« Si l’on regarde au-delà des inquiétudes à court terme qui ont empoisonné les débats sur la population au niveau politique, il apparaît de plus en plus clairement que la viabilité de la civilisation à long terme nécessitera non seulement une stabilisation du nombre d’êtres humains, comme on l’a estimé, sur les 50 prochaines années, mais également une réduction colossale à la fois de la population et de la consommation. » Kenneth Smail.
Parler de contrôler et de réduire la population humaine est un sujet éminemment délicat qui suscite des débats passionnels. Ce faisant, on touche en effet à la fois aux convictions religieuses, au problème du droit à la vie, etc. La simple allusion à cette problématique revient à activer des idées de cauchemars tels que l’eugénisme ou le racisme organisé.
Pourtant, aussi complexe que soit la question, il est indéniable qu’accroissement de la population et problèmes (socio) environnementaux sont intimement liés. La population humaine est passée d’un milliard d’individus en 1800 à près de 7 milliards aujourd’hui. Selon les spécialistes, cet accroissement devrait légèrement ralentir pendant la 1ère moitié du 21ème siècle. Mais, selon les estimations moyennes, la Terre devrait héberger 9,1 milliards d’individus en 2050. Sur une planète aux ressources très limitées et aux écosystèmes fragiles, la démographie s’avère donc un enjeu considérable au 21ème siècle[[La Démographie reste un défi. Dossier Démographie: objectif partage, in La revue durable n°24 (mars-avril 2007)]].
Il est évident que nous, pays industrialisés, produisons et consommons beaucoup trop, et que nous devons mettre tout en oeuvre pour réduire notre empreinte écologique. Que signifie pratiquement se focaliser sur des objectifs de réduction de l’empreinte écologique par personne en évitant tout objectif de réduction de population[J. Feeney, Return of the population timebomb, in [le Gardian, 5/05/2008 ]] ? Aujourd’hui, selon les auteurs du Global Footprint Network, l’empreinte écologique soutenable par personne est de 1,8 ha globaux sur base d’une population de près de 7 milliards d’individus. A 9 milliards d’individus en 2050, – cette empreinte n’est plus que de 1,3 ha globaux. Ces empreintes écologiques de 1,8 et de 1,3 ha globaux sont équivalentes aux empreintes mesurées pour des pays comme le Botswana ou le Niger respectivement. En 1960, la Belgique avait déjà une empreinte écologique de quasi 3 ha globaux. Aujourd’hui, celle-ci atteint 5,1 ha globaux. Peut-on raisonnablement penser que l’on parviendra à réduire notre empreinte jusqu’à 1,3 ha globaux suffisamment rapidement et sans renoncer à un niveau de vie même sommaire ?
Qui plus est, ce chiffre critique de 1,3 ha globaux risque encore de diminuer dans les décennies à venir. En effet la surface productive totale de la Terre (et donc la biocapacité par personne) va selon toute vraisemblance diminuer à cause des changements climatiques (désertification et montée des eaux) mais aussi parce que l’empreinte de l’humanité dépasse aujourd’hui de 30% la capacité de régénération de la planète, ce qui signifie que le capital naturel de la Terre s’érode et que les ressources même renouvelables seront de moins en moins disponibles.
Par ailleurs, des pays comme la Chine et l’Inde qui à eux-seuls comptent 2,5 milliards de personnes sont en train d’adopter un mode de vie de plus en plus « à l’occidental » avec des impacts environnementaux colossaux. A côté de cela, 1 milliard de personnes n’ont même pas accès à l’eau potable. Laisser la possibilité aux pays du Sud d’atteindre un niveau de bien-être matériel plus confortable est un droit incontestable qui se traduira vraisemblablement par une empreinte écologique plus élevée pour eux.
