Deux rapports pour sauver le rail wallon !

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Les grandes lignes et l’enveloppe budgétaire du plan pluriannuel d’investissements du Groupe SNCB (PPI) ont été validées par le conseil des Ministres fédéraux en date du 19 juillet 2013. L’avis du Gouvernement wallon sur les priorités régionales – notamment en matière d’investissements localisés sur son territoire – est toujours attendu. Il reste donc un espoir que les deux très bons rapports récemment publiés par la cellule ferroviaire wallonne et le bureau d’étude Technum (anciennement Tritel), orienteront nos décideurs wallons vers des choix optimaux. L’espoir d’avoir un rail performant au service de l’usager n’est donc pas entièrement perdu…

En juin dernier, IEW remettait son avis sur le projet de PPI (lire volet 1 et volet 2) dans le cadre de la consultation organisée par la Région Wallonne. Nous y soulignions les faiblesses suivantes : les manquements en termes de « maintien et renouvellement des infrastructures » surtout en début de plan et pour la Wallonie, des choix technologiques incertains en matière de sécurité, une insuffisance dans l’amélioration du nombre de places assises, la concentration des moyens en termes d’accueil voyageurs dans quelques grandes gares au détriment de toutes les autres et enfin des retards trop conséquents dans l’achèvement de chantiers en cours (RER, axe 3). Les deux rapports mentionnés ci-dessus (et accessibles via ce lien) confirment et affinent l’analyse d’IEW.

Ils mettent, en outre, en exergue les changements entre les deux dernières versions du plan (avant et après conclave budgétaire) qui vont hélas dans le mauvais sens.

Le PPI : version basic versus version conclave

Dans son rapport, Technum met en évidence les évolutions entre les deux versions du plan ; alors que l’enveloppe globale reste identique, les allocations selon les postes ont évolué ; mais surtout le calendrier des investissements a été revu, entre autre pour respecter une application strictement annuelle de la fameuse clé de répartition 60/40[[Cette clé répartit les investissements ferroviaires localisables fédéraux entre la Région flamande et la Région Wallonne de la manière suivante : 60% sur le territoire flamand et 40% sur le territoire wallon. La plupart des investissements en région bruxelloise étant hors clé. Ce principe d’application d’une clé de répartition régionale déjà en vigueur dans le PPI précédent a été reconduit par l’accord du gouvernement fédéral du 1° décembre 2012]] . Ce qui aura des conséquences fâcheuses sur le maintien du réseau ferroviaire wallon.
Ainsi, le budget dédié au renouvellement de l’infrastructure (maintien de la capacité)[[Les termes « maintien de capacité », « maintien du réseau » et « renouvellement des infrastructure » désignent les mêmes réalités]] est réduit d’environ 600M€ et les budgets réservés au renouvellement des trains sont réduits d’environ 500M€ ; les réserves dédiées au cofinancement et aux projets prioritaires des régions sont, elles, doublées (de 1 à 2 G€).

Les graphiques ci-dessous issus du rapport de la cellule ferroviaire illustrent bien les évolutions entre les deux versions du plan en termes notamment de calendrier des investissements.
graphique1rail.png
(Cellule ferroviaire, PPI 2001-2012 PPI 2013-2025 Rapport d’analyse, 19 juillet 2013, p.50)

Alors que la version originelle (non application annuelle de la clé de répartition) permettait de dégager davantage de moyens en début de plan pour le maintien du réseau wallon (dans le poste mobilité), la version « après conclave » conduira très probablement une partie du réseau wallon dans une impasse technico-économique en quelques années.

Le maintien du réseau ferroviaire wallon en sursis

Les deux graphiques ci-dessous, issus du rapport Tractebel, illustrent très bien la non-adéquation des moyens par rapport aux besoins en matière de maintien de réseau, surtout dans la deuxième version du plan (scénario conclave).

graphique2rail.pnggraphique3rail.png
(Technum, Etude relative à la situation et aux perspectives du réseau ferroviaire en Wallonie, volet 3, 17 juin 2013, p.37-38)

Les extraits suivants nous confirment que la situation est très préoccupante si des corrections ne sont pas apportées :

 Rapport de la cellule ferroviaire :
« Tant au parlement fédéral qu’au parlement wallon, Luc Lallemand (Infrabel) a mis en garde sur le manque de moyens pour les lignes les moins utilisées en Wallonie de 2013 à 2021 ».[[(Cellule ferroviaire, op.cit., p.103)]]

« La version du PPI 2013-2025 à 42,8 mia qui correspondait aux besoins (indépendamment de la clef), témoigne encore du manque de moyens en Wallonie. En effet, il existe une différence de 579 mio entre les deux plans ! » [[(idem, p.105)]]

