La question de la mise en place « de juridictions vertes » ou « des juges verts » était au c½ur d’un colloque organisé par le Centre d’étude du droit de l’environnement (CEDRE) en septembre dernier[[Colloque du 9 septembre 2009 organisé à Bruxelles par le CEDRE intitulé « Acteurs et outils du droit de l’environnement.. Développements récents, développements (peut être) à venir ». Orateurs B. JADOT et L. LAVRYSEN « Des juges et des juridictions spécialisés en matière d’environnement? ».]], question qui a toute sa pertinence sachant qu’actuellement une réforme de la justice est en cours. Les propos qui suivent n’ont nullement pour but de trancher la question de l’opportunité de mettre en place de telles juridictions mais plus modestement de faire état de quelques réflexions et aussi de certaines questions qui se posent à l’heure actuelle.
La thématique environnementale figure de manière croissante dans les médias et est en bonne place dans les préoccupations de plus en plus de citoyens. Cette évolution sociétale ne se reflète pas encore dans le cursus universitaire : le droit de l’environnement, loin de faire partie intégrante de l’enseignement obligatoire, y constitue tout au plus un cours à option. De ce fait, bon nombre de juges n’ont probablement pas de formation de base en droit de l’environnement, matière pourtant particulièrement complexe et technique. Face à des dossiers relatifs à des problèmes de pollutions ou aux manquements d’une entreprise occasionnant un dommage environnemental important, il se pourrait que, dans certains cas, le juge ne dispose pas des connaissances requises et suffisantes pour trancher adéquatement le litige qui lui est soumis et que, dans le doute, il prenne une décision qui ne garantit pas la protection de l’environnement.
Avant d’aller plus loin dans l’élaboration de la question, il est important d’opérer une distinction entre les juridictions de l’ordre judiciaire et la juridiction administrative qu’est le Conseil d’Etat.
Il ne fait aucun doute que le Conseil d’Etat dispose de compétences et d’une expérience avérées dans le domaine environnemental et de l’aménagement du territoire et a, à cet égard, développé une jurisprudence plus qu’abondante. Mais, le Conseil d’Etat se prononce sur la légalité d’actes administratifs (permis d’urbanisme, d’environnement par exemple) et ne pourra donc être saisi pour des infractions environnementales comme, par exemple, une pollution générée par une société qui aurait déversé des substances toxiques dans une rivière. De tels litiges relèvent de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire.
A ce niveau, conviendrait-il de mettre en place des juridictions spécialisées en droit de l’environnement, lesquelles ne traiteraient que de cette thématique spécifique? Compte tenu du caractère parfois fort technique des dossiers, un autre point à éclaircir serait de savoir si la composition de cette juridiction pourrait être mixte (càd un siège composé de juges et de personnes qui revêtiraient d’avantage une casquette de « scientifiques »). Conviendrait-il par ailleurs de créer une juridiction par arrondissement judiciaire? Dans l’affirmative, et dès lors que la taille d’un arrondissement judiciaire n’est pas celle d’un autre, le nombre de dossiers sera-t-il suffisamment important pour faire fonctionner cette juridiction en permanence?
Ou encore: à défaut de mettre en place une juridiction spécialisée en droit de l’environnement, ne conviendrait-il pas alors de spécialiser les juges à cette thématique par l’obligation d’assister de manière plus régulière à des conférences, des formations en la matière?
D’autres questions demeurent. Si on tend vers une spécialisation des juges dans le domaine environnemental, serait-il encore opportun de solliciter du juge qu’il soit appelé à connaitre d’autres dossiers dans des thématiques telles que des procédures de divorce, de succession, …?
Au delà des compétences du juge lui-même, une spécialisation du Parquet et des juges d’instruction pourrait probablement s’avérer adéquate. En effet, dans bon nombre de dossiers environnementaux dont est saisi le pouvoir judiciaire, il n’est pas rare que le fait générateur de la procédure juridique en tant que telle consiste en un dépôt de plainte à la police locale, au Procureur du Roi ou entre les mains du Juge d’instruction. Il est donc primordial que les premiers acteurs de la machine judiciaire puissent également disposer des compétences requises pour apprécier adéquatement le dossier qui leur est soumis.
Il faut bien se rendre compte qu’il n’est pas nécessairement aisé pour un juge de statuer sur des infractions urbanistiques et environnementales. En effet, outre le caractère particulièrement technique des ces matières, les législations évoluent très (trop?) régulièrement à un point tel que même les praticiens (personnel de l’administration, avocats, magistrats) peuvent être décontenancés et s’y perdre.
Autre problème qui se pose aux tribunaux judiciaires, et non des moindres : la poursuite d’infractions environnementales est le plus souvent sollicitée par des associations de protection de l’environnement. Or, pour introduire une action devant les tribunaux de l’ordre judiciaire, il faut disposer d’un intérêt légitime personnel et direct. Un tel intérêt n’est que très rarement reconnu par le juge judiciaire en faveur des associations environnementales. Donc, vu que bon nombre de procédures judiciaires liées à des infractions environnementales sont introduites par des associations et que lesdits recours sont régulièrement déclarés irrecevables à défaut d’intérêt dans le chef de l’association, le juge n’a donc pas l’opportunité de se prononcer sur le fond du dossier et, par conséquent, de développer son expertise au niveau du droit de l’environnement.
Gageons que cet ensemble de réflexions ne manquera pas de refaire surface dans un avenir plus ou moins proche…