De l’étalement urbain, on entend souvent parler. En Wallonie, peut-être plus qu’ailleurs. Il est vrai que le phénomène y atteint un niveau assez invraisemblable. Des “Clos des lilas”, des “Coteaux des peupliers”, des “Val sauvage”… se multiplient comme des petits pains, sur fond d’une rhétorique trompeuse.
Ce faisant, c’est le territoire wallon qu’on transforme. Et d’aucun diraient : pas forcément dans la bonne direction. Entre Eupen et Mouscron, d’une vaste étendue de campagne ponctuée de villes et villages, le territoire wallon se mue lentement en quelque chose d’ uniforme mais indéfinissable : des chapelets de maisons avec leurs routes, ici et là un parc d’activités ou un shopping-center, et parfois – oh surprise –, l’un ou l’autre champ ou massif boisé. Un étrange espace, en définitive, assez éloigné d’une organisation urbanistique durable.
L’étalement urbain atteint des proportions alarmantes en Wallonie : Waterloo, à gauche, Erpent, à droite (crédits : Google Earth)
Si ce « cul-de-sac » urbanistique suscite rarement l’enthousiasme de nos responsables politiques – du moins ostensiblement –, il reste que la situation ne cesse de s’aggraver. On constate l’étendue des dégâts, on la regrette, on évoque même les pires scénarios catastrophes : l’explosion de l’utilisation de la voiture individuelle, les pics de consommation énergétique, les pertes en surfaces agricoles… Mais face au mal de la « quatre façades » et à l’inefficacité des politiques publiques, on peine à renouveler l’action, les recettes déployées pour endiguer le phénomène demeurant pour la plupart très éprouvées.
Dans ce qui fait déjà réellement figure d’océan législatif, on vient verser l’un ou l’autre nouveau texte ad hoc. Dans la plus pure tradition de l’urbanisme réglementaire, on produit des lois, plus de lois. Peu importe les effets réels de ces lois. Peu importe si elles ont, ou non, les effets tangibles recherchés. Peu importe si ces lois changent concrètement quelque chose à la réalité territoriale. A ce stade, une parenthèse : laissons tout de même le bénéfice du doute aux permis d’urbanisation et noyaux d’habitat flambants neufs, derniers venus de cet urbanisme réglementaire wallon. On jugera à la pratique.
Ce qui, par contre, est certain, et ceci quelles qu’en soient les raisons, c’est qu’en Wallonie on ne s’attaque pas frontalement au mal du lotissement « quatre façades ». Par manque de moyens ? Par manque d’ambitions ? Par respect « religieux » pour la propriété privée ?… En tout cas, le Public, en Wallonie, peine à opérationnaliser son action. Dommage. Un dommage d’autant plus amer quand on découvre la littérature spécialisée dans la réparation des dégâts de l’étalement urbain.
L’étalement urbain, une problématique poussée à son extrême aux Etats-Unis ; à gauche, Turnersville (New Jersey) avec son retail park et ses « quatre façades », à droite, Glassboro (New Jersey) avec ses cul-de-sac résidentiels (crédits : Google Earth)
D’inspiration très anglo-saxonne – le territoire américain est à coup sûr aujourd’hui la quintessence même du suburbain ravagé –, cette littérature de combat a multiplié ces dernières années les ouvrages techniques qui sont devenus des quasi modes d’emploi pratiques à l’intention des urbanistes et aménageurs. Dans ces ouvrages, se trouve rassemblé, typologie bâtie par typologie bâtie, un vrai arsenal d’interventions possibles. Leur unique dessein : repenser les plus chaotiques des développements résidentiels suburbains, pour, quand c’est possible, en faire des configurations urbanistiques soutenables et conviviales. De pareilles lectures on sort rondement outillé et à même de rééquilibrer, re-urbaniser, voire restaurer des espaces dégradés. Dans cet urbanisme très opérationnel, Sprawl Repair Manual de Galina Tachieva fait office de référence. Introduisons brièvement son travail.
Galina Tachieva propose d’intervenir à plusieurs échelles : au niveau de la région, du quartier, de la parcelle. Elle invite ainsi les décideurs à faire et de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, car jouer parallèlement sur les deux matières serait, aux yeux de la chercheuse, absolument nécessaire pour parvenir à des résultats probants.
Cette approche actée, il faut choisir où intervenir prioritairement, car on ne peut intervenir partout. Ne peuvent être investis que des sites « bien situés ». A ce crible, des quartiers de « quatre façades » loin de tout pôle ne seront peut-être pas jugés prioritaires… La chercheuse propose d’apprécier le potentiel d’ « évolution » du quartier au travers d’une grille d’analyse à cinq critères : structure du quartier, infrastructures viables, performance environnementale, stock de logements, faisabilité financière. Et si un espace, invalidé par cette analyse, risque de se voir reconverti en terres agricoles ou en espace naturel, un quartier considéré éligible pourrait lui devenir le terrain d’interventions urbanistiques massives le transformant en centre urbain en bonne et due forme. Et pour ce faire, on recrée des rues et des alignements, on divise les parcelles, on reconnecte des cul-de-sac, on crée des espaces publics, on instille de la verdure, on ferme les ilots, on donne une place au piéton, on diminue le parking, on élève davantage les bâtiments, on développe un linéaire commercial en rez-de-chaussée, on développe une mixité des fonctions, on crée des logements collectifs… La liste est loin d’être exhaustive.
Intervention urbanistique sur un shopping-center ; à gauche, la situation avant intervention, à droite, la situation après intervention ; au passage, le shopping-center et ses gigantesques surfaces asphaltées auront été transformées en un quartier urbain, dense et mixte (crédits : Sprawl Repair Manual, Galina Tachieva)
C’est ainsi l’ensemble des configurations urbanistiques et architecturales problématiques qui est passé au crible de la durabilité et métamorphosé : parcellaire de maisons unifamiliales, shopping-center, chaussée commerciale, business park, campus suburbain, retail park, autoroute de pénétration, cul-de-sac pavillonnaire, parking. Si, dans les travaux de la chercheuse, c’est bien le territoire américain qui constitue le terreau de l’analyse, rien ne vient remettre en cause la pertinence de s’en inspirer ailleurs, y compris chez nous, le territoire belge ayant indéniablement évolué dans un sens très atlantiste depuis les années 1950. Waterloo, Erpent ou Embourg l’illustrent très clairement.
Projet d’intervention pour une suburb chaotique d’Atlanta, Mableton, aux Etats-Unis : à gauche, la situation existante, à droite, la situation projetée (crédits : Sprawl Repair Manual, Galina Tachieva)
Alors pourquoi ne pas faire le pas ? Et, une fois de plus, copier ce qui se fait aux Etats-Unis ?! Il suffirait de presque rien. Juste peut-être d’un peu d’opérationnel dans le chef des autorités ?
En tout cas, pour l’heure, nous, nous nourrissons l’espoir que le Sprawl Repair Manual et le reste de cette littérature de combat trouvent davantage d’échos dans l’aménagement du territoire wallon.