« L’augmentation du trafic routier au cours de la dernière décennie est principalement due à la croissance du parc automobile puisque les kilomètres parcourus par voiture restent relativement constants ». C’est l’un des constats majeurs d’un récent (29 mars 2012) rapport du Service public fédéral Mobilité et Transport (SPF MT) intitulé « Kilomètres parcourus par les véhicules belges durant l’année 2010 ». Ce document très intéressant mérite à plus d’un titre que l’on s’y attarde.
Avant toute chose, une petite mise au point méthodologique. Les chiffres repris dans la publication annuelle des recensements de la circulation du SPF MT et publiés sur le site du SPF Economie sont relatifs au nombre de kilomètres roulés chaque année par les voitures belges sur les routes belges. Pour l’année 2010, il s’agit de 78.14 milliards de km. La publication dont il est question ici s’intéresse au total des kilomètres roulés par les voitures belges, en et hors Belgique. Les chiffres sont basés sur l’enregistrement des kilométrages de la plus grande partie du parc automobile (contrôles techniques et Car-Pass). Pour l’année 2010, il s’agit de 82,56 milliards de km.
Kilomètres stabilisés et parc en croissance
Il est intéressant de croiser les données présentées dans le document avec deux autres informations : d’abord le nombre de voitures dans le parc automobile belge, ensuite le prix maximal des carburants à la pompe. La figure 1 présente l’évolution, pour les années 2003 à 2010, du parc automobile et du nombre total de kilomètres roulés par les voitures belges. Si le nombre de kilomètre connaît quelques fluctuations – avec notamment une baisse marquée en 2005 et 2006 sur laquelle nous reviendrons, le parc, lui, croît sont « petit » bonhomme de chemin (+ 72.800 voitures par an sur la période considérée), visiblement insensible aux aléas du marché automobile mondial.
Figure 1 : Parc de voitures et kilométrage total des voitures belges (en milliards de km)
Un kilométrage moyen fluctuant
Afin de mieux appréhender les phénomènes intervenus en 2005 et 2006, il est utile de mettre en parallèle (figure 2) le kilométrage total de toutes les voitures belges avec leur kilométrage moyen. La baisse est plus accentuée (-5 ,6% entre 2004 et 2006) pour le kilométrage moyen que pour le total des kilomètres roulés (-3,6%). De plus, une deuxième baisse, plus limitée, intervient en 2008, qui n’apparaît pas dans l’évolution du nombre total de kilomètres roulés par les voitures belges. Ces effets d’atténuation sont imputables à la croissance du parc comme expliqué en introduction.
Remarquons au passage que derrière le kilométrage moyen existent de très fortes disparités en fonction du type de carburant, de l’âge de la voiture et de la région où elle est immatriculée. Ainsi, une voiture essence wallonne de 6 ans parcourt 10.500 km par an tandis qu’une diesel flamande de 1 an en roule 26.200 km et une diesel bruxelloise 31.000 km. L’importance du chiffre en région bruxelloise est, comme expliqué dans le document du SPF MT, « lié à la proportion relativement plus grande de voitures de société (33%) » dont le kilométrage annuel moyen est supérieur à celui des voitures privées.
