Santé : l’expertise en question

En apparence neutres, les expertises scientifiques permettent aux autorités de fonder les décisions prises dans l’intérêt général. Mais quelques bémols, et de taille, entachent notre système d’expertise. L’absence de transparence et les conflits d’intérêts en sont les plus flagrants et ont été mis en évidence dans plusieurs exemples concrets lors du colloque « Santé: l’expertise en question. Conflits d’intérêts et défaillances de l’évaluation ».

Organisé le 04 mars 2010 par le Criigen, la Fondation Sciences citoyennes et le Réseau ENSSER (Réseau européen de scientifiques pour une responsabilité sociale et environnementale) au Parlement Européen, sous l’égide de Corinne Lepage, Frédérique Rise et Fiona Hall, députées européennes, ce colloque abordait plusieurs cas précis illustrant tant les défaillances de l’évaluation des risques que de la prise de décision par les autorités publiques.

L’exemple le plus emblématique de la (non) prise de décision par les autorités publiques est sans doute celui du Bisphénol A. Ainsi, au 31 décembre 2004, sur 115 études réalisées sur les mammifères, 82% présentaient des résultats positifs et mettaient en évidence des impacts du BPA sur la santé. En excluant les études réalisées sur la souche de rat « CD-SD », qui présente une moindre sensibilité aux ½strogènes, ce taux atteint 96 %. 31 études montraient par ailleurs des impacts à des doses inférieures à la Dose Journalière Admissible (DJA) de l’EFSA (European Food Savety Authority) considérée (à tord donc) comme sans danger. Des études épidémiologiques, réalisées chez l’homme, montrent également des effets du BPA : troubles du comportement, de la sexualité, risques cardiovasculaires, diminution d’efficacité de la fécondation in vitro, etc. Pourtant, les autorités sanitaires européennes n’ont toujours pas revu à la baisse la DJA et n’ont pris aucune mesure pour limiter l’exposition des groupes les plus vulnérables à ce perturbateur endocrinien. Seule mesure annoncée: une révision de la position de l’EFSA pour le mois de mai et l’organisation d’un groupe de travail d’experts par l’OMS au mois d’octobre.

Autre cas abordé lors de cette journée, celui du Neurontin. En 1977, la firme Parke-Davis dépose un brevet pour la gabapentine (Neurontin ®), approuvée en 1993 en co-traitement pour certaines formes d’épilepsie. Le Neurontin ® représente alors plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaire. Mis au courant d’une promotion de ce médicament hors indications validées (donc pour son efficacité supposée dans des affections autres que l’épilepsie), un collaborateur de Parke-Davis démissionne et intente un procès qui condamne lourdement la firme. Les 8000 pages reprenant les différents documents du procès, entrées dans le domaine public, on mis en évidence les stratégies de marketing, les objectifs, tactiques et programmes et collaborations parmi les médecins et les institutions de la firme. Ainsi, le procès de la gabapentine a montré que la firme a utilisé les résultats de 21 études pour la promotion de ce médicament hors indications : seules 12 de ces études étaient publiées dans des revues scientifiques, avec un (certain) contrôle du comité de lecture, et seulement huit d’entre elles montraient des résultats favorables. De plus, les documents ont révélé la stratégie d’intrusion de la firme dans la formation médicale continue : choix de promoteurs locaux rémunérés, souvent leaders d’opinion, organisation de séances de formation médicale continue avec l’aide de tiers rémunérés, le tout sans la moindre considération pour les potentiels conflits d’intérêt.

La mise au jour des biais auxquels de nombreuses expertises sont soumises peut être tant le fait de la mobilisation de la société civile organisée que de l’action d’individus isolés, tels les lanceurs d’alerte. Mais la situation de ces derniers est parfois fort peu enviable: le cas de Marc-Edouard Colin, spécialiste des abeilles à l’INRA (Institut national de recherches agronomiques), qui après avoir découvert que des doses infinitésimales d’imidaclopride peuvent intoxiquer les abeilles, fut sommé de changer de sujet d’étude. Ou encore celui de Gilles-Eric Séralini qui, ayant montré des impacts du maïs OGM Monsanto sur la santé des rats fait aujourd’hui l’objet d’une campagne de diffamation de chercheurs connus dans la communauté scientifique pour leur soutien quasi-inconditionnel aux OGM.

Les pistes d’actions sont nombreuses pour améliorer la situation – mais pas forcément « faciles » à mettre à ½uvre. Ainsi, concernant l’évaluation des risques en tant que tel, il est temps de se détourner du paradigme de Paracelse selon lequel « la dose fait le poison » et qui a largement montré ses limites, pour prendre également en compte le moment de l’exposition (et de la vulnérabilité spécifique à la période de gestation), les interactions entre substances et les relations doses-effets non linéaires.

« Désenclaver les scientifiques, les faire sortir des laboratoires pour échanger avec la société civile, encourageant ainsi les citoyens à se former pour décider en connaissance de cause, affirmer le rôle des associations et le potentiel d’expertise citoyenne – les objectifs ont été atteints. La balle est maintenant dans le camp des législateurs que nous avons essayé de sensibiliser. ». Telle est la conclusion de la fondation Sciences citoyennes qui ne compte pas en rester là dans son action de vigilance.

Les présentations faites lors de la journée du 4 mars sont par ailleurs disponibles sur leur site de Sciences citoyennes.

Leah-Anne Thompson – Fotolia.com

Extrait de nIEWs (n°74 du 29/4 au 13/5),

la Lettre d’information de la Fédération.

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Valérie Xhonneux

Anciennement: Santé & Produits chimiques