Qualité de l’eau et pesticides – L’échec global

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La crise des PFAS a au moins eu le mérite d’attirer l’attention du public sur la piètre qualité des ressources en eau de Wallonie et sur les investissements colossaux qui ont été – et doivent encore être  – réalisés pour transformer cette ressource polluée en eau de distribution potable et sans danger pour la population.

Si le constat est maintenant connu de tous, les solutions, elles tardent à être mises en place. Manque de volonté politique ? Peur du changement ? Lobby de l’industrie phyto ? Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, couper le robinet de la pollution à la source est pourtant la seule voie soutenable (d’un point de vue économique, social et environnemental) pour garantir une eau de qualité aujourd’hui et demain. Une voie que le nouveau ministre de l’Environnement serait prêt à prendre ? 

Tour d’horizon

80% de l’eau que nous consommons au robinet provient des eaux souterraines. Or, plus de la moitié des masses d’eau souterraines en Wallonie sont considérées en mauvais état chimique, en raison de concentrations en nitrates et/ou en pesticides trop élevées. Au vu de la large surface sur laquelle ces intrants sont utilisés en agriculture, on parle de « pollution diffuse » (à l’inverse d’une « pollution ponctuelle » qui interviendrait en un endroit précis, comme la fuite d’une citerne à mazout par exemple). Ironie du sort, nos plus gros réservoirs aquifères sont majoritairement situés sous les zones de grandes cultures (la Hesbaye, le Hainaut, et, dans une moindre mesure, le Condroz et le Namurois), où la qualité de l’eau est la plus dégradée.

Si la pollution aux nitrates tend à se stabiliser (pas encore à décroitre), les connaissances sur l’étendue de la pollution aux pesticides et aux produits de leurs dégradations sont encore limitées. L’impact de leur présence dans l’eau souterraine, et in fine, potentiellement dans l’eau de distribution, est un sujet de préoccupation grandissant des acteurs de la santé, a fortiori quand on sait que 12% des pesticides pouvant être utilisés sont des PFAS. Canopea a consacré un dossier à ce sujet en 2022.

Un constat d’échec global en France

En novembre 2024, les inspections générales des ministères de la Santé, de l’Agriculture et de la Transition écologique publiaient un rapport commun sur « l’échec global de la prévention de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides ».

Constat sur l’échec de la protection de la ressource d’abord. Les données publiées montrent des dépassements importants de concentrations dans les ressources brutes pour plusieurs pesticides, et en particulier la chloridazone (et ses métabolites) et le chlorothalonil (et ses métabolites). Les dépassements sont particulièrement marqués dans les zones de culture de la betterave, où ces pesticides sont massivement utilisés. Ainsi, sur la période 1980-2019, c’est près de 40% des captages français qui ont dû être abandonnés, les pollutions diffuses d’origines agricoles en étant la cause première.

Constats sur l’échec de la protection de la population ensuite. Une campagne exploratoire menée en 2020-2021 avait mis en évidence que 34% des échantillons d’eau prélevés au robinet montraient des concentrations en certains métabolites de pesticides dépassant les normes de potabilité. Le rapport pointe également le grand flou qu’il règne au sein de l’UE sur la définition des ‘métabolites pertinents’ (les seuls qui seraient soumis à une norme de potabilités), chaque état membre étant chargé de décider de la pertinence ou non des substances. Le rapport pointe également les lacunes de la législation concernant les effets cocktails (plusieurs substances présentes simultanément, même à faibles doses, peuvent interagir entre elles et avoir des effets néfastes), qui ne sont jamais considérés. 

Qu’en est-il en Wallonie ?

Le constat sur la qualité de l’eau souterraine dressé en France est partagé chez nous. L’étude SEMTEP a montré la pollution à large échelle des eaux souterraines wallonnes par certains pesticides et leurs métabolites. Pour 21 pesticides recherchés (sur les +- 150 autorisés en agriculture), on constate que 15% des échantillons montrent des concentrations supérieures ou très proches des normes de potabilité. De plus, 50% des dépassements enregistrés sont dus à des pesticides qui ne sont recherchés que depuis 2017… Ces chiffres montrent à quel point la pollution de l’eau est encore mal évaluée. En la matière, les autorités ont toujours une guerre de retard sur l’industrie phytopharma. En effet, 25% des dépassements sont dus à des produits qui sont aujourd’hui encore autorisés.

