L’Union européenne (UE) s’est fixé pour objectif de porter la part des sources d’énergie renouvelables à 10% dans le secteur des transports d’ici 2020, objectif qui dans les faits sera atteint dans une très large mesure grâce à l’incorporation d’agrocarburants dans les carburants conventionnels. Raison invoquée : réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport tout en assurant des débouchés pour l’agriculture communautaire et en réduisant notre dépendance au pétrole. A l’échelle mondiale, les agrocarburants bénéficient d’un véritable engouement puisque de nombreux pays émergents ou industrialisés (Etats-Unis, Japon, Brésil) se sont engagés dans la même voie.
Une nouvelle étude[ [Anticipated Indirect Land Use Change Associated with Expanded Use of Biofuels in the EU Cette étude a été réalisée à la demande de: ActionAid, BirdLife International, ClientEarth, European Environmental Bureau, FERN, Friends of the Earth Europe, Greenpeace, Transport & Environment, Wetlands International.]] réalisée par l’Institut pour la politique environnementale européenne (IEEP) vient relancer les critiques contre cette politique déjà très décriée. Cette étude analyse les plans d’actions nationaux énergies renouvelables rendus en juin par les Etat membres[ [L’étude a analysé les 23 plans d’énergies renouvelables qui ont été remis en Octobre 2010 (Autriche, Bulgarie, Chypre, République tchèque, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Espagne, Suède et Royaume Unis).]] dans le cadre de la Directive européenne sur les énergies renouvelables – plan que la Belgique n’a toujours pas remis. Ces plans spécifient les développements prévus en matière d’agrocarburants pour le transport et ont permis de calculer les impacts de cette politique sur les changements dans l’utilisation des terres et les émissions de CO2. Les résultats sont alarmants :
d’ici 2020, 9,5% des carburants utilisés pour le transport seront remplacés par des agrocarburants. Ceux-ci proviennent pour 90% de l’agriculture (huile de palme, canne à sucre, betteraves sucrières, graines oléagineuses, etc.);
jusqu’à 69 000 km² de terres agricoles supplémentaires seront nécessaires au niveau mondial pour remplir les objectifs de l’Union, une superficie égale à plus de deux fois la Belgique;
les agrocarburants seront ainsi responsables de l’émission de 27 à 56 millions de tonnes de gaz à effet de serre supplémentaires par an d’ici 2020, soit l’équivalent de 12 à 26 millions de voitures supplémentaires sur les routes européennes.
La directive européenne sur les énergies renouvelables contient pourtant des critères de durabilité qui doivent assurer que les Etats ne prennent en compte que les agrocarburants qui contribuent réellement à une diminution des gaz à effet de serre (35% minimum par rapport à leur équivalent fossile). Le problème est que ces critères sont tout à fait insuffisants et ne tiennent pas compte des changements indirects d’affectation des sols (Indirect Land Use Change ou ILUC). Les cultures à des fins énergétiques ne viennent pas seulement remplacer les forêts primaires (changements directs d’affectation des sols) mais elles prennent bien souvent la place de cultures alimentaires qui, elles, se retrouvent déplacées sur des nouvelles terres (changements indirects d’affectation des sols). Les cultures à des fins énergétiques sont ainsi un moteur important de la déforestation, avec pour conséquence… une augmentation des émissions de CO2! L’étude montre ainsi que sauf changement de politique de l’UE, les agrocarburants que l’Europe va utiliser au cours des dix prochaines années auront un effet sur le climat entre 81 et 167% plus néfaste que les combustibles fossiles.
Par ailleurs, le rapport montre l’approvisionnement en agrocarburants reposera en bonne partie sur les importations, en moyenne 50% pour le bioethanol et 41% pour le biodiesel en 2020. La politique européenne donne aux entreprises un chèque en blanc pour poursuivre l’accaparement des terres et fouler aux pieds les droits fonciers des populations locales. Alors que l’insécurité alimentaire continue d’augmenter en Afrique, des cultures vivrières sont ainsi injustement mises en concurrence avec les cultures énergétiques. Pour 2011, la FAO met en garde dans ses nouvelles Perspectives de l’alimentation, qu’il “faut se préparer à des temps difficiles si la production des principales cultures vivrières n’augmente pas sensiblement en 2011.” Dans un tel contexte, il est criminel de poursuivre une politique qui utilise les productions agricoles pour faire rouler nos voitures tout en aggravant nos émissions de CO2.