L’actualité nous bombarde constamment de chiffres, notamment en matière de budgets. Il est difficile de se faire une idée précise de leur(s) signification(s) et des enjeux réels qu’ils recouvrent sans prendre le minimum recul nécessaire à une mise en perspective. Petit exercice à partir de quatre chiffres récents relatifs à la mobilité en Région wallonne.
1) 885 millions d’euros : c’est le budget du « plan route » du gouvernement wallon, qui peut légitimement être rebaptisé « Plan Marshall 2.route » au vu des montants engagés (rappelons que le premier Plan Marshall était doté d’un peu plus de un milliard d’euros de financement). Il s’agit de rattraper en cinq ans le retard d’entretien du réseau routier wallon. Il est assez piquant de constater que ce retard s’est accumulé pendant les années où la priorité absolue a été accordée à l’extension du réseau, aujourd’hui de taille démesurée par rapport aux besoins[Il est instructif de comparer la longueur de route par habitant dans différentes régions d’Europe. Un wallon « bénéficie » de près de 24 m de routes payées par ses impôts, là où un hollandais s’en sort très bien avec 8 m. Voir [La dette de la route, lettre des CCATM n° 59.]]. Il est également piquant de voir ce plan d’entretien financé notamment par un prêt de 250 millions d’euros à la BEI, la Banque européenne d’investissement. Nous voici donc un peu plus endettés pour les 25 prochaines années, mais qu’on se rassure… les remboursements ne commencent qu’à la fin des travaux.
Sans mettre en cause un nécessaire retour à une politique d’entretien « en bon père de famille » – trop longtemps délaissée en Wallonie – la situation impose toutefois d’élargir le champ de réflexion vers des solutions novatrices telles que le déclassement de certains tronçons du réseau, ou leur réservation à des usages nettement moins dégradant, comme les modes doux et les véhicules légers[Voir la 1].
2) 357 millions d’euros : c’est le budget des mesures d’accompagnements rendues nécessaires par le développement des aéroports régionaux entre 2004 et 2010. Les riverains des aéroports de Liège et de Charleroi – plus de 6600 familles – ont pu « bénéficier » de cette manne pour se faire reloger, ou pour améliorer l’isolation acoustique de leur maison.
Certains diront que c’est beaucoup d’argent, d’autres souligneront que cela reste trop peu, au vu des situations engendrées pour les familles concernées. C’est en tous cas une fraction du montant total investit par nos gouvernants dans le développement du transport aérien[On pense, bien sûr, aux infrastructures directement liées à l’aviation, mais citons aussi les subsides directs ou indirects à Ryanair, qui coûtent au contribuable plusieurs millions d’euros par an, ou encore le projet controversé, mais validé en avril dernier, de [gare souterraine sous l’aéroport de Gosselies pour un montant de près de 500 millions d’euros.]].
3) 318,4 millions d’euros : c’est le montant de la subvention d’exploitation annuelle au groupe TEC. Cette subvention, qui permet au groupe TEC d’offrir un service public de qualité à un prix abordable[[Le prix d’un ticket de bus ne couvre pas tous les frais d’exploitation engendrés par le transport d’un passager.]], a été gelée au niveau 2008 par le Gouvernement précédent. Le groupe TEC, victime de son succès, se retrouve aujourd’hui dans une situation financière très précaire, malgré quelques surplus attribués in extremis par l’actuel Gouvernement. Sa belle performance – une augmentation annuelle moyenne de 7 % du nombre de voyageurs transportés au cours des cinq dernières années – lui met du plomb dans l’aile. En conséquence, un plan d’économies a été annoncé : une augmentation moyenne des tarifs de 6% et la suppression de certains bus, notamment tôt le matin ou tard le soir, pourraient prochainement être mises en ½uvre. Espérons que dans le cadre des négociations actuelles entre le Gouvernement wallon et le groupe TEC pour la définition de son nouveau contrat de gestion, le non-sens qui pousse le TEC à réduire l’offre lorsque la demande augmente sera levé par un mécanisme de subventionnement plus judicieux.
4) 18 millions d’euros : voici le budget du plan « Wallonie Cyclable » qui a pour objectif d’équiper 6 à 8 communes (sur les 262 que compte notre Région) en aménagements cyclables dignes de ce nom d’ici à 2014, de manière à y développer significativement la pratique du vélo. Ce projet va mobiliser une partie significative des moyens que la Région se donne en matière de politique cyclable. L’idée est de se concentrer sur un nombre limité de communes afin de pouvoir arriver à un impact significatif en matière d’usage du vélo.
Au niveau des priorités, les choses sont claires : la Région wallonne sait trouver des moyens colossaux pour continuer sa politique favorable à la route et au développement de l’activité aéroportuaire, mais peine à soutenir son réseau de transport en commun (sans parler de la planification de son développement) et ne peut se permettre – dans l’état actuel des choses – de réelles ambitions en matière de politique cyclable que pour 3 % de ses communes d’ici à la fin de la législature.
Dans sa Déclaration de Politique Régionale, le Gouvernement s’engageait à « prendre toutes les mesures nécessaires pour favoriser, pour les personnes, un transfert modal des véhicules motorisés vers les transports en commun et les modes doux, en garantissant à chaque citoyen une réelle liberté de mouvement, souple, adaptée et en toute sécurité. De la même manière, des mesures seront prises pour favoriser, à chaque fois que cela s’avère possible, le recours à la voie d’eau et au rail pour le transport des marchandises, en lieu et place de la route et de l’aérien. »
Il est temps – même si c’est l’étape la plus difficile – de passer de la parole aux actes. Heureusement, la contrainte budgétaire pourrait in fine faciliter les choses. Ainsi, si l’on en croit le maire de Copenhague, une ville où 15 à 20% des déplacements se font à vélo, un kilomètre parcouru en voiture provoque un coût de 10 cents pour la collectivité. Le même kilomètre parcouru en vélo, rapporterait au contraire 16 cents à la collectivité. S’il est clair que l’estimation précise des coûts directs et indirects des différents modes de transport (coûts des infrastructures, de la pollution, de la congestion, des accidents…) est un exercice qui a ses limites, le message est clair : investir plus dans les modes doux et moins dans la voiture individuelle est un choix intelligent pour l’avenir – d’un point de vue environnemental, tout le monde le sait – mais aussi d’un point de vue strictement budgétaire !