(Rés)eaux d’influence

L’eau qui coule de votre robinet est-elle aussi transparente qu’elle en a l’air ? Certes le réseau de distribution wallon est un réseau public dans lequel les grandes multinationales n’ont pas encore pris le pouvoir. Cependant en regardant d’un peu plus près, le doute ne peut que poindre.

Qui est responsable de la distribution d’eau en Wallonie ? Il y a une dizaine d’années, 83 opérateurs se partageaient ce marché ; en 2010, seulement une cinquantaine, suite à des rachats et reprises. Dans ces 50 opérateurs, 1 entreprise publique à vocation commerciale et industrielle (la SWDE, 61 % du volume distribué en Wallonie), 8 intercommunales (31 % du volume distribué en Wallonie) et 41 régies communales pour 8 % du volume de distribution (chiffres 2010).
La SWDE s’impose donc comme acteur principal de la distribution d’eau, et certaines régies communales sont tentées de lui déléguer la distribution sur leur territoire pour éviter de prendre en charge l’entretien du réseau et remédier à des problèmes ponctuels de qualité microbiologique. La SWDE s’impose d’ailleurs tellement que lorsque le Gouvernement a dû réfléchir à son schéma régional des ressources en eaux, c’est à la SWDE que la mission a été confiée…

La diminution du nombre de régies communales et la croissance du rôle de la SWDE ne sont pas sans conséquences. Fini, le recours systématiques aux captages d’eau locaux. A la place, nous avons (et aurons de plus en plus) de longs pipelines, autoroutes de l’eau, qui permettent d’acheminer de grands volumes à travers la Wallonie. Avec des conséquences non négligeables : recours massif au chlore pour garder la qualité microbiologique de l’eau sur de longs trajets, prix de l’eau en augmentation pour amortir ces investissements, perturbation du cycle de l’eau notamment en période d’étiage (nécessité de maintenir les barrages fermés pour garder le stock d’eau potable), et perturbation possible des écosystèmes. Ainsi à Neufchateau, l’approvisionnement se fait maintenant non plus par des sources locales mais par des sources plus lointaines à Chassepierre et au barrage de Nisramont, dont l’eau est chargée en calcaire. Or on connaît encore mal les conséquences de l’arrivée de cette eau calcaire dans l’écosystème de la région schisteuse de Neufchateau…

Le phagocytage des ressources wallonnes en eau par des organismes dont la transparence est toute relative n’est cependant pas inéluctable. Il reste encore une quarantaine de régies communales qui peuvent garder leur autonomie et leur caractère local. Ainsi en 2008, suite à un référendum communal, les habitants de Chiny ont refusé que la Commune cède la gestion de la régie des eaux à la SWDE, alors même que la Commune mettait en avant l’augmentation du prix qui découlerait du maintien en régie communale. Le prix de l’eau n’est pas tout, une eau gérée au plus près des besoins est un gage de bonne gestion et par ailleurs, les quelques problèmes qualitatifs observés sont aussi le fait que l’expertise nécessaire se concentre elle aussi dans les grands organismes de distributions d’eau.

Ailleurs, et notamment en France, de plus en plus de grandes villes retournent au système des régies communales avec un impact positif sur le prix et la qualité des eaux : à quand le même mouvement en Wallonie ?