Les bonnes vieilles recettes des programmes électoraux… ou pas !

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Tadaaaam : le Bureau fédéral du Plan vient de sortir son analyse chiffrée des programmes électoraux! C’est tout frais, ça vient de sortir et c’est disponible ici! Par contre, on ne peut pas parler spécialement de fraicheur quand on voit que les partis évoluent peu et appliquent, encore et toujours, les mêmes bonnes vieilles recettes… qui n’ont malheureusement pas fait leurs preuves!

Si l’on regarde l’évolution de notre économie, les résultats ne sont guère réjouissants : une croissance économique (et tout ce qui va avec) « alimentée par l’endettement », un développement qui est loin d’être durable ou souhaitable, la prise en compte environnementale qui est loin d’être le premier souci de nos représentants politiques à tous les niveaux de pouvoir alors que tous les indicateurs sont alarmants, … Après nous, les mouches ? Les générations futures ne méritent-elles donc pas qu’on investisse davantage (et mieux) pour leur offrir un horizon plus souhaitable ?

Chiffrage des programmes : limites de l’exercice (et des partis…)

Revenons au chiffrage des programmes électoraux. L’exercice n’est vraiment pas facile, il faut jouer sur les différents modèles à disposition, tout ne peut donc pas être analysé. Il n’empêche, l’exercice est fameux pour les équipes du Bureau du Plan et la méthodologie s’est fortement améliorée depuis l’exercice 2019. Pour preuve, là où certains partis avaient pris l’exercice par-dessus la jambe en 2019 (certains ayant remis moins de 10 mesures à analyser), une bien meilleure participation s’observe cette fois (entre 25 et 30 mesures remises par les partis). Les mesures ont par ailleurs été regroupées par catégories, incitant les partis à proposer un spectre bien plus large de leurs programmes à l’analyse.

Alors oui, en se basant sur des modèles, il n’est pas possible de tout mesurer et de tout prendre en compte. Le Plan l’assume. Il ne pourra pas analyser, par exemple, une lutte renforcée contre la fraude fiscale. Mais, il est vrai que c’est pas plutôt facile, pour un parti politique, de dire qu’une mesure de ce type va régler le problème des finances publiques alors que les gouvernements ont généralement fait l’inverse dans le cours de l’histoire… Même chose quand on évoque le fait de diminuer le budget de l’administration : on coupe où ? Dans les salaires des profs ou dans les moyens des hôpitaux ?

Les partis se justifieront par le fait qu’ils n’ont pas mis tout leur programme et que les résultats présentés ne sont que partiels. OK, mais l’exercice précise quand même que les mesures déposées doivent être des priorités de leurs programmes. Si les partis perdaient la mauvaise habitude de noyer leurs mesures phares dans un programme indigeste de 300 pages, ça aiderait probablement à les réconcilier avec les électeurs.

Chiffrage : grandes tendances

Il n’a pas fallu 2h pour que la majorité des partis se gargarisent de leurs programmes, en avançant qu’ils proposaient LA meilleure alternative (souvenez-vous en pour le 9 juin). Mais dans les faits, ça donne quoi?

Au niveau des mesures proposées par chaque parti, la question de la fiscalité sur le travail et des revalorisations des bas salaires occupe une place importante presque partout, dans des proportions assez différentes toutefois. Faut-il cependant rappeler que les partis de la majorité sortante n’ont justement pas réussi à s’accorder sur une réforme fiscale ces derniers mois ? Peut-on espérer qu’ils fassent mieux cette fois-ci ? La globalisation des revenus est également assez présente (Défi, Ecolo et le PS, les Engagés et le PTB dans une moindre mesure), tout comme la taxe sur les millionnaires (Ecolo, PS et PTB).

Là où le bât blesse, par contre, c’est dans les mesures ayant un impact environnemental. Le Plan a pourtant amélioré ses modèles pour intégrer, maintenant, les émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce ne semble malheureusement pas être une priorité pour nos futurs élus… La suppression des voitures de société, par exemple, n’a été reprise que par Ecolo et par Défi, alors que l’on sait que ce poste représente un coût sociétal de 2 à 3 milliards d’euros par an et ne profite majoritairement qu’à la classe moyenne supérieure. De même, certains partis n’ont pas jugé utile de mettre la rénovation de notre bâti au centre des préoccupations : seuls Ecolo, les Engagés et le PTB y consacrent une mesure. Le MR juge, lui, que seules les nouvelles constructions méritent un coup de pouce avec une baisse de la TVA (allô la classe moyenne supérieure ?) tandis que le PS ne considère, lui que les logements publics (création + rénovation). On oublie de citer les rénovations promises par le MR et Défi pour, respectivement, les palais de justice et les prisons. Deux postes qui vont faire fortement baisser nos émissions, merci les gars !