Le SPF MT commente ainsi la différence dans le kilométrage en fonction de l’âge de la voiture : « il est établi que des voitures plus anciennes sont responsables, en moyenne, de plus d’émissions de gaz polluants par km. Par contre, leur proportion dans le calcul des kilomètres parcourus est plus faible. Il s’agit d’un facteur important dont il faut tenir compte lors de l’élaboration d’une politique de la mobilité. »
Figure 2 : kilométrage moyen des voitures belges et nombre total de kilomètres roulés par les voitures belges (en milliards de km)
Prix du carburant et kilométrages : une relation intime et conflictuelle
La figure 3 illustre la relation plus qu’intime entre prix des carburants et kilométrage moyen des voitures. Pour améliorer la lisibilité de la figure, seul le prix du diesel est mentionné (celui de l’essence suit une évolution fort similaire). En 2005, le prix du diesel augmente nettement par rapport à 2004 et franchit le cap symbolique de un euro au litre (il s’agit bien ici d’une moyenne annuelle du prix maximum à la pompe : les prix ont fortement fluctué au cours de l’année 2005). En conséquence, le kilométrage moyen des voitures diminue fortement. En 2006, le prix du diesel augmente faiblement. Le kilométrage moyen poursuit sa chute. Stabilisation du prix du diesel en 2007 et remontée du kilométrage moyen. Augmentation sensible du prix du diesel en 2008 et diminution du kilométrage moyen. Phénomène inverse en 2009 (baisse de l’un, augmentation de l’autre) puis nouvelle inversion en 2010 (hausse de l’un, baisse de l’autre). Certes, d’autres phénomènes (conjoncture économique notamment) concourent à expliquer l’évolution de la consommation de carburant. La figure 3, cependant, permet de dégager trois grands enseignements :
• il existe un seuil (de l’ordre de un euro) en-dessous duquel la hausse du prix du carburant a peu d’impact sur le kilométrage moyen ;
• au-delà de ce seuil, l’effet du prix du carburant sur la consommation – et donc le kilométrage moyen par voiture – est très marqué à l’échelle d’un an :
• après deux années de stabilisation des prix, l’effet sur la demande s’annule et la consommation repart à la hausse.
Figure 3 : évolution du kilométrage moyen des voitures belges et du prix du diesel
Bien faire et laisser dire ou … rien faire et laisser croître
Malgré ces baisses récentes (le kilométrage moyen effectué en 2010 est plus faible que celui enregistré en 2003), le kilométrage moyen des voitures belges reste exceptionnellement élevé. En chiffres ronds, les voitures hollandaises roulent 15% de moins que les belges, les françaises 18% de moins et la moyenne européenne est 10% sous la moyenne belge.
Il est intéressant de rapporter le kilométrage moyen à la population en le multipliant par le taux de motorisation. Pour la Belgique, le calcul donne 15.649 (km) X 0.487 (voiture par personne) = 7.616 km annuel par Belge (indicateur que le SPF MT a malheureusement nommé « kilométrage en tant que conducteur », appellation induisant une certaine confusion nous semble-t-il). Le même calcul appliqué à la Hollande, la France et l’Union européenne conduit à des valeurs respectivement 20%, 16% et 13% plus faibles (en chiffres ronds toujours).
Que conclure de tout ceci ? Que le marché automobile belge se porte bien, merci pour lui. Que ceci s’explique notamment par la part importante des voitures immatriculées au nom d’une société (remplacées plus souvent que les voitures privées) dans les ventes de véhicules neufs (près de 50%). Mais également par des aspects culturels profondément ancrés dans les mentalités. Que tant qu’une taxe de mise en circulation calibrée à cette fin ne viendra pas modifier les comportements d’achat, nos espaces publics continueront à se remplir de toujours plus de voitures. Que seul le prix du carburant semble à même, pour le moment, d’agir à la baisse sur le nombre de kilomètres roulés annuellement par chaque voiture. Que la mobilité automobile continue d’augmenter alors même que les sociétés de transport en commun (TEC, STIB, DE LIJN et SNCB) connaissent des croissances marquées (de l’ordre de + 100% de voyageurs sur la dernière décennie pour les trois premières et +50% pour la SNCB) : le Belge continue donc à se déplacer de plus en plus. Et que, donc, nous ne sommes pas sortis de l’auberge : la maîtrise de la demande reste l’axe principal d’une politique de mobilité durable. Ceci a été souligné à de nombreuses reprises. Notamment par le Conseil fédéral du Développement durable (CFDD) dans son avis-cadre pour une mobilité compatible avec le développement durable de 2004 et par la Conférence européenne des ministres des transports (CEMT) dans un document de 2003. La maîtrise de la demande est le seul axe qui permette de réduire toutes les incidences négatives associées au système de mobilité actuel. C’est également le seul qui n’est pratiquement pas emprunté (a contrario, les politiques de transfert vers les modes moins polluants se développent et le soutien aux améliorations technologiques reste présenté comme la solution ultime). Mais trêve de défaitisme : tant que le marché automobile va, tout va… (c’est du moins ce que pourrait laisser supposer la passivité des pouvoirs publics depuis des années devant les phénomènes décrits ci-dessus).