La guerre des prix, solution pour la transition énergétique ?

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L’électrification des procédés est un élément central de la stratégie de décarbonation de notre société. Or, les conditions actuelles n’incitent pas les citoyens comme les entreprises à aller dans cette direction. Un transfert des accises de l’électricité vers les énergies fossiles (gaz et produits pétroliers principalement) permettrait d’inverser la tendance pour que notre mobilité, notre production de chaleur ou nos processus industriels prennent la voie de la décarbonation !

Décarboner notre société est une évidence pour tous les acteurs de la société belge au-delà des seules associations de défense de l’environnement. La majorité de la population, citoyens comme industries, est dorénavant convaincue qu’il est nécessaire de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour limiter le réchauffement climatique sous des seuils acceptables pour les générations futures. Et les objectifs fixés par l’Union Européenne, la Belgique et la Wallonie sont ambitieux à cet égard : la neutralité carbone à l’horizon 2050, avec une étape intermédiaire de -55% de GES (par rapport aux niveaux de 1990) en 2030. Des efforts importants à fournir, donc, aussi bien dans le secteur de la mobilité que pour la production d’électricité, pour les ménages (principalement via la production de chaleur) comme pour les entreprises.

Les leviers de la décarbonation de notre société sont connus et ont été intégrés dans de nombreux scenarii de transition : Développement d’une énergie entièrement décarbonée, de l’efficacité et de la sobriété. Ces trois leviers sont activés de manière plutôt inégale. Si la promotion de l’efficacité énergétique fait consensus auprès de tous les acteurs, la promotion de la sobriété, qui implique des changements de comportements (limiter sa consommation par exemple), un peu moins. Ce constat est d’autant plus vrai en ce qui concerne les partis politiques sortis vainqueurs des élections de juin 2024. En effet, il suffit de voir le contenu du chapitre relatif à l’énergie dans la déclaration politique régionale du nouveau gouvernement wallon pour s’en convaincre : la sobriété (ou une utilisation raisonnée de la consommation énergétique plus acceptable politiquement parlant) n’y apparait tout simplement pas. On peut également craindre que la sobriété soit l’oubliée du gouvernement fédéral en gestation, étant donné les partis présents autour de la table des négociations.

L’efficacité énergétique, mère de toutes les batailles

On misera donc tout sur l’efficacité ! Oui, en améliorant nos procédés, on arrivera à suffisamment diminuer nos consommations énergétiques, pas besoin de changer les comportements pour ce faire ! C’est, en effet, plus facile de dire aux gens qu’ils ne doivent pas spécialement changer leurs modes de fonctionnement, que la technologie fera le reste. Il faudra quand même expliquer aux plus pessimistes comment on fera dans certains domaines : le secteur aérien, notamment, qui peine à trouver des solutions technologiques applicables à grande échelle, ou encore le secteur numérique qui voit ses besoins énergétiques augmenter de manière exponentielle avec le développement de l’IA. Mais soit, le débat n’est plus là, l’électeur a tranché (du moins pour les 5 prochaines années), c’est la rhétorique de l’efficacité qui a gagné, pas celle de la consommation raisonnée.

En misant sur l’efficacité, donc, comment pouvons-nous faire pour rendre nos comportements moins énergivores ? Plusieurs solutions a priori simples sautent aux yeux et sont largement portées dans le débat public. Au niveau de la mobilité, par exemple, passer d’un moteur thermique à une voiture électrique permet de diviser les besoins énergétiques par 3 pour une même distance couverte (en faisant l’hypothèse que le conducteur ne se sente pas pousser des ailes vu qu’il pousse maintenant sur le champignon d’une voiture verte…). Au niveau des ménages, isoler sa maison permet aussi de faire de substantielles économies d’énergie. Si, en plus, le ménage couple l’isolation de sa maison avec un passage à un système de chauffage qui repose sur une pompe à chaleur (PAC), on estime que ses besoins énergétiques pourraient être divisés par un facteur 9 ! Il y aurait donc moyen, avec un focus important sur l’efficacité des procédés (qui repose principalement sur l’électrification des habitudes), de réduire fortement l’énergie consommée au sein d’un ménage. Au niveau industriel également, passer du gaz à l’électricité permet de réduire fortement ses consommations énergétiques.

