A force de dénoncer les dangers du nucléaire, il est intéressant, pour une chargée de mission énergie-climat, d’approcher de plus près l’outil qui est au c½ur de ce mode de production d’énergie, à savoir la centrale. Et puisque la filière est sensée « répondre à nos questions » et se la joue « transparence et porte ouvertes », j’ai visité en août 2012 la centrale de Chooz, curieuse de pénétrer dans cet univers hautement sécurisé, temple d’une certaine connaissance et d’un savoir-faire, fleuron d’une industrie qui s’imagine encore à la pointe du « progrès ».
Le groupe de visiteurs que j’ai rejoint et qui avait initié cette visite n’est certes pas banal pour nos hôtes puisque clairement identifié comme « écologiste », ce qui, comme nous l’aurons compris, est ,pour les acteurs du secteur nucléaire synonyme d’activiste- intégriste- alarmiste-réactionnaire[[Biffer les mentions inutiles]].
Accueillis par notre guide qui collecte gentiment nos cartes d’identité, on nous fait faire un petit tour du propriétaire par slides interposés. On découvre ainsi que la visite se fera à bord d’un bus dont nous n’aurons pas l’occasion de descendre ! Présentation didactique sur l’importance du secteur nucléaire en France, la maimise d’EDF dans la gestion du parc, historique de la centrale… Tout cela pour nous noyer sous avalanche de chiffres : 2.04 secondes, 264 crayons, 286°, 20.79 milliards de kWh…Une telle précision ne peut qu’être synonyme de maîtrise, rigueur, « ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle puisqu’on a tout calculé».
Passons à la « visite », autorisée uniquement pour ceux et celles sur qui l’enquête préalable effectuée par nos hôtes n’a rien révélé de suspect. Petit contrôle détection métal par nos cerbères Sécuritas et nous voilà embarqué dans un bus spécialement affrété (sécurisé ?). Nous traversons gentiment les différentes zones (assorties de leur niveau de sécurité) : à gauche vous avez ci, à droite vous voyez ça… Sauf que, ma bonne dame, on ne voit rien du tout à part des bâtiments en béton gris et deux aéroréfrigérants qui crachent chacun 1m³ d’eau de la Meuse à la seconde. Qui plus est, lors de notre parcours, on nous révèle que lors de visites d’écoliers ou de journées « découverte entreprise », les visiteurs peuvent visiter certaines parties stratégiques de la centrales (salle de la turbine ‘Arabelle’, module de simulation des commandes). Vous aviez dit transparence ? Pour notre groupe d’environnementalistes, l’«opalescence » est plutôt la règle. Notre guide essaie tout de même d’établir une connivence avec notre groupe en évoquant la Belgique : les travailleurs belges sur le site, les relations avec Mol, Tihange, l’AFCN, les fissures de la cuve de Doel («Ah non pas chez nous! Nos cuves sont 100% qualité française »)… Bref, le nucléaire est une grande famille où les gens se parlent !
Notre guide semble à l’aise sur ce territoire. Un site logé dans une boucle de la Meuse, un écrin naturel qu’EDF qualifie de « préservé », fier de contribuer à la protection de la biodiversité en parrainant le « sentier de la loutre ». Notez au passage que le site de la centrale occupe une superficie de 200 ha, site défiguré et condamné sur un long terme. On l’oublie un peu vite, mais une centrale « réquisitionne » une portion de territoire pendant plus de 50 ans et la rend impropre à d’autres types d’activités.
Si on tente de sortir quelque peu du discours bien rôdé et balisé, nos questions, pertinentes mais visiblement dérangeantes seront vite expédiées : quid de la provenance de l’uranium ? « C’est Areva qui maîtrise la production du combustible. Nous (EDF) on ne s’en occupe pas ». Quid de la gestion des déchets ? « Ah c’est pas nous non plus, c’est l’ANDRA[[Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs]] qui gère et Areva qui recycle. Les déchets qui ne peuvent être recyclé qui ont une durée de vie supérieure à 30 ans seront enfouis très profondément dans des conditions de haute sécurité … ». Ok mais qui pourra garantir la sécurité d’un site sur des centaines de milliers d’années ? Personne, et encore moins le secteur n’a la réponse ! La part de la production énergétique perdue en chaleur évaporée dans les tours? « euh… » (calcul complexe et kyrielle de chiffres pour dire en aparté que le rendement -ah ben oui, c’était ça la question !-est de 33%).
Fukushima ? « Un accident (on ne parlera jamais de catastrophe) qui eu le mérite d’améliorer encore la sécurité ». Le résultat des stress-test ? « euh.., ce sera publié sur le site de l’ASN[L’autorité de sureté nucléaire française]]…mais tout est sous contrôle, on ajoute juste un système supplémentaire -aux 4 autres- de back-up en cas d’arrêt de l’alimentation du système de refroidissement ». EDF se garde de bien de faire état de l’évaluation par l’ASN qui juge très moyenne la qualité de la radioprotection. En 2011, l’ASN3 pointait même « en matière d’environnement, une maîtrise insuffisante dans la mise en ½uvre et la maintenance des installations de traitement à la monochloramine des effluents de refroidissement… L’ASN note également la réduction notable des fuites de fluides frigorigènes vis-à-vis des années précédentes ; l’exploitant ne devra pas relâcher son attention sur ce sujet, notamment en ce qui concerne les délais d’intervention[[ [http://www.asn.fr/index.php/L-ASN-en-region/Division-de-Chalons-en-Champagne/Centrales-nucleaires/Centrale-nucleaire-de-Chooz-B ]]». Or, on l’apprend seulement en septembre 2012, du 6 au 29 décembre 2011, la centrale a déversé dans la Meuse de l’acide sulfurique (entre 250 et 600 litres par jour). En cause, une fuite du circuit de traitement anti-tarte des aéroréfrigérants. L’ASN point du doigt les négligences de la part d’EDF, à qui il aura donc fallu trois semaines avant de détecter la fuite ! Sans la plainte déposée par le réseau Sortir du nucléaire, les autorités belges n’auraient pas eu connaissance de cette pollution alors que des accords transfrontaliers obligent l’exploitant de la centrale ou les autorités préfectorales à informer impérativement la Belgique de tout incident. Vous disiez transparence et communication ?
On nous présente aussi la centrale de Chooz comme une « vitrine » en matière démantèlement puisque les installations qui abritaient le 1er réacteur à eau pressurisée du parc français sont en cours de déconstruction depuis 2008. Si on assure que 80% des matériaux démantelés ne sont pas radioactifs, quid du devenir des autres 20% potentiellement contaminé ? On les isole et on en parle plus ! Notez bien que le premier réacteur mis en service sur le site en 1967, terré sous les roches de la colline bordant la Meuse, porte le nom de « Chooz A ». Lapsus malheureux ? Pas sûr que la filière maîtrise toujours sa communication !
Photographie : Vincent Anciaux