En aménagement du territoire, un principe semble clair. Parler d’un dossier ne le fait pas forcément avancer. C’est le constat qui se dégage de l’évolution de quelques dossiers-phares : le cadre de référence éolien, le tramway liégeois, ou encore les noyaux d’habitat. Quand l’enjeu est crucial pour la construction d’un avenir durable, il y a là de quoi perdre patience ! Constater que les forces politiques ne parviennent pas à s’accorder sur l’objectif et dès lors à améliorer la proposition sur la table alors que l’urgence est de mise est particulièrement énervant.
Le dossier des noyaux d’habitat est à cet égard illustratif.
Qui aujourd’hui contesterait les ravages de la périurbanisation sur le territoire wallon ?
L’urbanisation progresse en Wallonie. A la faveur des lotissements et des zonings, 309,4 km² de terrains supplémentaires ont été artificialisés entre 1995 et 2011. Une urbanisation du pire, le plus souvent installée en rubans le long des voiries, l’archaïsme du plan de secteur l’ayant tragiquement prévu ainsi.
Utilisation du sol en Wallonie 1995-2011 en km² (source : IWEPS, les chiffres clés de la Wallonie, 2012)
L’étalement urbain est environnementalement nocif. Sans ré-ouvrir le catalogue de ses méfaits, rappelons simplement que l’urbanisation renforce, quand elle ne les initie pas, beaucoup des grands problèmes environnementaux (émissions de gaz à effet de serre, pollution atmosphérique, perte de surfaces agricoles, dégradation des paysages et de la biodiversité). Ce qui rend ce processus aussi inquiétant que stratégique. Inquiétant, parce que laisser filer l’étalement, c’est aggraver beaucoup de problèmes environnementaux. Stratégique, parce que (corolaire) limiter l’étalement, c’est améliorer notre environnement de manière probante.
Du caractère systémique de l’étalement urbain, les pouvoirs publics ont pris peu à peu conscience. Et en Wallonie comme ailleurs, ils ont commencé à s’attaquer à la problématique. Reste qu’ici les freins sont nombreux : le plan de secteur offre beaucoup d’espace à bâtir, le réviser à la baisse – diminuer la surface urbanisable en d’autres mots – nécessiterait de trouver une réponse à l’insoluble problème posé par les moins-values liées aux changements d’affectation – un m² de zone d’habitat peut valoir 20, 30 fois ce que vaut un m² de zone agricole, voire davantage.
LES NOYAUX D’HABITAT, OU L’ART D’INNOVER ?
Quand on est face à l’insoluble, il faut innover !
De longue date préoccupée par les conséquences négatives de l’étalement urbain en Wallonie, IEW avait rédigé la proposition suivante dans le cadre des élections régionales de 2009 :
« Mener une politique de discrimination positive en faveur des noyaux d’habitat
Il est toujours plus coûteux et plus complexe de « reconstruire la ville sur la ville » que d’urbaniser des terres vierges, que ce soit pour le logement, le commerce ou les PME. Pour promouvoir une utilisation parcimonieuse du sol, il faut dès lors compenser ces handicaps de diverses manières : subsides spécifiques, politique foncière, outils appropriés,… Des zones de discrimination positive, ouvrant le droit à ces différents avantages, devraient être identifiées dans le cadre d’un schéma de structure communal ou d’un schéma d’agglomération ce qui constituerait un incitant supplémentaire à l’élaboration de tels documents. »
Le ministre de l’Aménagement du territoire a amorcé à l’automne 2011 un processus qui a souvent été résumé à son titre « noyaux d’habitat » et dont les propositions sont totalement inédites. Il faut entendre par noyaux d’habitat des périmètres localisés en des lieux stratégiques – centres-villes historiques, quartiers de gare, avec proximité TEC et/ou SNCB, accessibilités aux services publics et aux commerces – dans lesquels les porteurs de projets de logement seraient « positivement discriminés » à développer densément. Comme beaucoup d’aspects de cette nouvelle politique, les modalités selon lesquelles s’opérera cette discrimination positive, ne sont pas encore connues.
Aujourd’hui la question est bien dans le « comment » mettre en ½uvre une politique volontariste puisque le constat des conséquences négatives de l’étalement urbain est partagé. Le travail doit se concentrer sur les conséquences les plus concrètes d’une décision qui vise à identifier, au sein de l’immense zone d’habitat définie au plan de secteur, certains périmètres qui ont davantage vocation que d’autres à être urbanisés. Pour concrétiser une telle décision, les projets à venir dans ces zones pourraient profiter de davantage de soutiens publics. Et c’est là que le bât blesse.
Car ce que beaucoup y voient, c’est l’abandon du monde rural par les villes, la fin de la solidarité, et donc la mort des campagnes. Une vision alarmiste qui est d’autant plus partagée qu’elle fait écho au bureau de poste du village derrière la colline qui a fermé le mois passé, à la supérette qui n’ouvre plus que les matins pairs, à l’école dont on dit qu’il y aura une classe de moins à la rentrée prochaine. Mais surtout une vision qui emprunte fort à la polémique. Cette polémique n’est, toutefois, pas forcément contre-productive : en effet, elle met un coup de projecteur sur le mal environnemental majeur que constitue la périurbanisation, et elle acte un consensus sur la réalité du phénomène.
Lotissement du côté de Marcinelle, le poison territorial wallon ? (source : Bing)
A l’inverse des politiques d’aménagement du territoire laxistes qui ont laissé, des décennies durant, les villes se vider et les campagnes se déstructurer, l’idée des noyaux d’habitat se propose de renverser la vapeur.
Renforcer les pôles existants et veiller à ce que demeurent des pôles attractifs sur l’ensemble du territoire. Les pôles urbains en déveine seraient soutenus, et les pôles ruraux en souffrance réanimés. Un programme ambitieux. Ce faisant, les noyaux d’habitat constituent évidemment une vraie petite révolution culturelle pour l’aménagement du territoire wallon. Fini le saupoudrage institutionnalisé des maigres moyens publics disponibles, et vive le placement stratégique en des lieux déterminants du territoire.
Par conséquent, loin de clouer au pilori les campagnes, les noyaux d’habitat visent au contraire à les sortir d’une fonction parfois devenue essentiellement résidentielle et d’en refaire des territoires vivants et attractifs. Elles ont en effet connu une mutation de leur économie, passant d’activités diversifiées à une fonction à prédominance résidentielle.
Le sujet est aussi sérieux que complexe. Les parlementaires de la commission Aménagement du territoire ne s’y sont pas trompés. S’entendant sur la gravité du phénomène de la périurbanisation, ils ont mis en garde le Gouvernement sur les risques bien réels de gestion du foncier et de spéculation.
Les intérêts des acheteurs n’étant pas ceux des vendeurs, il y aura à coup sûr la tentation chez certains de spéculer sur les parcelles situées à l’intérieur d’un noyau d’habitat. D’où la nécessité de prévoir des mécanismes régulateurs et d’assurer a maxima la maîtrise foncière publique de ces espaces, en particulier pour garantir l’accès au logement dans ces zones pour les plus défavorisés.
En outre, la densité de population dans les noyaux d’habitat ne devra pas être la même partout. Selon qu’on se trouvera proche ou non de lieux bien desservis en transports collectifs, en particulier des trains, la densité devra évoluer. Les quartiers de gare devront constituer les noyaux d’habitat les plus denses.
Au stade actuel, les noyaux d’habitat ont initié un débat fondamental qui doit permettre d’aboutir à une démarche volontariste des pouvoirs publics pour arrêter la casse territoriale wallonne.