PIR… Avec de telles initiales, cela ne présageait rien de bon… En trois lettres, PIR pour « permis d’intérêt régional » ou encore DAR pour décret des autorisations régionales, voici le nouveau Quasimodo législatif du Gouvernement wallon.
Le principe est très simple: certains permis seraient (vous constaterez l’utilisation du conditionnel…) délivrés par le Parlement et non plus par le Gouvernement pour des projets qualifiés « d’intérêt régional ».
L’intérêt régional ? Qu’est-ce à dire? C’est, dixit le texte, un concept lié à l’impact majeur sur le budget régional, au rôle structurant d’infrastructure de communication… bref surtout aux retombées socio-économiques (et l’environnement, et le patrimoine, ce sera croit-on comprendre un peu au second plan). C’est surtout une notion assez élastique pour accueillir maints projets en son sein généreux. Vingt emplois créés, ne sera-ce pas un jour l’intérêt régional ? Et le petit contournement de Farfouille-lez-Verdouilles, ne permettrait-il pas d’éviter des risques d’accident, et n’est-ce pas là l’intérêt régional ? Bref voici un projet de décret conçu pour une procédure d’exception qui risque bien… de n’être plus exceptionnelle du tout… Les auteurs de l’avant-projet de décret vous diront que le but de l’opération est soumettre ces demande de permis au Parlement, c’est à dire à l’institution censée être la plus être démocratique qui soit : voilà une bonne raison, et on ne la niera pas ! Notre Quasimodo a-t-il trouvé là le bel habit susceptible d’assurer son succès auprès de notre assemblée parlementaire, cette Esméralda peut-être pas si facile à séduire ? Ou finira-t-il à Montfaucon plus vite que prévu[Si vous vous perdez un peu dans les méandres de Notre-Dame de Paris, voyez [Wikipedia]] ?
L’avenir seul nous le dira ; mais comprendre ce qui se trame ici nécessite un petit retour en arrière. Pourquoi, d’abord, un tel avant-projet? Au delà du prétexte tout rose énoncé ci-dessus, certains membres du Gouvernement ne s’en cachent pas : il s’agit d’éviter les recours au Conseil d’Etat introduits par des ONG environnementales et des particuliers dans le cadre de dossiers qui présentent des enjeux « importants »[[le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour connaître des recours sur les décrets ; ceux-ci sont adressés à la Cour Constitutionnelle qui ne juge que de leur compatibilité avec certains articles de la Constitution.]]. Les déclarations de certains membres du Gouvernement l’énoncent le plus naturellement du monde : ceci concerne notamment, et particulièrement, certains dossiers qui présenteraient un intérêt régional majeur en termes budgétaire, économique, social,… Bref, soyons concrets, il s’agit avant tout (mais peut-être pas seulement…) de contourner les recours sur les contournements. Beau le message politique: « puisque certains dossiers en souffrance ne parviennent pas à voir le jour par la procédure que nous avons-nous-mêmes contribuer à élaborer, on va mettre en place un mécanisme pour la contourner !». Une nouvelle définition de la bonne gouvernance ?
Cela dit, nous pourrions nous estimer flattés. Pondre un décret-cadre pour éviter nos recours, c’est nous prêter beaucoup (un peu trop ?) de pouvoir. Comme expliquer en long et en large dans un précédant article de nIEWS, les ONG, cela ne fait, en nombre, pas tant de recours que cela et surtout, ces recours ont généralement une raison d’être. IEW, en la matière, c’est un peu comme le grand hamster ou le crapaud calamite : si toutes ces espèces rares nous faisaient la grâce de disparaître, on serait plus tranquilles pour bétonner…
Reste que le projet ne va pas sans quelques dégâts collatéraux. Faut-il vraiment pour cela faire délivrer les permis par ceux-là qui sont censés légiférer pour les encadrer? Et la séparation des pouvoirs, dans tout ça ? Faut-il vraiment donner certains permis par des décrets de la même « valeur » que les Codes censés encadrer la délivrance des permis, ce qui ouvre la porte à l’arbitraire – un arbitraire non voulu par les auteurs du texte, soit ; mais, par les portes ouvertes n’entrent pas que ceux qui y sont invités… Enfin, et surtout : faut-il vraiment contourner le Conseil d’Etat ? Que devient là-dedans le droit de recours ouvert en principe à tout citoyen face aux actes administratifs qui le concernent ? On nous répond que la Cour constitutionnelle sera désormais compétente et que des recours seront toujours possibles – donc que cela ne change rien. Mais alors pourquoi ce tapage ?
Trop de recours au Conseil d’Etat ? Il suffit de voir le site dudit Conseil pour constater qu’en effet, l’encombrement du rôle est une réalité ; et il suffit de connaître un peu le terrain pour comprendre toute la difficulté d’avoir encore un consensus autour d’un projet quel qu’il soit… Mais des mille et un moyens qu’on pouvait imaginer pour résoudre le problème, celui retenu par le Gouvernement semble bien le pire, et le Conseil d’Etat lui-même n’a d’ailleurs pas manqué de tirer à boulet rouge sur ce pamphlet législatif : anticonstitutionnel dans les grandes largeurs, le projet est bon à passer aux oubliettes.
Cela dit, IEW se sentant une responsabilité dans l’affaire, nous nous en voudrions de ne pas contribuer aux solutions qui ouvriront à notre Région les voies d’un avenir radieux. Voici donc nos « Recommandations d’IEW au Gouvernement wallon pour éviter les recours d’IEW ».
1.« Simples et claires les lois tu feras. » Il ne faut pas être grand clerc en effet pour comprendre que la loi est la surface d’ancrage du recours comme le roc celle du lichen. Sur un rocher aussi découpé que le CWATUP on peut faire pousser beaucoup de lichen. (Une solution pour faire de la biomasse ? Non je blague…)
2.« Correctement les procédures tu conduiras ». Quand on loupe une partie de l’évaluation des incidences ou des procédures de consultation du public, il faut s’attendre à des misères. On sait bien que c’est devenu compliqué, mais tout de même, quand on voit le nombre de dossiers où on a foiré la procédure, on se dit pas à ce point-là…
3.« Tes actes et tes déclarations d’intention, en cohérence tu mettras » . Car les intentions sont souvent les meilleures. Prenez le SDER, par exemple, qui énonce tant d’excellents principes d’aménagement: on n’essayerait pas de s’y tenir? Ah mais, il n’est qu’indicatif.. ; Oui mais, il faut quand même motiver les décisions quand elles s’en écartent… et l’insuffisance de motivation est un moyen de recours au Conseil d’Etat… Alors tu fais un beau document d’intention pour faire plaisir à Madame l’Europe qui te le demande, puis tu fais tout le contraire, paf, ça te retombe sur le nez. Donc ne fais pas le contraire, tu t’en porteras mieux.
Voilà, ce ne sont que trois tout petits conseils. Ils ne sont pas très difficiles à mettre en ½uvre. Non seulement ils n’enfreignent pas les principes de la démocratie mais à bien réfléchir il semble même qu’ils y contribuent. Il nécessitent une miette de bon sens mais le Wallon n’en manque pas. Evidemment s’il faut respecter soigneusement toute la procédure et réfléchir longuement les lois cela prend parfois un peu de temps… mais la démocratie n’en prend-elle pas ? Et n’est-elle pas la condition pour que les gens de Wallonie se reconnaissent encore dans les pouvoirs qui les gouvernent ?
Car « Le temps est l’architecte, le peuple est le maçon » (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris).