Mais comment s’organise le territoire Grand-Ducal ?

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Comprendre comment les choses se passent chez soi, et a fortiori, décider de l’organisation interne desdites choses gagne, c’est bien connu mais peu pratiqué, à s’inspirer de ce qui se fait hors de chez soi. C’est vrai dans (presque) tous les domaines, et certainement en matière d’aménagement du territoire. Aussi, je me propose, dans les semaines, mois à venir, de faire quelques irruptions, de l’autre côté de nos frontières. Lesquelles sont nombreuses : Flandre, Bruxelles diraient certains, Pays-Bas avec Maastricht, Allemagne avec Aix-la-Chapelle, Grand-Duché de Luxembourg, France avec la Lorraine, la Champagne et le Nord-Pas-de-Calais. Le feuilleton s’annonce donc riche et passionnant. Commençons par le petit Grand-Duché de Luxembourg…

Le grand-duché, un nain geographique, un géant économique

Chaque jour, ce sont plus de 30.000 Wallons qui passent la frontière du Grand-Duché de Luxembourg pour aller y gagner leur vie. Un chiffre en constante augmentation, expression de l’attractivité croissante de la place luxembourgeoise au niveau économique. Car si la finance reste une composante essentielle de la bonne santé économique du Grand-Duché, celle-ci repose de plus en plus sur une diversification réelle des activités. Ce qui conforte, année après année, ce petit territoire de 500.000 habitants, aux marges des grandes France et Allemagne, comme un des espaces les plus riches et compétitifs du continent. Et si beaucoup de Belges, Wallons pour l’essentiel, s’y rendent quotidiennement pour le travail, c’est le cas aussi de beaucoup d’Allemands, à peu près 30.000 aussi, et de Français, presque le double, soit 60.000.
Si l’ensemble du territoire grand-ducal surfe sur cette attractivité, le développement tend à principalement se concentrer dans la ville centre du pays, Luxembourg-Ville, ville moyenne au caractère provincial affirmé, érigée en mastodonte économique de rayonnement international, et, dans une moindre mesure, dans le réseau de petites villes au sud du pays – Esch-sur-Alzette, Differdange, Dudelange. Dans ce contexte, les navetteurs quotidiens, belges, français et allemands, se retrouvent bien entendu dans ces deux zones. Cette attractivité très forte de Luxembourg-Ville et des villes du sud apparaît nettement au niveau de leur ratio emplois / résidents largement supérieur à deux. On est plus de deux fois plus à y travailler qu’à y habiter.

Un fonctionnement générateur d’imposants flux voitures

L’impact en matière de mobilité du poids grandissant des pôles luxembourgeois est notable. Tant les routes que les lignes de transports publics, bus et trains, convergeant vers Luxembourg-Ville et les villes du sud, sont prises d’assaut matin et soir. Ceci dans des proportions de plus en plus importantes, menant l’infrastructure, surtout routière, au bord de la rupture.

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Flux de travailleurs frontaliers à destination du Grand-Duché (IGSS, 2005)

Ce qui a poussé les autorités grand-ducales à prendre des mesures fortes, en concertation avec les régions voisines, par exemple dans le cadre de la coopération organisée par la Grande Région, pour éviter l’asphyxie au niveau des transports, et ainsi préserver voire accroître l’attractivité de leurs pôles. Ainsi, partant du constat que la Lorraine française, autant la vallée de la Moselle (Metz, Thionville) que la région de Longwy, voyait son accessibilité au Grand-Duché diminuer année après année, les autorités grand-Ducales et celles de la Lorraine se sont assises à la table des discussions.
Pour le Grand-Duché, c’était vital, la Lorraine la pourvoyant en une main-d’œuvre absolument primordiale au bon développement de son économie. Pour la Lorraine, c’était tout aussi vital, le Grand-Duché offrant à sa population des emplois absolument nécessaires dans un contexte toujours très marqué par la désindustrialisation. C’est ainsi qu’a été concocté le Schéma de Mobilité Transfrontalière Luxembourg-Lorraine, qui a permis de mieux accompagner ces migrations pendulaires massives. Les axes ferroviaires vers le Luxembourg ont été renforcés, et tout un système de rabattage vers ces axes a été installé : lignes de bus vers les gares de ces axes, parkings relais autour des gares… Reste une mobilité essentiellement routière à destination du Grand-Duché, dopée par une armature d’autoroutes, de routes, de contournements, de tunnels, de ponts, de parkings urbains, hors-norme.

