Courant octobre 2009, le Ministre wallon ayant l’énergie dans ses attributions, Jean-Marc Nollet, a tranché : les primes pour le photovoltaïque, c’est fini. Cette décision a priori étonnante dans le chef d’un ministre vert a divisé le secteur tandis que le grand public – au sein duquel les plus nantis se sont dépêchés de profiter des largesses publiques tant qu’il était encore temps – s’est lui surtout demandé pourquoi supprimer une prime destinée au développement d’une énergie renouvelable. Il nous semble donc important de faire le point sur le présent et l’avenir des primes en matière d’énergie.
Les primes aux investissements économiseurs d’énergie ou producteurs d’énergie renouvelable sont souvent présentées comme une condition nécessaire – voire même suffisante pour certains – pour relever le défi de l’amélioration énergétique du parc résidentiel wallon. Les faits ne confirment pourtant pas les discours : ces primes – fort nombreuses au demeurant – n’ont à ce jour qu’une efficacité relativement faible.
Etat des lieux
La moitié du parc de logements wallon nécessite impérativement un investissement pour en améliorer l’efficacité énergétique, et ce pour des raisons environnementales évidentes mais aussi, voire surtout, sociales. En effet, la question énergétique propre au résidentiel présente une dimension sociale dont il convient de tenir impérativement compte. Examiner la part de la facture énergétique et son évolution dans le pouvoir d’achat des ménages permet de se rendre compte d’une dimension de la question.[[La part de l’énergie dans le budget des ménages varie du simple au double en fonction des revenus : pour être plus efficace, une politique URE doit donc parvenir à prendre en compte à la fois les bas revenus (un budget énergie proportionnellement important mais une faible capacité d’investissement) et les hauts revenus (le poste énergie est marginal dans le budget, mais la capacité d’investissement est haute).]]
Même si une rénovation « énergétique » totale ne concerne que 2 à 3% des logements considérés et que les rénovations réalisées aujourd’hui sont souvent partielles, au rythme actuel, il faudra entre 30 et 50 ans pour parvenir à isoler correctement la moitié du parc de logements existants. Une augmentation de rythme s’impose donc, c’est inévitable.
Et les politiques menées à jour doivent être repensées [[Cette intention figure dans la déclaration de politique régionale wallonne pour 2009-2014]].
Parmi les mesures d’isolation mises en ½uvre par les ménages, le double vitrage est la plus répandue (70% des ménages). L’isolation des murs extérieurs, bien plus complese il est vrai dans le cas de rénovation, est décidée par 42% des Wallons, celle du toit par 43% et enfin du sol par 14%.[Les données en la matière divergent comme le montre l’étude de Wallenborn,G. & al. (2006) [Détermination de profils de ménage pour une utilisation plus rationnelle de l’énergie, PADD II, Politique Scientifique Fédérale.
Selon Francis Carnoy, directeur de la Confédération de construction wallonne, 64% des habitations ont une isolation du toit, 38% des murs extérieurs et 28% du sol. Selon une enquête menée par SONECOM (Enquête sur la qualité de l’Habitat en Région wallonne, pour le compte de la DGATLP-DGO4, 2006) il resterait 17% de toitures non isolées; seuls 21% des maisons unifamiliales possèdent une isolation de la dalle du sol et 30% une isolation de leurs murs extérieurs.]]
Ajoutons à cet inquiétant constat relatif au parc existant que, jusqu’il y a peu, 90% des nouvelles constructions ne respectaient pas les normes d’isolation, pourtant inférieures à celles d’autres pays et en deçà de l’optimum économique.[Wallenborn,G. & al. (2006)]] Eurima, la Confédération européenne des fabricants d’isolants, indique d’ailleurs que l’isolation en Belgique est une des plus mauvaises d’Europe.[[D’après les chiffres d’[Eurima, depuis 1982, il n’y a eu quasi aucune augmentation de l’épaisseur d’isolation des murs creux en Belgique. Seule une nette amélioration a pu être constatée en matière d’isolation de toit.]]
La Confédération de la construction estime qu’un traitement énergétique de base – à savoir isolation de la toiture et remplacement des châssis et de la chaudière – de la moitié la moins performante du parc résidentiel belge permettrait de réduire les émissions de CO2 de quelques 15% [Rapport annuel 2007 – Construire pour demain]], ce qui permettrait d’atteindre les objectifs assignés par le paquet législatif européen.[[Une réduction de 20% sur le parc existant partiellement neutralisée par une augmentation du parc et des émissions qui y seront liées. Source : Rapport annuel 2007 – Confédération de la Construction.]] Dans un avis rendu en 2003[[Conseil fédéral pour le développement durable (2003) – [Avis cadre sur les obstacles à la mise en ½uvre des mesures de réductions des émissions de gaz à effet de serre économiquement rentables (mesure « no regret »).]], le Conseil fédéral du développement durable (CFDD) a souligné qu’à peu près 30% de l’objectif de Kyoto (qui impose une diminution des émissions de 7,5%) pourrait être atteint par des mesures rentables à court terme.
Les primes suffiront-elles pour relever le défi ?
