86 cyclistes tués chaque année sur nos routes belges ! L’info, lâchée le 6 mars dernier par le sénateur Guido De Padt (Open VLD), sur base de la réponse à deux questions écrites posées au Secrétaire d’Etat à la Mobilité, Etienne Schouppe (CD&V), a fait frissonner les cyclistes quotidiens qui peuplent chaque jour davantage nos artères (toujours) foisonnantes d’automobiles. Et surtout, elle a dû dissuader plus d’un automobiliste de monter en selle, malgré le retour des beaux jours qui invitait à la balade. Après la diffusion dans la presse, il y a quelques mois, de messages sensationnalistes qui laissaient penser que rouler à vélo était nocif pour la santé – du fait de l’absorption plus importante de pollutions atmosphériques – on en vient à se demander si faire du vélo est désormais devenu une pratique à risque. Faudra-t-il bientôt ajouter l’autocollant « Pédaler tue » sur les rayons deux-roues du Décathlon? Restreindre l’usage de la bicyclette aux plus de 16 ans? Voire, qui sait, empêcher les cyclistes de s’adonner à leur plaisir quotidien pour raisons de santé publique?
Non, bien sûr, nous n’en sommes pas là, et loin de nous l’idée de prêter de telles intentions au personnel politique soucieux de la sécurité de ses concitoyens. Nous avons voulu, tout de même, et parce que ce genre de déclaration fracassante fait plus de tort à l’image du vélo qu’il n’y paraît, faire le point sur les dangers réels de la pratique du deux-roues… et sur les mesures prioritaires qui pourraient réduire l’insécurité des cyclistes.
Prenons d’abord le cas des polluants locaux. Selon les résultats préliminaires de l’étude belge SHAPES[Exposure to particulate matter in traffic : A comparison of cyclists and car passengers, par Luc Int Panis, Bas de Geus, Grégory Vandenbulcke, Hanny Willems, Bart Degraeuwe, Nico Bleux, Vinit Mishra, Isabelle Thomas and Romain Meeusen, Atmospheric Environment Volume 44, Issue 19, June 2010, Pages 2263-2270.]] (Systematic analysis of Health risks and physical Activity associated with cycling PoliciES) , dont le rapport final devrait être bientôt publié, les quantités de particules fines (PM10) et très fines (PM 2,5) seraient de 6 à 9 fois plus élevées dans les poumons des cyclistes que dans ceux des automobilistes, du fait d’une ventilation 4,3 fois plus élevée consécutive à l’exercice physique. Ce que l’étude montre, plus précisément, c’est que pour une densité de particules données, un cycliste en plein effort serait plus affecté qu’un automobiliste. Mais dès que le cycliste passe par des itinéraires moins sujets à la congestion automobile, l’exposition aux polluants atmosphériques diminue de manière drastique – et les bénéfices liés à la pratique du vélo reprennent largement la main. [Un test, effectué en 2008 dans le cadre de la même étude, a par ailleurs montré qu’un automobiliste, roulant au volant de sa voiture sur autoroute, subissait deux fois plus de particules fines qu’un cycliste pédalant dans la rue de la Loi à Bruxelles. Cette observation, par ailleurs étayée par d’autres études[[VANDENBULCKE, G. et al, « Cycle commuting in Belgium : spatial determinants and ‘re-cycling’ strategies », novembre 2009.]] , souligne qu’une distance, même minime, – grâce à l’aménagement d’une piste cyclable séparée par exemple – entre le cycliste et la source de pollution – en l’occurrence l’automobile – permet de réduire de manière importante l’exposition aux pollutions atmosphériques. Le vélo reste donc une pratique de mobilité avantageuse pour la santé, alors que l’inactivité physique est la deuxième cause de décès prématuré dans les pays industrialisés, après le tabac[[BMA (British Medical Association) (1992). Cycling toward Health and Safety. Oxford University Press, London ;
Pucher, J., Komanoff, C., Schimek, P. (1999). Bicycling renaissance in North America? Recent trends and alternatives policies to promote bicycling. Transportation Research Part A 33, 625-654 ;
WHO (World Health Organization) (2002a). 30 minutes for a healthy life span. Press release EURO/07/02, Copenhagen and Rome ;
WHO (World Health Organization) (2002b). A Physically Active Life through Everyday Transport, with a Special Focus on Children and Older People, and Examples and Approaches from Europe. Regional Office for Europe, Copenhagen.
]] .
Les cyclistes sont-ils pour autant condamnés à « mourir en bonne santé »? Qu’en est-il de la dangerosité de la pratique du vélo sur nos routes? Là encore, il faut de la mesure en toute chose. Ainsi, en analysant dans le détail les statistiques de sécurité routière de l’IBSR (Institut Belge de Sécurité Routière) pour l’année 2008[Pour une analyse détaillée, voir [le site de ProVélo ]], on peut relativiser quelque peu l’émoi médiatique qu’a suscité cette publication.
On y compte certes 8.122 cyclistes victimes (accidentés ou tués) de la route mais aussi 9.642 motards, 4.645 piétons, 3.085 camionneurs et 37.757 automobilistes ! L’évolution en presque vingt ans est d’ailleurs largement positive : le nombre et la gravité des accidents impliquant au moins un vélo ont régulièrement diminué. Le nombre de décès a ainsi été réduit de près de 50% entre 1991 et 2008 (voir tableau et graphique p. 141), alors même que le nombre de cyclistes augmentait chaque année sur nos routes. Par ailleurs, on remarque que l’existence d’infrastructures cyclables a une influence importante sur l’accidentologie cycliste. Ainsi, 59% des accidents impliquant un cycliste ont lieu en-dehors de toute piste cyclable (marquée au sol ou séparée de la chaussée). Ceci rejoint les conclusions d’autres études qui soulignent l’importance primordiale d’infrastructures de qualité pour assurer la sécurité des cyclistes[[Hopkinson, P., Wardman, M. (1996). Evaluating the demand for new cycle facilities. Transport Policy 3 (4), 241-249]] .
Alors, la bicyclette, dangereuse pour la santé? Non, le vélo reste un moyen simple et économique de conserver une bonne condition physique tout en préservant l’environnement. Et il deviendra une véritable cure de jouvence lorsque les responsables politiques prendront les mesures qui s’imposent pour veiller à la pleine sécurité des usagers actifs. Parmi celles-ci, une politique d’aménagement du territoire volontariste, incluant une réduction de la place de la voiture dans l’espace public, une concentration urbaine et la mise en place d’itinéraires cyclables sécurisés. Mais aussi une politique de sécurité routière qui envisage la santé des cyclistes au-delà du « port du casque obligatoire » et qui ose prendre le chemin d’une réduction globale des vitesses autorisées, tel que le préconise le GRACQ dans sa campagne « Ville 30 ».
Extrait de nIEWs 90, (17 au 31 mars 2011),
la Lettre d’information de la Fédération.
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