On connaissait le greenwashing, pratique marketing permettant à une entreprise aux pratiques environnementalement contestables – voire carrément condamnables – de se (re)verdir l’image par une communication qui la montre en disciple du “développement durable”, prêchant l’amour de la nature et le respect de la vertu écologique. Le message paraît le plus souvent aussi crédible qu’un manifeste de stars porno prônant pudeur et chasteté mais pourtant, certains y croient. Il est vrai qu’à partir du moment où on peut vendre Dominique Strauss-Khan comme socialiste et Marc Lévy comme écrivain sans susciter l’hilarité à défaut de la révolte, le principe du “plus c’est gros, mieux ça passe” (sans lien avec les stars évoquées précédemment) semble pouvoir se décliner sans limites…
On connaissait donc le greenwashing et voilà que l’on découvre le greenpressing.
Ici, plus question de changer l’image, on la crée de toute pièce en collant une étiquette verte sur du tout et du n’importe quoi que l’on conforme au modèle souhaité à grand renfort d’amidon sémantique. La voiture électrique devient ainsi le prototype du véhicule “propre” au prétexte qu’elle n’émet pas de CO2 en roulant. Peu importe somme toute son bilan en terme d’énergie grise. Et que l’on ne vienne surtout pas chicaner en évoquant les dommages environnementaux (et sociaux) liés à l’extraction du minerais nécessaire pour ses batteries. Quant à la schizophrénie du discours appelant à réduire la consommation électrique (N’oubliez pas: choisissez les ampoules basse consommation et éteignez vos appareils en veille!) tout en vantant ces wattomobiles, il faut vraiment être un grincheux peine à jouir et rétrograde pour la relever… Ce culte naissant de la voiture électrique mériterait de longs développements mais ce n’est pas l’objet de cette chronique motivée par un autre avatar du greenpressing, “100%BIO”.
“100%BIO”, c’est un “supplément gratuit au journal Le Soir du 17 septembre”. Soit dit en passant, on se félicite que ces feuilles fussent gratuites car il en aurait été autrement, l’escroquerie de la chose n’aurait pas été qu’intellectuelle!
“100%BIO”, donc, s’intéresse au… bio. Terme qu’il convient de comprendre dans une acceptation particulièrement large, avec bienveillance et ouverture d’esprit, puisqu’un des “articles” contenus dans cette publication propose, je cite, “Nos bonnes résolutions pour une rentrée bio”, au rang desquelles on trouve, j’énumère : “Mettre un couvercle sur les casseroles” – “Vérifiez la consommation énergétique de vos appareils électriques” – “Evitez l’eau de javel” – “Lavez votre linge à l’eau froide” – “Eteignez vos plaques électriques avant la fin de la cuisson” – “Eteignez votre ordinateur” – “Mettez du solaire dans votre jardin” – “N’utilisez plus de lingettes ménagères” – “Faites attention aux emballages” –“ Rendez-vous au travail en vélo”… De l’éco-conseil de base dans lequel on peine à trouver une trace de bio. Mais il y a pire. L’explication justifiant de “laver votre linge à l’eau froide” énonce en effet: “De nos jours, avec les nouveaux détergents et les textiles modernes, l’eau chaude ne sert plus à rien.” On peut légitimement et fortement douter que ces “nouveaux détergents” qui permettent de nettoyer le linge à l’eau froide soient bio voire simplement respectueux de l’environnement. Et on peut parier son pantalon sans risquer l’exhibitionnisme que les “textiles modernes” dotés des mêmes pouvoirs à basse température sortent des centres d’étude de la pétrochimie plutôt que de champs voués à la culture de chanvre bio.
Autre perle rédactionnelle recueillie au fil de la lecture et plus précisément au détour d’un texte donnant “Les clés d’une assiette bio”: “Je fais tremper mes fruits et légumes. Je les laisse 15 minutes dans l’eau froide pour réduire leur teneur en pesticides.” Le conseil apparaît aussi incongru que de recommander à un chauve de se couper régulièrement les cheveux afin de les renforcer. Mais on n’est pas au bout du surréalisme: “Et puis je récupère l’eau pour arroser mes plantes.” Là, on concèdera le caractère pratique et économe de la démarche mais l’utilisation d’une eau supposément chargée de pesticides pour abreuver les plantes laisse quelque peu perplexe dans le cadre d’une approche bio…
Je ne prolongerai pas davantage l’analyse de contenu sinon pour m’arrêter sur un article prônant “Du bio aussi pour Médor”.
Au risque de paraître succomber à un moralisme aussi facile que bon marché, je considère que vanter de la nourriture bio pour animaux a quelque chose d’indécent et immoral. Sans même évoquer les “petits Africains qui crèvent de faim”, il m’apparaît particulièrement inconvenant de proposer à des chiens, chats, hamsters, poissons rouges ou canaris une alimentation haut de gamme et coûteuse alors que dans notre propre pays, une personne sur sept vit sous le seuil de pauvreté, ne mange pas tous les jours à sa faim et doit se contenter de produits “premiers prix” dont elle n’a pas le loisir de se demander s’ils sont “sains, sûrs et respectueux de la nature”, encore moins si “leur transit est largement facilité” ou s’ils peuvent “contrer certaines allergies”. Ceci étant dit sans la moindre animosité envers les possesseurs d’animaux domestiques… au nombre desquels je compte d’ailleurs. Une situation qui, si je dois en croire “100%BIO”, fait de moi un pollueur surclassant les conducteurs de Land Rover ou de Porsche Cayenne!
