A l’heure où nos voisins augmentent leurs investissements pour améliorer la maintenance de leur réseau ferroviaire, la Belgique décide de faire le contraire… Bien plus : alors que la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse se battent pour conserver ou revenir à une structure qui intègre le gestionnaire d’infrastructures et l’opérateur ferroviaire, nous, on décide, dans le cadre de la réforme du Groupe SNCB, de séparer davantage ! Serions-nous plus intelligents ou tout simplement inconscients ? A la réflexion, il semble évident que nos décideurs sont en train de commettre une grave erreur pour la mobilité de demain en Belgique.
C’était hélas prévisible depuis l’annonce des 4 milliards d’économie pour le budget fédéral. C’est tellement facile (et courant) d’aller chercher quelques centaines de millions en réduisant l’ambition du plan pluriannuel d’investissements du Groupe SNCB qui se négocie actuellement. Après tout, une majorité des électeurs sont encore des automobilistes, et les courageux navetteurs ne sont pas (encore) suffisamment fédérés que pour frapper du point.
Et de fait, les titres de la presse ces derniers jours le confirment : « Le rail dans le viseur budgétaire », « Le Groupe SNCB taille dans son plan d’investissement », « La SNCB va supprimer des trains et des lignes », … Quand est-il réellement ? Explication sur le processus en cours.
Le plan pluriannuel d’investissement du Groupe SNCB est un document stratégique qui consacre l’ensemble des investissements en matière ferroviaires. Celui qui se négocie actuellement couvrira la période 2013-2025 et fixera les montants qui seront alloués à des postes clés comme l’achat du matériel roulant, l’entretien et le renouvellement du réseau, la rénovation des gares et points d’arrêts ou encore les investissements en matière de sécurité. C’est donc aujourd’hui que l’on décide des ponts et des tunnels qui seront entretenus dans les années à venir, des caténaires (câbles électriques) qui seront remplacés, des postes de signalisation qui seront modernisés, autrement dit, des lignes ferroviaires qui pourront ou non encore être exploitées en toute sécurité dans 10 ans. Se fixe aussi le nombre de places assises que pourra offrir la SNCB en 2020 ou encore quelles gares auront droit demain à un accès PMR et quels points d’arrêts seront équipés d’un éclairage ou d’un banc. Les navetteurs ont sans aucun doute compris l’enjeu de ce plan.
Le premier projet de plan pluriannuel d’investissement (PPI) préparé par le Groupe SNCB représentait une enveloppe budgétaire de 42.817 milliards d’¤. Ce sont les besoins financiers qui avaient été estimés par les experts de la SNCB pour maintenir et développer l’offre ferroviaire belge et répondre demain à la demande croissante. Le Ministre Magnette, en charge des entreprises publiques, a demandé en mars 2012 au Groupe SNCB de revoir sa copie avec comme contrainte de tenir dans un budget de 25 milliards d’¤… Pas facile ! Le devoir a été accompli et un nouveau projet de PPI présenté au Ministre. Pour y arriver, il a bien fallu abandonner de gros projets coûteux comme la gare ferroviaire sous l’aéroport de Gosselies (ce qui n’est pas une mauvaise chose) ; encore faut-il espérer que nos élus politiques wallons ne décident pas de mettre la main à la poche pour sauver ce projet non prioritaire !), une solution au problème de capacité de la jonction Nord-Midi (beaucoup plus grave car cela impacte la ponctualité sur tout le réseau belge) ou encore des projets majeurs pour le transport de marchandises en Flandre. Austérité budgétaire oblige, il faut abandonner les nouveaux projets d’infrastructures ferroviaires. Austérité budgétaire oblige toujours, les exigences en matière de performances du réseau sont revues : on ne veut plus un réseau 5 étoiles, mais on se contentera d’un niveau 2 étoiles.
Ce projet de PPI de 25 milliards ne permet pas d’améliorer l’attractivité du train comme mode de déplacement alternatif à la voiture particulière. Au mieux, il permet de limiter la dégradation du service que l’on connaît depuis une dizaine d’années. Est-il nécessaire de vous expliquer les conséquences dramatiques d’une coupe budgétaire supplémentaire dans ce plan ?
Oui. Parce que ces conséquences peuvent être plus ou moins graves selon les choix qui seront opérés pour respecter le nouveau carcan financier imposé au Groupe SNCB. Va-t-on revoir le projet ambitieux de construction d’une nouvelle gare à Mons (qui se chiffre maintenant à quelques 190 millions d’¤) ou décider de ne plus entretenir la ligne de Charleroi-Courtrai-Erquelines (qui sera alors vouée à disparaître) ?
