26 janvier 2003
La nouvelle législation sur les substances chimiques :
peu de coûts et beaucoup de bénéfices pour l’économie belge
Demain, le 27 janvier, Fedichem, la fédération belge de l’industrie chimique, et la FEB, Fédération des entreprises belges, présenteront leur étude estimant les impacts de la nouvelle politique européenne en matière de substances chimiques sur l’économie de notre pays. Pareilles initiatives des fédérations nationales de l’industrie ont déjà vu le jour en France et en Allemagne. Les chiffres catastrophiques de ces études ont pour but manifeste d’influencer la Commission européenne et les Gouvernements européens en semant un vent de panique.
Or, la méthode utilisée dans l’étude allemande a été critiquée par des économistes de renom comme étant non fondée scientifiquement et donc non inutilisable pour prédire une quelconque évolution du produit national brut et des pertes d’emplois. En outre, l’étude ignore les impacts économiques et sociaux positifs de la nouvelle législation. Elle est basée sur un modèle statique qui ne tient pas compte de la dynamique d’une économie de marché et des nouvelles potentialités en matière d’innovation. Les organisations environnementales espèrent que l’étude belge ne sera pas de la même veine.
La Commission européenne a lancé, en 2001, une proposition de réforme de la législation en matière de substances chimiques. Le système proposé, appelé “REACH” ( Registration, Evaluation and Autorisation of CHemicals ), tient essentiellement en deux obligations : les entreprises qui produisent ou importent plus de 1 tonne par an d’une substance déterminée devront procéder à l’enregistrement de cette substance dans une banque de donnée centrale qui sera gérée par une nouvelle agence européenne ; l’utilisation de substances dites “préoccupantes” [[Les substances dites « préoccupantes » sont celles qui possèdent certaines propriétés dangereuses et suscitent de fortes préoccupations (substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction et les substances persistantes, bio-accumulables et toxiques).]] devra faire l’objet d’une autorisation.
Il faut savoir qu’actuellement, on ignore tout des effets sur la santé et sur l’environnement de plus 100 000 substances chimiques dites « existantes », alors qu’elles sont sur le marché depuis plus de 23 ans. Certaines de ces substances s’accumulent dans l’organisme humain et peuvent être sources de graves dommages pour la santé (perturbations du système nerveux et du système hormonal, diminution de la fertilité, augmentation du risque de cancers…). Les travailleurs et les consommateurs sont exposés depuis des années à un grand nombre de substances et on constate, entre autres, une augmentation des allergies et des cancers. Les coûts humains et financiers sont très importants . Ainsi par exemple, selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, 7 millions de personnes en Europe souffrent de maladies professionnelles dues aux substances chimiques, causant une perte de 350 millions de jours de travail par an.
Ces deux dernières années, l’industrie chimique a tout fait pour combattre le projet de réforme de la législation sur les substances chimiques. L’industrie a ainsi réalisé des études pour démontrer que la mise en ½uvre de REACH signifierait une diminution drastique du chiffre d’affaires du secteur chimique, avec une diminution sensible du PNB et des pertes d’emplois dramatiques. Selon certains de leurs scénarios, ce sont jusqu’à 20 à 40 % des substances chimiques qui disparaîtraient du marché[Une telle assertion est pour le moins surprenante: dans une économie de marché dynamique, où règne la loi de l’offre et de la demande, cela paraît peu vraisemblable. Ces coûts peuvent être répercutés tout au long de la chaîne et ne devraient même pas résulter en une différence sensible dans le prix du produit final. Une augmentation du prix de l’énergie ou des fluctuations des taux de change ont des impacts bien plus importants et surviennent d’année en année, sans pour autant mener à des fermetures massives dans l’industrie chimique européenne.]] en conséquence de frais d’enregistrement trop élevés. Des économistes allemands réputés (Institut de Munich pour la recherche en économie[[ [http://www.umweltbundesamt.de/uba-info-presse-e/presse-informationen-e/pe00603.htm ]] ainsi que Le Conseil allemand d’avis en environnement[ [http://www.umweltrat.de/03stellung/downlo03/stellung/Stellung_Reach_Juli2003_eng.pdf ]] ) ont fait une analyse critique de ces assertions. Ils ont démontré que la méthodologie utilisée était non fondée sur le plan scientifique et que les conclusions étaient préorientées. Les associations de protection de l’environnement en appellent au bon sens de chacun pour comparer les chiffres de l’étude de Fedichem avec ceux, plus objectifs, de l’étude d’impact de la Commission européenne (réalisée conjointement par les DG environnement et DG entreprises).
Selon un scénario très prudent, le modèle de la Commission européenne prévoit des bénéfices pour l’économie européenne de 50 milliards au cours des 30 prochaines années, rien qu’en ce qui concerne la santé. Les bénéfices en matière d’environnement qu’entraîneront la mise en oeuvre de REACH ne sont pas comptabilisés. Selon l’étude de la Commission, les coûts totaux, sur une période de 11 à 15 ans, s’élèveraient, pour les producteurs, à 2,3 milliards d’Euros et, en incluant les utilisateurs en aval, ils seraient de 2,8 à 5,2 milliards.