La fée électricité, générale en cheffe

Des solutions simples, donc, qui devraient permettre de réduire nos besoins énergétiques et nos émissions de GES de manière importante sans devoir trop changer nos comportements. Mais pourtant, si on regarde les chiffres, on voit que le train ne s’est toujours pas mis en route. Le graphique ci-dessous montre l’évolution de la consommation énergétique (en million de tonnes équivalent pétrole). On y voit que la consommation énergétique du secteur du transport reste globalement stable depuis 10 ans, la seule baisse observée reposant sur l’année 2020 marquée par l’épidémie de covid. Pour le secteur résidentiel, la baisse a lieu principalement en 2022 et 2023, deux années marquées par des prix de l’énergie relativement élevés ainsi que par des conditions météorologiques particulièrement clémentes.

Graphique 1 : Consommation énergétique (en Mtep) par secteur

Si les solutions techniques sont disponibles, mais que cela ne se traduit pas plus que ça dans les chiffres, où cela coince-t-il donc ? Une fois de plus, l’argent est le nerf de la guerre. On le voit avec l’invasion de l’Ukraine et la crise énergétique qui a suivi, ce n’est qu’une fois que le prix du gaz et de l’énergie de manière générale a augmenté que les ménages ont adapté leurs comportements. Mais il y a fort à parier que, si les prix de l’énergie redescendent comme c’est le cas actuellement, la consommation d’énergie pour le transport et le secteur résidentiel repartent à la hausse. On n’a, en effet, pas observé d’énorme vague de rénovation des logements ces dernières années (selon les experts, on devrait encore tripler le rythme des rénovations pour atteindre nos objectifs de 2030), tandis que le marché des pompes à chaleur peine à décoller. Pour la mobilité, la donne est un peu différente « grâce » au système des voitures de société qui pousse à l’électrification de notre parc automobile. Mais pour le commun des mortels qui n’a pas accès à ce petit coup de pouce de l’état, le passage à l’électrique est loin d’être accessible financièrement.

Le frein est donc essentiellement monétaire. En effet, l’investissement à envisager pour passer à l’électrique (voiture ou chauffage via une PAC) est conséquent. Il faut, par ailleurs, également prendre en compte le coût de fonctionnement de cette nouvelle technologie. Ce qui est important, ici, c’est de comparer le prix relatif de l’électricité par rapport au prix des énergies fossiles (gaz et mazout pour le chauffage, carburants pour la mobilité). Le temps de retour sur investissement en prenant tous ces paramètres en compte est loin, pour le moment, de pousser les gens à s’électrifier. Nos gouvernements ont donc deux cordes à leur arc pour promouvoir le passage à la fée électrique : faire baisser le coût de l’investissement initial ou rendre le coût de fonctionnement plus avantageux que les autres systèmes moins vertueux.

Au niveau des aides à l’investissement, il le fait déjà en partie avec le système des voitures de société, mais avec un énorme biais qu’il conviendrait de corriger. Il pourrait également fixer davantage de normes ou agir via la fiscalité pour pousser les producteurs à aller vers des voitures électriques moins lourdes et puissantes et mettre un frein à la boulimie actuelle du secteur, mais ça ne semble pas être la piste privilégiée. Pour les pompes à chaleur, on pourrait également envisager davantage d’aides à l’investissement (voir analyse de la Creg pour ce qui existe déjà et ce qui pourrait être amélioré), étant donné que les derniers gouvernements wallons rechignent à interdire de manière ambitieuse le placement de système de chauffage aux énergies fossiles. Mais, vu les moyens budgétaires actuels, ça ne semble pas non plus être la voie privilégiée…

Les accises, armes de destruction massive

Si la situation budgétaire entrave sérieusement les possibilités d’agir sur les coûts d’investissement, les gouvernements ont d’autres leviers à disposition pour agir sur les coûts de fonctionnement. Via la fiscalité, il peut, par exemple, promouvoir certains comportements plus vertueux par rapport à d’autres. Lors de la crise énergétique, le gouvernement fédéral a choisi de baisser la TVA sur l’énergie au taux préférentiel de 6% pour protéger les citoyens contre l’envolée des prix. Il a ensuite décidé de compenser cette baisse de la TVA par une hausse des accises, un régime plus favorable pour absorber les hausses subites des cours des marchés internationaux (le montant des accises dépend des quantités consommées tandis que le montant de la TVA se rapporte au prix payé pour la quantité consommée). Il avait ensuite prévu, et c’était notamment inscrit dans son accord de gouvernement de septembre 2020, de se servir de ces accises pour soutenir la transition énergétique.