Une urbanisation galopante, dans et hors du Grand-Duché

Parallèlement à l’explosion en quelques décennies de ces migrations quotidiennes à destination du Luxembourg, on a pu observer une explosion démographique hors-norme dans le Grand-Duché. Dopée par une immigration en valeur relative la plus importante de l’Union Européenne, la population du pays s’est élevée de plus de 40% sur les quarante dernières années, quand les régions voisines voyaient leur population demeurer stable ou augmenter jusqu’à maximum 10%. Dans cette explosion, les régions du pays les plus marquées ont été celles où la densité était la plus faible : régions de Clervaux, d’Echternach, soit le nord du pays.

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Densité de navetteurs à destination de Luxembourg-Ville, au Grand-Duché et dans les régions voisines (IGSS, 2005)

Cette croissance démographique, accompagnée d’une croissance économique très soutenue et de choix individuels de résidence et de mobilité non contrariés – maison « dans la verdure » avec voiture(s) – , a eu un impact de premier plan sur l’urbanisation du pays – de nombreux villages du pays se sont mus en dortoirs coquets pour travailleurs de la capitale – et les migrations quotidiennes afférentes convergeant en étoile de partout dans le Grand-Duché vers Luxembourg-Ville. A la faveur de cette explosion démographique et urbanistique, un troisième gros pôle d’urbanisation s’est constitué au nord de Luxembourg-Ville. Encore très résidentielle, cette conurbation de Mersch, Ettelbrück et Diekirch s’impose progressivement comme la troisième ville du Grand-Duché, la « ville du nord ».
Ce développement à marche forcée de l’urbanisation s’est accompagné d’une hausse très prononcée des prix de l’immobilier. Si le nord a longtemps conservé des prix relativement attractifs par rapport au reste du pays, il a connu dans la décennie un réel rattrapage. Ce qui a poussé nombre de Luxembourgeois à déménager encore plus loin de leurs emplois de Luxembourg-Ville ou du sud du pays, en Allemagne, en Lorraine ou en Wallonie.

Un aménagement du territoire pour accompagner au mieux les tendances d’urbanisation

Face à cette extension très rapide de l’urbanisation, le Grand-Duché a décidé d’accompagner le processus. Si le principe en a donc été accepté, le choix a été fait de le cadrer, au moins a minima, pour en limiter les excès. Ainsi, il a été acté que l’urbanisation diffuse à l’œuvre du sud-ouest du pays (Esch-sur-Alzette) au centre nord (Diekirch), en passant par Luxembourg-Ville, était une réalité contre laquelle on ne pouvait rien faire. Tant par pragmatisme dans l’action publique que par crainte d’éroder l’attractivité du pays, il a été estimé que cette grande poche d’urbanisation devait être acceptée et re-développée au mieux, pour en faire un tissu urbanistique plus efficace (transports publics, densité bâtie) garant d’un certain niveau de qualité de vie, notamment en termes de convivialité des espaces publics.
Pour donner davantage de corps et de structure à cette masse urbanisée sans forme véritable, le choix a été fait de viser le modèle d’une agglomération polycentrique. Concrètement, il faudrait conforter – quand ils existent – ou susciter – quand l’urbanisation est indistinctement diffuse – quelques pôles urbains d’une certaine importance, qui structureraient leurs hinterlands.

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Tendance de l’évolution spatiale du Grand-Duché (PDAT, 2009)

Ce qui donne, en définitive, pour le Grand-Duché, trois pôles majeurs de développement, Luxembourg-Ville, le grand Esch-sur-Alzette et le grand Diekirch, des espèces de conurbation par eux-mêmes, et qui ensemble devraient venir former une seule grande conurbation, aux sutures plus ou moins marquées. Il est prévu que ces trois conurbations développent leur urbanisation dans leur hinterland jusqu’à se prolonger dans les franges urbanisées voisines de France et de Belgique, déjà prolongements de fait de l’urbanisation grand-ducale, ces espaces frontaliers constituant le dortoir de beaucoup d’emplois luxembourgeois. Au centre de cette approche de consolidation de l’urbanisation polycentrique frontalière, il y a la revitalisation de cet ancien site sidérurgique, Belval. L’ancienne friche industrielle d’Arcelor-Mittal est en phase de se muer en un pôle majeur de développement économique et résidentiel pour l’ensemble de la Grande Région, jusqu’à constituer une nouvelle petite ville du réseau de villes du sud du pays.
Les choix spatiaux grands-ducaux sont éminemment expansionnistes. Et la menace environnementale que représente l’étalement urbain ne semble pas y être appréhendée à sa juste valeur, tant sur le territoire grand-ducal qu’au-delà des frontières où l’effet dortoir marque fortement la convivialité des localités et les paysages. Une appréhension faible de la question qui interpelle dans un pays aussi riche que le Luxembourg, quand en Wallonie on rétorque souvent aux promoteurs d’un aménagement plus durable du territoire que la Région n’a pas les moyens de mener une politique ambitieuse de recentrage de l’urbanisation.