D’après les informations à notre disposition, il serait question pour la SNCB (opérateur ferroviaire) de commander moins de trains que prévu car la hausse de voyageurs est limité. Ah bon ? Ca c’est un scoop ! Apparemment, il n’est plus question cette fois-ci de tenir compte des prévisions d’augmentation de voyageurs réalisées par le Bureau du Plan. Pour Infrabel, gestionnaire d’infrastructures, il serait question de ne plus investir dans la maintenance de plusieurs lignes régionales. Rien que ça ! Ben oui, pourquoi entretenir le riche patrimoine ferroviaire dont la Belgique peut se targuer ? Autant le laisser se réduire à peau de chagrin.… Et qu’en est-il de la dernière tête du Groupe SNCB, la Holding ? Etonnant, on dirait que les réductions de moyens ne semblent pas affecter ses projets de belles gares : Bruxelles-Midi, Gand-Saint-Pierre, Ostende, Mons,… peuvent continuer à rêver de devenir de belles cathédrales ferroviaires, vitrines d’un réseau… en déliquescence !
Heureusement, rien n’est encore définitivement décidé. C’est le 30 novembre que sera remis le nouveau projet de PPI consolidé par le Groupe SNCB au Ministre Magnette. Ensuite, les Régions seront consultées, et le projet finalisé sera débattu, on le suppose, au Gouvernement.
Donc, nous n’hésitons pas un instant à rappeler notre point de vue sur les priorités qui devraient être défendues dans ce plan
1. Le maintien de la capacité : maintenir la capacité actuelle du réseau c’est procéder au renouvellement en temps et en heure à la fois du matériel roulant et des composantes du réseau (voies, caténaires, postes de signalisation ouvrages d’art, etc.). L’âge moyen du matériel roulant de la SNCB s’élève à 27 ans et son manque de fiabilité est la principale cause des retards. Concernant le réseau, il faut déjà rattraper le retard d’investissements dû à une réduction des budgets depuis 2010. Décider de ne pas entretenir certaines lignes régionales durant les 12 années à venir, c’est décider de les fermer demain, au risque de nouvelles catastrophes ferroviaires.
2. La poursuite des chantiers en cours : ils sont connus puisqu’ils traînent depuis de nombreuses années, du moins en Wallonie. Citons la modernisation de l’axe 3 (Namur-Luxembourg), le RER bruxellois, la ligne 124 Waterloo-Braine, la ligne 130 Namur-Charleroi,… Cela ne relève-t-il pas de l’évidence de terminer ce qui est en cours avant d’engager des budgets pour de nouveaux chantiers.
3. L’amélioration de l’accueil des voyageurs : bien entendu, je ne vise pas ici prioritairement l’accueil des voyageurs qui fréquentent les gares de Bruxelles-Midi, de Liège-Guillemins ou de Gand-Saint-Pierre et qui disposent déjà d’escalators, de salles d’attente couvertes, d’écrans indicateurs sur les quais, etc. mais bien, par exemple, des milliers de voyageurs qui transitent à Ottignies par des escaliers et un couloir sous voies rudimentaires. Les investissements en matière d’accueil voyageurs doivent aller prioritairement aux équipements minimums des gares (accès PMR aux quais, écrans indicateurs, toilettes à disposition) et points d’arrêts non gardés (éclairage, abris et bancs en bon état, annonces vocales).
Ces trois premières priorités mangeront certainement la majorité de l’enveloppe envisagée à l’heure actuelle. Pourtant les points qui suivent sont également indispensables si l’on veut développer un rail performant et dès lors réduire les impacts négatifs de notre système de mobilité actuel sur notre santé et sur notre environnement.
4. L’augmentation de capacité : en commençant pas solutionner les quelques goulots d’étranglements du réseau (Hal, Ottignies, la Jonction,…)
5. Le développement d’une nouvelle offre ferroviaire : par exemple pour la Wallonie, les projets de réseau express liégeois (REL) et réseau express carolo (REC) dont on attend trop peu souvent parler alors qu’ils demandent moins de moyens que le projet de liaison et de gare ferroviaire à Gosselies !
Reste à espérer qu’une majorité de nos ministres fédéraux et wallons partagent nos priorités.