En effet, en transférant les accises pesant sur l’électricité vers les énergies fossiles, on rendrait les secondes plus chères relativement aux premières, ce qui pousserait le consommateur à pencher pour la solution de l’efficacité et de la réduction de ses GES. Pour le moment, selon de nombreux experts, le ratio prix de l’électricité-prix des énergies fossiles ne pousse pas à investir dans une pompe à chaleur. Selon une étude de la FEBEG et de TestAchats, par exemple, l’électricité est en effet 4,1 fois plus chère que le gaz et 3,6 fois plus chère que le mazout. Pour rendre le passage à la PAC financièrement intéressant, Le SPF Climat estime que ces ratios devraient tomber respectivement sous les 2,14 et 2,51. La Belgique est, à cet égard, un des plus mauvais élèves européens, ce qui explique une part de PAC dans le chauffage bien en dessous de la moyenne.

Le Gouvernement fédéral avait donc en main une arme de premier choix pour soutenir le secteur des PAC, l’électrification de nos chauffages et l’efficacité énergétique. Et il est monté au front lors de son conclave budgétaire d’octobre 2023. Malheureusement, le soldat Vivaldi semble avoir pris peur d’user de la plénitude de son arsenal et n’a osé sortir qu’un lance-pierres… Il n’a, premièrement, décidé de ne transférer que 50% des accises. Il a, ensuite, décidé de ne pas brusquer les choses : le transfert se fera progressivement, pour n’atteindre les 50% qu’à l’horizon 2032, avec une première étape seulement en 2028. Il semblerait donc que, pour les objectifs de réduction de GES à l’horizon 2030, ce soit déjà râpé ! Enfin, comme dernier clou au cercueil de l’ambition, le Gouvernement a jugé que seul le gaz devrait subir la hausse des accises transférées de l’électricité. Le mazout serait, lui, exonéré de cette hausse des accises, tout comme le charbon. A croire que les scientifiques avaient tort sur les émissions de GES associées à ces deux combustibles… Un bon coup dans l’eau pour le gouvernement sortant !

Il ne faut pas croire, cependant, que la Vivaldi n’avait pas d’ambition au niveau de la transition. S’il a décidé de ne pas sortir son bazooka, ce serait pour des raisons sociales. Une étude du SPF Climat démontre pourtant, chiffres à l’appui, que l’impact social ne serait pas si élevé que cela. En page 57 de ce rapport, on voit, par exemple, que la proposition de réforme la plus ambitieuse (transfert des accises de 100% sur le gaz et le mazout) aurait, en moyenne, un impact nul pour les 30% de la population ayant les revenus les moins élevés. Elle aurait, même, un impact positif pour les 10% de la population aux revenus les plus faibles. Et, si on peut imaginer que les situations particulières différeront des moyennes générales appliquées à l’ensemble de la population, rien n’empêchait le gouvernement d’agir de manière ciblée pour les ménages qui subiraient davantage la réforme.

Las d’attendre leurs partenaires francophones, les partis flamands de la Vivaldi ont toutefois obtenu, lors des négociations du conclave budgétaire, que les régions puissent également opérer un transfert de charge entre électricité et énergies fossiles. Et le nouveau gouvernement flamand n’a pas attendu longtemps pour que figure ce « tax shift énergétique » au menu de sa déclaration de politique régionale. Le nouveau gouvernement wallon lui embraiera-t-il le pas ?

Aux yeux de Canopea, il est important que les différents gouvernements se donnent les pleins pouvoirs pour atteindre leurs objectifs d’efficacité. A cet égard, il convient au gouvernement fédéral de réformer son transfert d’accises d’octobre 2023 pour une ambition à la hauteur de ses objectifs. Il convient également au gouvernement régional d’opérer un transfert de charges entre électricité et énergies fossiles afin de favoriser l’électrification des usages. Enfin, un accompagnement ciblé des ménages les plus affectés par la réforme doit être mis en place pour que tout le monde puisse s’inscrire dans la transition énergétique et la décarbonation de notre société.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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