonie avait convenu d’allouer au moins trois quarts du montant non dépensé au refinancement des Éco-régimes « Prairies permanentes » et « Maillage écologique » : tous deux bénéficient aux éleveurs, et sont notoirement sous-financés.
Face à la crise sociale dans le secteur agricole, face aussi aux défis du réchauffement climatique et du déclin de la biodiversité, il convient de mieux soutenir le revenu des éleveurs. Et il faut le faire via des aides qui contribuent à maintenir l’emploi agricole et qui encouragent la transition vers des systèmes d’élevage résilients. Nous rappelons le gouvernement wallon à son engagement et le prions de respecter celui-ci si, comme nous continuons à le croire, il a à cœur de défendre les fermes wallonnes et de soutenir leur transition agroécologique.
Gaëtan Seny, Responsable Politique Agricole, Natagora
Anne-Laure Geboes, Chargée de Mission Biodiversité, Canopea
Julie Van Damme, Secrétaire Générale, Nature et Progrès
Albane Aubry, Chargée de campagne Agriculture, Greenpeace Belgique
Julie Vandenberghe, Head of Policy & Business, WWF-Belgium
Organisations regroupées dans la coalition imPAACte (www.impaacte.be)
[1] Des « stocks », et non des « puits ». T. Walot, Estimation de la part des différentes sources d’émissions de GES dans l’activité agricole en Wallonie, www.graew.be
[2] www.impaacte.be/la-biodiversite-est-vitale-pour-notre-securite-alimentaire
[3] Des plafonds sont toutefois prévus www.agriculture.wallonie.be/home/aides.html
[4] www.impaacte.be/il-est-urgent-de-rendre-le-psw-compatible-avec-la-pac
[5] M. Batool et a., “Long term annual soil nitrogen surplus across Europe”, Scientific data, n° 612, 2022 ; et État de l’Environnement wallon
[6] M Garrone et a., “Jobs and agricultural policy”, Food Policy, vol. 87, août 2019