Au niveau énergétique, seul Ecolo propose d’investir dans les énergies renouvelables. Les autres n’ont pas l’air d’avoir envie de passer par là pour sortir des énergies fossiles… Inquiétant ? La solution passerait plutôt par le nucléaire pour Les Engagés, MR et Défi. L’avantage, c’est que ça ne coûte presque rien selon le modèle (1/5e des montants investis par Ecolo dans le renouvelable), pour un résultat en termes de GES plus intéressant. Mais on touche là à une des failles de l’exercice et des modèles du Bureau du Plan, le coût pour la société risquant de se révéler bien plus élevé.

Et donc voilà. À force de ne pas faire grand-chose pour le climat, il ne faut pas s’étonner que la baisse des émissions de GES ne prenne pas la direction des objectifs des Accords de Paris… Le scénario de référence du Plan tablait déjà sur une réduction des GES de 34.2% par rapport aux émissions de 1990 à l’horizon 2029 (courbe grise sur le graphe ci-dessous). Si Ecolo (en vert) remporte la palme avec une réduction supplémentaire de 1.68%, on reste encore loin de l’objectif européen/belge de réduction des émissions de 55% pour 2030. Enfin, une mention toute particulière peut être adressée au MR (bleu) et à Défi (amarante) qui parviennent, eux, à augmenter les émissions par rapport au scénario de référence.

Source du graphique : https://www.dc2024.be/

Au niveau individuel, peu de partis jouent vraiment le jeu…

Presque tous les partis proposent des mesures qui vont augmenter l’activité économique (PIB). Mais est-ce, aujourd’hui, un objectif en soi ? Pour rappel à tous nos hommes et femmes politiques, on vit dans un monde fini…

Ce qui interpelle, c’est de voir que certains partis ont décidé de ne pas vraiment jouer le jeu. Soit ils n’osent pas se confronter aux résultats de l’exercice et ne proposent que quelques mesures sans grande envergure, soit leur programme est lui-même bancal avec de grosses incohérences qu’ils préfèrent masquer par de faux-fuyants!

A titre d’exemple, le MR et Défi proposent la plus grosse hausse de l’activité économique via une augmentation du revenu de la population et donc de la consommation. Notez toutefois que cela n’est rendu possible que via une aggravation importante de nos finances publiques, avec un déficit public et une dette qui atteindraient des niveaux bien en-dehors des clous imposés par les nouvelles règles budgétaires européennes (qui, si je ne m’abuse, ont été soutenues par les libéraux… Le serpent qui se mord la queue ?). Après nous, les mouches, on y revient! Et tant pis pour les générations futures ! Alors oui, l’emploi augmente le plus fortement pour ces deux partis, mais à quel prix pour la société (cfr. la croissance économique alimentée par l’endettement…). D’autant plus que, au niveau social, les inégalités partiraient à la hausse, les revenus n’augmentant principalement que pour les déciles supérieurs au revenu médian ! La faillite de la théorie du ruissellement serait-elle actée, sans que les politiciens osent le mentionner dans leurs discours ?

Pour le PS et le PTB, il est relativement difficile de sortir une tendance. Globalement, on reste dans les clous du scénario de référence, on ne fait pas trop de vague et on limite les risques. Les effets les plus marquants sont à trouver dans les finances publiques, un peu comme si on avait décidé de tout miser sur la contribution des grandes fortunes, via la taxe sur les millionnaires, sur les plus-values ou les surprofits.

Au final, seuls Ecolo et les Engagés ont vraiment joué le jeu, en proposant un ensemble de mesures cohérentes, finançables (un paradoxe quand on sait que les verts étaient les plus opposés au retour de l’austérité lors des discussions européennes), avec autre chose que des promesses en termes d’augmentation de revenus de leur électorat cible. Les premiers sont les plus redistributifs, en contribuant fortement à diminuer les inégalités de revenu, tandis que les seconds sont les plus ambitieux en termes d’augmentation de l’offre d’emplois pour les premiers déciles de la distribution des revenus.

Conclusion

Le chiffrage des programmes électoraux aurait pu être un magnifique exercice de réenchantement des citoyens envers la chose politique. Malheureusement, il semblerait que certains partis n’aient pas voulu jouer le jeu à fond, préférant rester flous et ne profitant pas de cette opportunité! A moins que cela n’illustre la vacuité de fond de leurs programmes électoraux ?