Sous le titre “Nos chiens polluent plus que des 4X4”, j’ai en effet découvert que selon des chercheurs de l’Université Victoria de Wellington, en Nouvelle-Zélande, un chien de taille moyenne aurait une empreinte écologique deux fois supérieure à celle d’un véhicule 4X4. “En cause, non pas les capacités motrices de nos animaux de compagnie (sic) mais ce qu’ils avalent par jour: un chien de taille moyenne a besoin chaque année d’environ 164kg de viande et 95kg de céréales. Cela correspond à 0,84 hectare de terres agricoles nécessaires pour produire sa nourriture. Tandis qu’un 4X4 qui parcourt 10.000 kilomètres par an nécessite 0,41 hectare de terre pour produire l’énergie utile à son fonctionnement. Soit deux fois moins qu’un chien.” Voilà que mon brave Bearded Collie nuit plus à la santé de la planète que les Hummers et autres SUV que j’ai pris l’habitude de vouer – injustement: mon Dieu pardonnez-moi, je ne savais pas ce que je faisais… – aux gémonies! Il ne me reste plus qu’à m’asseoir sur mes convictions ou à prendre rendez-vous chez le vétérinaire pour une euthanasie…
L’”information” atteint un tel niveau de stupidité qu’elle ne mériterait pas que l’on s’y arrête si elle n’était pas intégrée telle quelle par de nombreux lecteurs. Je me la suis ainsi vue brandir à plusieurs reprises aux cours de ces quinze derniers jours. Il importe donc bien de repréciser certaines petites choses.
Ten eerste: Contrairement à ce que le titre annonce et que le texte répète, il n’est pas ici question de “pollution” mais d’”empreinte écologique”. A ce que je sache, contrairement à celle d’un 4X4, la “combustion”/digestion d’un canidé n’émet qu’un volume infime de CO2 et pas du tout de particules fines. J’ajouterai que les excréments de la bête peuvent dans certains cas avoir une fonction fertilisante! Par ailleurs, quid de l’énergie grise liée à l’existence de ce 4X4 alors que naissance, vie et mort de Médor s’inscrivent dans un cycle naturel ?
Ten tweede: Bien que la bête soit annoncée de “taille moyenne”, on peut s’interroger sur la corpulence d’un molosse qui ingurgite quasiment 500 gr de viande par jour!
Ten derde: Un rapide calcul, ne prétendant donc pas à l’exactitude scientifique mais se basant bel et bien sur les paramètres de l’empreinte écologique, situe l’empreinte d’un 4X4 roulant 10.000km/an aux environs de 2,5 hectares au lieu du 0,41 annoncé…
Ten vierde: La part essentielle de l’alimentation animale est produite à partir des abats et “déchets” échappant à la consommation humaine et qui, sans cette “valorisation”, seraient incinérés avec les conséquences environnementales que l’on devine. Un élément essentiel passé sous silence…
En fin de compte, ces chiffres balancés sans aucune explication quant à la méthode de calcul, sans mise en perspective et sans regard critique n’ont strictement aucune valeur… ni d’ailleurs aucune prétention journalistique. Malheureusement, ils peuvent avoir de sérieux effets pervers sur des lecteurs les assimilant sans le moindre recul.
Méfions-nous des arnaques et contre-façons: tout ce qui se prétend vert ne l’est pas et on peut afficher une sympathique étiquette “100%BIO” et s’avérer non seulement profondément con mais aussi nuisible.
Pur produit de greenpressing, ce prétendu “supplément” n’a d’autre fonction que publicitaire. Son pseudo-contenu rédactionnel, décliné en corps 16 avec double interligne, ne sert qu’à appâter et mettre en condition un public étroitement ciblé auquel on va balancer de la pub tout aussi ciblée. Ainsi, sur les 28 pages que compte le cahier, plus de la moitié sont effectivement constituées d’annonces, pour des produits bio mais aussi un “pressing écologique”, un centre de bien-être avec “cabine sauna infrarouge”, la “clinique du cheveu” ou encore un magasin spécialisé dans les minéraux et l’ésotérisme.
Jamais avare d’une connerie, Jacques Séguéla déclarait récemment dans le journal “Libération” que la publicité constitue, entre autre, un “ (…) moteur démocratique. En finançant tout ou partie des médias, la pub est le sponsor du pluralisme.” Avec “100%BIO” et ses corelégionnaires, on a dépassé cette situation déjà perverse où, pour paraphraser Lénine, “la liberté de la presse, c’est la liberté de l’argent”. On est cette fois dans un contexte où la “presse” sert la soupe à la pub, dans une sorte d’apogée de la manipulation marketing où une publication bidon met in fine l’enjeu environnemental au service d’une pratique qu’il est censé combattre. Y‘a pas à dire, ils sont forts les lascars…!