Nous ne pouvons plus faire l’économie du débat autour de l’accroissement de la population mondiale. Comme l’exprime Vincent Chenet, fondateur de « casseur de pub », » Les politiques natalistes aveuglent à l’écologie débouchent sur la dénatalité; le dépassement de la capacité de charge des territoires conduit à ruiner les conditions de vie des générations futures.[Vincent Cheynet, Un débat miné, Les cahiers de l’IEESDS, n°3, juillet 2009]] « Plusieurs chercheurs et organisations ont développé des positions sur la population mondiale future optimale; ces estimations s’échelonnent de 1 à 3 milliards d’individus. Selon Kenneth Smail, professeur au département d’anthropologie du Kenyon College, « un changement démographique de cette amplitude nécessitera une réorientation majeure de la pensée, des valeurs, des attentes et des modes de vie de l’humanité. Il n’y a pas de garanties quant au succès d’un tel programme. Mais si l’humanité échoue dans sa tentative, la nature imposera certainement une réalité encore plus dure.[[J.Kenneth Smail, Faire face à l’inévitable, [L’Etat de la planète magazine ]] ».
Tous les pays du monde sont concernés par cette problématique à différents niveaux. Dans une large majorité des pays industrialisés, la population est aujourd’hui stabilisée ou en déclin, à l’exception notoire des Etats-Unis, où elle grossit au rythme de trois millions d’habitants par an[La forte poussée démographique des Etats-Unis aggrave leur bilan écologique; Dossier Démographie: objectif partage, in La revue durable n°24 (mars-avril 2007)]] . Avec l’augmentation de l’immigration due aux problèmes socio-économiques et environnementaux, cette situation risque de se généraliser dans d’autres pays occidentaux. Une toute récente étude[[La Belgique sous-estime l’augmentation de la population in [le Vif l’Express 04/11/2009 ]] prévoit qu’en 2020, il y aura 11,5 millions de Belges contre 10,4 millions actuellement. Notre pays n’y serait pas préparé car les précédentes estimations prévoyaient une diminution de la population.
L’accroissement démographique du prochain demi-siècle restera le plus important dans les pays les plus pauvres. Or, même si ces populations ne seront pas les premières à peser sur le niveau des réserves pétrolières et le réchauffement climatique, leur essor soulèvera d’immenses difficultés: des centaines de millions de personnes buteront sur un manque d’eau, de bois et de sols. Et l’effort à fournir pour soigner, éduquer, loger des populations citadines de plus en plus nombreuses est colossal.
Les pays du Nord doivent se donner les moyens de soutenir des programmes respectueux des peuples du Sud pour atteindre cet objectif de réduction de population. Les pistes envisagées par les experts sont multiples. John Cleland[[J. Cleland, Remettre la planification familiale au coeur de l’agenda du développement, in La Revue Durable, La revue durable n°24 (mars-avril 2007)]] propose de remettre la planification familiale au c½ur de l’agenda du développement. Selon lui, la perte du lien entre la baisse de la natalité et le développement économique durant les années 1990 a relégué la planification familiale en bas de la liste des priorités de la coopération internationale. Depuis, les fonds alloués au planning familial sont en chute libre au profit des programmes de lutte contre le sida. La démographie reste pourtant incontrôlée dans de nombreux pays, en particulier en Afrique subsaharienne. Faciliter l’accès aux méthodes contraceptives est bien sûr une autre piste. Dans de nombreux pays, les femmes ne sont pas libres d’espacer ou de limiter leurs grossesses. Centres d’approvisionnement trop lointains, exigences médicales inadaptées, pression familiale ou tout simplement ignorance sont quelques-uns des obstacles qu’elles doivent surmonter pour accéder aux moyens modernes de contraception[[Martha Campbell, Faciliter l’accès aux méthodes contraceptives, La revue durable n°24 (mars-avril 2007)]].
La réduction de la pression exercée sur l’environnement par l’humanité doit se faire par les deux bouts de l’équation: réduire rapidement l’empreinte écologique par personne et donc la production et la consommation dans les pays industrialisés mais aussi réduire la population mondiale.
Le titre est celui du livre controversé de P. Ehrlich , La Bombe P, Ed. Fayard, 1971.
Extrait de nIEWs (n°66, du 17/12/2009 au 14/01/2010),
la Lettre d’information de la Fédération.
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