Pas une semaine ne se passe sans que l’actualité ne soit ponctuée d’articles ou de déclarations pro ou anti gaz de schistes. C’est que les enjeux financiers, environnementaux mais aussi démocratiques sont importants. Mais à qui peut-on vraiment se fier pour obtenir une information objective et faire respecter les droits des citoyens pour un environnement sain.
Aux Etats-Unis, divers rapports (dont certains ne sont pas rendus publics) font état des lourds impacts de l’exploitation des gaz de schistes. S’il existe une multitude d’études scientifiques attestant des risques avérés pour la santé et l’environnement de la fracturation hydraulique, il semble que l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), agence « indépendante » et garante de l’intégrité de l’environnement, soit muselée par les lobbys industriels. Ainsi Associated Press a pu prendre connaissance d’un rapport confidentiel qui relate un cas de contamination de l’eau de puits saturée en méthane au Texas. Malgré des preuves scientifiques évidentes de pollution mettant en danger la santé des usagers du puits et la responsabilité avérée d’une compagnie exploitant des puits de gaz de schistes situés à proximité, l’EPA a abandonné l’ordonnance d’urgence qui enjoignait la compagnie de prendre les mesures pour stopper la contamination suite à des menaces de la part de cette même compagnie gazière. Apparemment, ce type de revirement ne serait pas un cas isolé. Autre fait grave, l’EPA dissimulerait des rapports d’analyses réalisées par des experts indépendants qui établiraient que l’origine de la contamination est bel et bien la fracturation hydraulique.
Sous couvert de réconcilier société civile, et pas n’importe quelle tendance, environnementaliste en l’occurrence, et industrie du gaz de schiste, un Centre pour un développement durable des gaz des schistes (Center for Sustainable Shale Development) a été créé aux States. Son but : « the development of rigorous performance standards for sustainable shale development and a commitment to continuous improvement to ensure safe and environmentally responsible development of our abundant shale resources. CSSD will offer an independent, third-party evaluation process to certify companies that achieve and maintain these standards ». « Unprecedented collaboration », le CSSD rassemble des entreprises actives dans l’exploitation de gaz de schistes comme Chevron et Shell et des associations (pseudo-)environnementales et philanthropiques principalement basées en Pennsylvanie (état qui compte plus de 70 000 puits).
Le Public Accountability Initiative (PAI) vient de publier un rapport qui fait tomber les masques. Dans « Big green fracking machine », il est démontré comment les industries gazières s’achètent une étiquette « verte » en prétendant nouer dialogue et partenariat avec des associations alors qu’elles tirent les ficelles en coulisse. Ainsi la majorité des membres du conseil d’administration du CSDD, dont les représentants des associations philanthropiques et environnementales, sont ou ont été des personnes d’influence au sein de compagnies pétrolières et gazières. De plus, certaines de ces associations de protection de l’environnement sont elles-mêmes financées en partie par l’industrie du gaz. En dehors du CSSD, il existe également des associations environnementales soit disant « indépendantes », tel American Clean Skies Foundation, créées et financées par l’industrie gazière pour promouvoir les bénéfices des gaz de schistes en matière de réduction des émissions polluantes.
L’Europe est-elle à l’abri des grandes manœuvres du lobby pro-gaz de schiste ? Certainement pas.
En Pologne, pays européen qui fait figure d’eldorado gazier, la pression est plus pernicieuse. Là-bas les compagnies gazières n’ont pas à lobbyer en coulisses puisque le gouvernement polonais leur déroule le tapis rouge. Le gouvernement fait en effet tomber les garde-fous environnementaux en préparant, avant que la Commission européenne n’en établisse un, un cadre réglementaire très souple pour l’extraction d’hydrocarbures, avec notamment une loi permettant d’effectuer les forages exploratoires sans procéder à une étude d’incidence sur l’environnement. Le gouvernement se charge en outre de bâillonner l’opinion publique. Une loi polonaise n’autoriserait la participation des associations aux procédures de consultation que si elles sont actives dans la protection de l’environnement et de la nature et ce, depuis 12 mois minimum avant le début de la procédure. Ainsi tout comité de riverains émergent de préoccupations relatives à un projet particulier n’aurait pas voix au chapitre.
Le gouvernement polonais mène une réelle campagne de dénigrement et de stigmatisation envers les organisations et collectifs citoyens qui s’opposent à l’exploitation du gaz de schiste : « éco-terroristes », « escrocs opportunistes[« [Shale gas in Poland : government gags local opposition »]] », antipatriotiques,… La sécurité énergétique du pays et surtout l’indépendance gagnée sur le géant russe sont devenues priorités nationales et tout mouvement qui y contrevient constitue une menace au point que certaines ONG et activistes sont surveillés et visités par les services secrets polonais[« [Poland accused of creating ‘climate of fear’ for environmental campaigners » – The Guardian ]].
La Pologne tente aussi de distiller son élan « patriotique » pro-gaz de schiste au sein de l’Union européenne. Ainsi les résultats de la consultation européenne sur les énergies fossiles non conventionnelles[du 20 décembre 2012 au 23 mars 2013, la Commission européenne a organisé une consultation publique sur les énergies fossiles non-conventionnelles en préparation à l’élaboration d’un cadre d’évaluation des incidences de l’exploitation des ressources fossiles non-conventionnelles]] qui s’est déroulée en ce début d’année sont assez éloquents. Sur les quelques 23 000 réponses reçues, la moitié viennent de Pologne. Dans leur totalité, les résultats indiquent que 31% des participants pensent que les énergies fossiles non-conventionnelles doivent de toute manière être développées en Europe, 30% ont répondu qu’elles ne peuvent être développées que si des balises en matière de santé et d’environnement sont mises en place et 34% estiment qu’elles ne doivent en aucun cas être développées. Si maintenant ces résultats sont pondérés selon la population du pays d’où provient la réponse, le verdict est sans appel. Les proportions deviennent : 12% de pro quelques soient les conditions, 20% sont favorables si des balises sont mises en œuvre et 64% sont opposés peu importe les conditions. ([Tous les résultats de la consultation ici)
Les dérives rencontrées aux Etats-Unis posent de sérieuses questions en termes de gouvernance, et il semble que de futures balises et réglementations européennes qui pourraient encadrer l’exploitation de pétrole et gaz de roches mères ne réussiraient pas à rassurer ni à convaincre une grande part de l’opinion publique. Tant que la porte reste entre-ouverte à l’exploitation des énergies fossiles non-conventionnelles, y a-t-il au moins un saint auquel les citoyens pourront se vouer ?