La Commission européenne a présenté la semaine passée sa « boussole pour la compétitivité », un agenda qui organise le travail de la Commission européenne pour les 5 ans à venir. Il y a beaucoup à dire sur le ton et le contenu de ce texte. Mais l’un des éléments les plus frappants est l’accent mis sur la « simplification » réglementaire.
Ces derniers mois, c’était un refrain constant : déréglementez, déréglementez ! La « régulite aigue » étoufferait l’économie européenne et freinerait l’innovation. C’est pourquoi, dans son texte, la Commission promet désormais au monde des affaires une « réduction de 25 % de la charge réglementaire ».
Difficile de savoir ce qu’il y a derrière cet objectif… Mais un peu de hauteur ne ferait pas de mal.
Le rapportage environnemental et social dans le viseur
Les nouvelles obligations en matière de reporting social et environnemental sont particulièrement dans le collimateur. Notamment la directive visée en matière de rapportage sur la durabilité : la fameuse « Corporate Sustainability Reporting Directive » (CSRD).
Il est vrai que de nombreuses entreprises devront s’adapter, car elles devront (ou doivent déjà pour certaines) cartographier les risques que leur activité implique en matière sociale et environnementale.
Mais imaginer que collecter ces données essentielles constituera un handicap concurrentiel décisif semble tout à fait exagéré. Les grandes entreprises sont habituées à ce type de rapportage que beaucoup ont déjà fait et les quelques « responsables durabilité » supplémentaires qui devront assumer cette collecte d’infos ne vont certainement pas mettre la compétitivité de ces entreprises à mal.
Pour les petites entreprises, la question est plus complexe. Bien qu’elles ne soient généralement pas soumises à la CSRD (qui ne touche que les entreprises cotées), elles vont recevoir des demandes de leurs clients qui, eux, y sont assujettis.
Toutefois, là aussi, l’impact semble tout à fait exagéré. C’est ce qui ressort par exemple d’une analyse de l’administration flamande chargée du soutien aux entreprises (VLAIO) qui stipule dans un récent rapport que le coût de ce rapportage pour les PME sera « limités » et in fine ne représentera pas de « désavantage concurrentiel disproportionné ». Et, comme le note le VLAIO, dans de nombreux cas, il existe des PME durables qui en tireront au contraire profit car le rapportage leur permettra de mettre en avant leur politique durable par rapport à leurs clients. Ceci étant, comme le réclame l’UCM, il est essentiel que les autorités facilitent au maximum la tâche des entreprises et les soutiennent dans cette démarche.
Un excès de régulation en Europe ou un manque de régulation ailleurs ?
La plupart des réglementations existent pour de très bonnes raisons. Le cadre réglementaire européen qui est aujourd’hui attaqué explique d’ailleurs en grande partie pourquoi l’Europe est bien plus prospère que des pays comme les USA pourtant érigés en modèle par la Commission. Cela apparait clairement si on compare les objectifs de développement durable (espérance de vie en bonne santé, couts des soins de santé…) des deux Régions…
Or, les opposants à la « régulite » – secteur chimique en tête – visent de plus en plus clairement des lois concrètes, par exemple sur les produits chimiques dangereux (voir la récente attaque sur les néonicotinoïdes), la sécurité des jouets, ce qui peut se retrouver dans nos poumons et notre eau potable, les risques systémiques dans le secteur financier, le blanchiment d’argent, l’information correcte des consommateurs, etc. Ces règles ont été établies après de longues discussions, au cours desquelles les préoccupations des entreprises ont été largement (souvent trop…) prises en compte.
Voir ces réglementations salutaires comme des « charges administratives » tronque aujourd’hui totalement le débat. Derrière cette attaque contre les « moyens » (la réglementation) se cache en réalité une véritable offensive contre le « but » (réduction des émissions de CO2, garantir une eau potable ou des jouets sans produits toxiques, etc.). Ces règlementations sont essentielles pour la bonne marche d’une société prospère, qui ne menace pas la santé de ses habitants et de la nature. Dérèglementer serait dès lors un net recul sociétal alors que selon les propres calculs de la Commission européenne, réduire les réglementations entrainerait un gain de PIB estimé à 0,2 % du PIB (actuel) de l’UE.
Que pensent vraiment les entreprises ?
Les fédérations sectorielles à la manœuvre au niveau européen dans cette lutte pour déréglementer représentent-elles vraiment le monde si diversifié et si riche des entrepreneurs et des investisseurs ? Sûrement pas !
Selon la dernière enquête de la Banque européenne d’investissement (BEI) sur les « obstacles à l’investissement », la réglementation est un « obstacle majeur » pour seulement 20 % des entreprises, et un « obstacle mineur » pour 40 % supplémentaires. Comme obstacle à l’investissement et à l’innovation, d’autres facteurs sont plutôt pointés comme : les coûts énergétiques, le manque de main-d’œuvre, et l’incertitude qui entravent les investissements des entreprises.
Il est d’ailleurs remarquable que le groupe qui voit la réglementation environnementale comme une « opportunité » est à peu près aussi important que celui qui se sent « menacé ». Notons en outre que cette défiance des entreprises face à la réglementation n’est nullement une particularité européenne. Les entreprises aux États-Unis se plaignent même plus souvent des réglementations gouvernementales (et des règles du marché du travail) que leurs concurrentes européennes.
Un aveu de faiblesse de la part de la Commission
Il ne fait évidemment aucun doute que la simplification administrative est un objectif crucial. Cela ne veut pas dire moins de réglementations mais « de meilleures réglementations”. Mais dans bien des cas, cela passera par remplacer des législations nationales par des législations européennes… L’objectif de la Commission européenne fixé dans sa « boussole de compétitivité » de « 25 % de pression réglementaire en moins » semble dès lors contreproductif.
D’ailleurs, la Commission le sait bien elle-même. Il y a bien mieux à faire que de déréglementer. C’est pourquoi sa « boussole» contient également des propositions constructives pour améliorer le Green deal plutôt que de le détricoter, notamment sur les marchés de l’énergie, l’intégration des marchés, le financement et l’économie circulaire – avec en ligne de mire les objectifs climatiques européens.
Seulement, construire une politique européenne ambitieuse nécessitera un consensus des capitales nationales autour d’un projet européen véritablement positif. Un volontarisme qui fait défaut aujourd’hui. En fin de compte, cette attaque contre la « régulite » ressemble donc à un aveu de faiblesse de la part de la Commission. Mais c’est le projet européen qui semble aujourd’hui menacé par ce nouvel agenda.
Crédit image illustration : Adobe Stock
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