Le principal promoteur de primes en matière d’économies d’énergie est la Région.[[L’Etat fédéral offre des déductions d’impôts et des crédits d’impôts sur les mêmes (ou presque) investissements économiseurs d’énergie.]] Elle offre des primes à la fois pour la modification de l’enveloppe du bâtiment (isolation) et pour l’amélioration des appareils de chauffage et de régulation thermique (chaudières, pompes à chaleur, etc.), le tout pouvant être encadré par des audits énergétiques. La Région offre également des primes en matière d’installation de systèmes individuels de production d’énergie : panneaux solaires thermiques et photovoltaïques. Ces derniers ont été l’objet d’une promotion intense en 2008 et ont fait l’objet de nombreux investissements. On constate que ces primes sont octroyées sans audit énergétique préalable. [[La situation est identique pour les déductions fiscales.]] Par ailleurs, la situation énergétique du parc de logements wallon est mal connue. Elle est certes appelée à s’améliorer à travers la procédure d’avis énergétique (PAE) et la mise en ½uvre de la performance énergétique des bâtiments (PEB) mais cette dernière – peu ambitieuse – ne concerne que les bâtiments neufs et la PAE n’est d’application que lors de transactions. L’évolution sera donc lente, d’environ 1% par an.
Les investissements cités comme prioritaires dans tous les rapports consacrés à la performance énergétique des bâtiments (isolation du toit, des murs, châssis double vitrage…) sont loin de représenter la part la plus importante du montant des aides octroyées alors qu’ils forment l’essentiel des économies d’énergie. Une partie importante des budgets de l’Etat et des Régions est consacrée à des investissements dits « secondaires » : ils devraient en effet être faits à la suite des autres pour être vraiment efficaces. Il convient en effet d’abord d’isoler le logement et de mettre en ½uvre des mesures d’utilisation rationnelle de l’énergie, pour consommer le moins possible d’énergie, avant de produire de l’énergie (cas des panneaux solaires).
Signalons également la faiblesse des demandes d’audits énergétiques. Le Wallon estime savoir ce dont son logement a besoin et effectue les investissements dans ce sens. Il s’avère pourtant que cette connaisance est loin d’être parfaite et est souvent incohérente (remplacement du vitrage, isolation du toit, placement de panneaux solaires photovoltaïques, etc.). L’audit énergétique est pourtant un outil indispensable qui est susceptible de mettre à jour des lacunes rédhibitoires comme, par exemple, les ponts thermiques.
En 2008, 44 129 dossiers donnant droit à une ‘prime énergie’ ont été traités en Région wallonne. Cela représente un montant de 23 660 002 ¤. A titre de comparaison, le plan Soltherm (panneaux solaires thermiques) représente 3 962 dossiers pour 7 982 600 ¤ et le plan Solwatt (solaire photovoltaïque) 2 040 dossiers pour 6 569 454 ¤.[[Source : Service public de Wallonie.]] Nous sommes donc à un petit 40 millions d’euros d’argent public. Important, certes, mais 10 fois moins que, par exemple, les 400 millions d’euros prévus pour le projet CHB (12,5 km de liaison autoroutière à l’est de Liège). Un enjeu prioritaire, l’énergie ?
Enfin, des primes spécifiques sont prévues pour les ménages à bas revenus (système MEBAR).[[La majorité des primes (90 %) du système MEBAR sert au placement d’appareils de chauffage décentralisé, ce qui fait de Mebar un instrument social (fort utile) visant à donner un confort thermique aux personnes qui ne disposent pas de moyens de chauffage et non un outil incitant à l’utilisation rationnelle de l’énergie.]] Ces ménages ont-ils toutefois les moyens d’investir dans des travaux économiseurs d’énergie ? Il semblerait que non : en effet, même si la prime couvre une partie financière importante, un nombre conséquents de ménages sont incapables de financer l’investissement. Pour les ménages aux revenus les plus faibles, le système des primes est donc insuffisant.
Le tiers-investisseur : la solution à promouvoir
Dans une position communiquée fin juin, la Fédération a détaillé une série de propositions en matière d’incitants aux économies d’énergie. La Fédération estime que le mécanisme du tiers-investisseur doit remplacer la politique actuelle de primes et d’incitants fiscaux. Le montant ainsi « économisé » par les pouvoirs publics servirait de garantie pour le système bancaire qui officierait comme tiers-investisseur. Ceci permettrait d’augmenter considérablement la masse financière prêtable. Pour inciter les ménages les moins aisés à rentrer dans ce mécanisme, un « bonus » pourrait leur être accordé.
La question financière n’est pas tout, loin s’en faut
Pour accompagner ces mesures financières, des mesures « sociologiques » s’imposent. Les comportements « économiseurs d’énergie » sont encore trop fréquemment vécu par les citoyens comme des contraintes imposées qui restreignent leur liberté de choix et surtout qui leur imposeraient une sorte de retour en arrière, une régression qui entâcherait leur niveau de vie. Le travail de sensibilisation et d’information reste donc capital pour faire évoluer les mentalités. Sa complémentarité avec les mesures financières doit, à ce titre être réfléchie et implémentée soigneusement. Enfin, il est encore et toujours nécessaire de travailler avec les professionnels du secteur. On entend encore trop souvent des citoyens témoigner d’informations contradictoires, reçues par des professionnels.
Extrait de nIEWs (n°64, du 12 au 26/11),
la lettre d’information de la Fédération.
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