En Wallonie, l’ensemble des captages destinés à l’eau potable sont protégés par des « zones de prévention ». Au sein de ces zones, toute une série d’activités sont restreintes voir interdites afin de protéger la qualité de l’eau. Ce n’est par contre pas le cas pour l’utilisation de pesticides : ainsi, on peut utiliser la même quantité de produits phyto au sein de la zone de protection qu’en dehors.

Des initiatives ont été mises en place par la SPGE (société de protection et de gestion des eaux), en partenariat avec les agriculteurs, afin de travailler sur une réduction de la pression agricole au sein de ces zones. Ainsi, l’asbl Protect’eau a d’abord été créée afin d’offrir un conseil aux agriculteurs. Plus récemment, c’est le programme « contrats captage » qui a été mis en place. Le succès de ces deux initiatives relève actuellement uniquement du bon vouloir des agriculteurs – ce sont des démarches volontaires dans lesquelles les exploitants peuvent s’inscrire, sans obligation de participation ou de résultat.

Le code de l’eau permet pourtant une démarche plus contraignante puisqu’il prévoit que le Ministre de l’Environnement peut restreindre l’utilisation de certains produits dans les zones de captages où l’eau est déjà trop polluée. Cette initiative n’a jamais été activée jusqu’ici.

Couts cachés

La prévention à la source coute pourtant 2 à 3 fois moins cher à la société que le cout de la dépollution !

C’est le constat fait au Luxembourg (de 0,35 à 0,5 €/m3 pour le traitement, contre au maximum 0,2€/m3 pour la prévention), mais également le résultat du travail mené par Eau de Paris, qui a mis en place un programme d’accompagnement des agriculteurs pour augmenter la proportion d’agriculture biologique dans les zones de captages. Résultat : x4 pour les surfaces en agriculture bio dans les zones de captage, et -77% de pesticides en 2023… Ce programme de prévention de pollution, qui a porté ces fruits, a couté 3x moins cher que le traitement curatif. 

Le cout de la repotabilisation de l’eau est directement répercuté sur le prix de l’eau, et est payé, in fine, par le citoyen. En France, le prix de l’eau est jusqu’à 20% plus cher dans les départements particulièrement affectés par les pesticides et leurs métabolites par rapport à la moyenne nationale. Dans le contexte actuel en Wallonie, où les producteurs d’eau sont devant un mur d’investissements à réaliser pour faire face, notamment, à la vétusté du réseau, le prix de l’eau risque déjà d’être revu à la hausse dans les prochains mois. Une augmentation accrue pour compenser les investissements en matière de dépollution risquerait d’être très mal perçue par les consommateurs, si celle-ci n’est pas assortie d’une vraie politique de prévention à la source.

Les solutions

L’ensemble des administrations françaises autrices du rapport mentionné plus haut proposent à sa suite des mesures urgentes et contraignantes pour endiguer la pollution de l’eau par les produits phyto. Beaucoup de ces mesures rejoignent les constats et solutions proposées par Canopea dans son récent mémorandum

  1. Poursuivre les mesures de prévention, notamment en :
    1. Encourageant les conversions à l’agriculture biologique au sein des zones de captages (via un accompagnement et une majoration des aides au sein de ces zones notamment). L’agriculture biologique n’utilise aucun pesticide chimique de synthèse, et est, de ce fait, la meilleure alliée pour une eau de meilleure qualité.Mettant en place des infrastructures agroécologiques (haies, bandes enherbées) au sein des zones de captage pour en faire de véritables « zones de protection ».
    1. Poursuivant l’accompagnement et le conseil aux agriculteurs, mais en liant le financement des actions à des objectifs de résultats.
  2. Activer les mesures contraignantes, en restreignant l’usage des produits phytopharmaceutiques sur toutes les aires de captages en dépassement ou proches des limites de qualité pour les pesticides et leurs métabolites.
  3. Au niveau fédéral, interdire, dans les autorisations de mise sur le marché des produits, l’utilisation sur les aires de captages d’eaux souterraines des produits phytopharmaceutiques contenant des substances générant des métabolites à risque de migration vers les eaux dans des concentrations supérieures à la limite réglementaire.

Le nouveau ministre de l’Environnement se montrera-t-il plus volontariste que ces prédécesseurs en matière de protection de la qualité de l’eau ? Canopea sera là pour le soutenir dans chaque prise de décision qui permettra de protéger davantage les ressources en eau, et la santé des Wallonnes et des Wallons.

Crédit image illustration : Adobe Stock

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