Pourquoi une telle différences dans les chiffres? L’industrie sur-estime systématiquement les coûts d’enregistrement. Elle ne tient, par exemple, pas compte qu’il existe déjà beaucoup de données sur les substances chimiques, même si elles sont encore actuellement derrière des portes fermées. En effet, selon le secteur lui-même, les entreprises effectuent des tests dans le cadre du programme “ Responsible Care ”. L’industrie veut aussi ignorer qu’au cours des années à venir, des tests plus rapides et meilleurs marchés seront agréés. Le recours à des méthodes informatisées (par exemple la méthode QSAR, Quantitative Structure Activity Relationships ) peut très sensiblement faire chuter le coût des tests.
Une autre faiblesse de ces études tient dans le fait qu’elles se limitent à examiner les coûts économiques du système pour les entreprises du secteur. Elles ne tiennent pas compte des bénéfices potentiels du système ni de l’avantage concurrentiel en découlant pour ces entreprises. Ainsi par exemple, avec le système actuel, pour les “nouvelles” substances mises sur le marché, des tests sont requis dès que les quantités produites dépassent 10 kg par an. Le nouveau système proposé porte ce seuil à 10 tonnes! Cette mesure concerne plus de la moitié des substances actuellement notifiées dans le cadre de la législation sur les substances nouvelles. Cette mesure allège grandement les procédures et obligations de tests et stimule donc l’innovation. C’est d’autant plus le cas, que les exigences des tests sont sensiblement amoindries.
Les études de l’industrie ne tiennent pas compte non plus des avantages économiques pour les utilisateurs résultant d’un cadre législatif favorisant la transparence (mesures claires et uniformisées, accès à l’information.). Actuellement, les producteurs de substances chimiques détiennent le monopole de l’information. Les utilisateurs industriels en aval sont totalement dépendants des canaux d’informations mis en place par le producteur. Cette situation freine ou empêche, dans le chef de l’utilisateur, une démarche plus pro-active en termes d’innovation et du choix de la substance la plus appropriée pour l’application considérée.
Il est fort étonnant que l’industrie ne prennent pas ces points en considération. Quels sont les objectifs réels des études financées par l’industrie? Grâce à un lobby fort puissant et massif, l’industrie chimique a réussi à réduire considérablement la portée et les objectifs initiaux du système REACH. Que veut-elle de plus ? Le système REACH ne serait-il pas un simple alibi utilisé par l’industrie chimique pour justifier les futures délocalisations des industries européennes et les pertes d’emplois à venir ? En fait, l’OCDE reconnaît une tendance à la délocalisation des entreprises du secteur chimique vers les pays hors-OCDE et cette tendance va selon l’OCDE se poursuivre au cours des prochaines années. L’emploi global dans le secteur de l’industrie chimique a considérablement diminué, ces dernières années, du fait des progrès réalisés en terme de productivité et de l’automatisation des procédés. L’Europe, par contre, tend à se spécialiser dans la production de substances chimiques en relativement faibles quantités pour des usages spécifiques.
Les coûts de mise en ½uvre de REACH doivent donc être placés dans le contexte social réel. Ces coûts représentent à peine 0,05 % du chiffre d’affaires global de l’industrie chimique. A titre indicatif, l’impact de l’augmentation du prix de l’énergie au cours de la période 1996-2000,quant à lui, correspondait à 2,6 à 3,4 % de ce chiffre d’affaires. Par ailleurs, les substances chimiques dans le régime actuel coûtent à la société énormément en terme de santé publique et grèvent d’autant le budget de l’Etat. Les autorités publiques doivent tenir compte non seulement des coûts pour le secteur mais aussi des bénéfices pour ce secteur et pour l’ensemble de la société.
Nous n’excluons pas que Fedichem et la FEB vont à nouveau présenter des chiffres tendancieux et une image déformée de la réalité. on peut craindre qu’ils ne feront guère état des avantages et de la nécessité d’une nouvelle législation européenne sur les substances chimiques, qui pourtant ne peut que mener à :
- la création de nouveaux marchés pour des produits moins dommageables pour la santé et l’environnement ;
- la diminution des risques d’actions juridiques en matière de responsabilité, qui coûtent des sommes énormes (exemple : amiante) ;
- une plus grande confiance des consommateurs et des travailleurs ;
- un accès au marché plus facile pour les nouvelles substances et donc de nouvelles potentialités pour le développement et l’innovation ;
- un cadre légal bien déterminé, permettant aux entreprises une planification à long terme ;
- une plus grande transparence et une meilleure communication entre les producteurs et les utilisateurs et in fine les consommateurs ;
- une amélioration de la santé de la population (soit une économie de plus ou moins 50 milliard d’Euros) ;
- une amélioration de la santé des travailleurs (soit une économie de l’ordre de 280 milliard d’Euro d’ici 2020, selon l’économiste britanique, le Prof. David Pearce[[David Pearce and Phoebe Koundouri : « The Social Cost of Chemicals – the Costs and Benefits of Future Chemicals Policy in Europe », May 2003.]] )
Pour plus d’information :
- Fawaz Al Bitar, Greenpeace, n° 0496 12 22 31, fawaz.al.bitar@be.greenpeace.org
- Anne De Vlaminck, Inter Environement Wallonie, n° 0479 497 656, a.devlaminck@iewonline.be
- Esmeralda Borgo, Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen, 0474 78 44 32, esmeralda.borgo@bblv.be
- Stefan Scheuer, European Environmental Bureau, 02 289 13 04, stefan.scheuer@eeb.org