« De 2013 à 2016, il manquerait ainsi 303,41 mio pour rattraper les sous-investissements du passé et assurer un entretien homogène du réseau pour la Wallonie et près de 600 mio les 9 premières années du Plan. » [[(idem, p.165)]]

« Il est à noter que l’enveloppe des 2 milliards dans laquelle la Région wallonne sera amenée à puiser, n’est disponible qu’en fin de plan et n’apporte donc pas de solution directe au problème. Le principal investissement dont dispose la Wallonie en début de plan est la gare de Mons. » [[(idem, p. 103)]]

 Rapport de Technum :
« L’enjeu n’est donc plus de savoir s’il y a une insuffisance de moyens, mais bien de déterminer les conséquences de cette insuffisance. » [[(Technum, op.cit., p. 39)]]

« Si la trajectoire actuelle est confirmée (PPI V.2 – Conclave), les besoins en renouvellement vont s’accroitre de manière importante (perte de « substance » de l’infrastructure, nécessitant un effort de rattrapage conséquent) (scénario de « dérapage » technico-économique). » [[(idem, p.40)]]

(Dans ce scénario de dérapage technico-économique – ndlr) « le retard dans le renouvellement s’accentue dans la première moitié du Plan. Cela se traduit progressivement mais inexorablement par une dégradation de l’infrastructure et les prémices d’une dégénérescence apparaissent. Concomitamment, la fiabilité des composants du système ferroviaire décroit lentement mais sûrement. Cela se concrétise sur le terrain par la mise en place de limitations de vitesse (« renoncements »), ainsi qu’une dégradation de la ponctualité. Les coûts d’entretien augmentent quant à eux (multiplication d’interventions urgentes, hétérogénéité des composants, etc.). » [[(idem, p. 40)]]

Un audit externe commandité par Infrabel et réalisé par l’EPFL (Ecole polytechnique de Lausanne, réputée en matière ferroviaire) a effectivement mis en évidence un retard important dans le renouvellement des infrastructures ferroviaires (estimés à environ 655 M€) qui conduira à des coûts d’entretien[[Il convient de distinguer les investissements de renouvellement/de maintien et les frais d’entretien. Les premiers désignent le remplacement des composantes de l’infrastructure qui arrivent en fin de vie (prévus normalement dans le PPI) tandis que les seconds correspondent aux interventions de réparations d’urgence et d’entretiens courants (qui doivent être assumées par la dotation d’Infrabel définie par le contrat de gestion).]] exorbitants s’il n’est pas rattrapé dans les plus brefs délais.

Des wagons à sardines ?

Pour évaluer les besoins d’investissements en matériel roulant, il faut pouvoir estimer l’augmentation de la clientèle dans les années à venir. Exercice, il est vrai délicat, auquel se sont livrés le Bureau du Plan et le Groupe SNCB. Dans les deux cas, l’estimation est nettement inférieure à la tendance observée ces 10 dernières années.

tableau9rail.png
(Technum, op.cit., p.56)

Le déficit potentiel entre les scénarios possibles est de l’ordre de 100.000 places assises !
C’est ce qu’’illustre également le tableau ci-dessous réalisé par la cellule ferroviaire.

tableaucellule.png
(Cellule ferroviaire, op.cit., p. 145)

Ou d’une autre manière, Technum.

tableau10.png
(Technum, op.cit., p. 58)

Le budget accueil voyageur : « 3 belles gares et puis s’en va »

Pour le poste accueil voyageur, les deux rapports concluent que ce n’est pas tant le montant global de l’enveloppe qui est problématique mais la répartition de cette enveloppe entre les gares wallonnes.

En effet, la Wallonie a décidé d’investir massivement dans 2 gares : Mons et Charleroi-Sud, et depuis le scénario conclave, ces deux gares ont vu leurs investissements augmenter principalement au détriment de la gare d’Ottignies. Le tableau ci-dessous, issu du rapport de la cellule ferroviaire, permet d’interroger ce choix :

3gares.png
(Cellule ferroviaire, op.cit., p. 130)

L’extrait suivant du rapport de Technum rejoint tout-à-fait le point de vue d’IEW sur la question :

« La politique de gare en Wallonie semble donc déséquilibrée. Ramené au coût par usager, le projet de la nouvelle gare de Mons (205 ME au total) apparait comme « hors-norme » et sans équivalent en Europe. L’échéance d’une mise en service en 2015 est quant à elle désormais irréaliste (le PPI prévoit d’ailleurs 2018). Le Park & Ride de Louvain-la-Neuve (25,1 M€ pour la SNCB-Holding + participations UCL et SPW) n’est quant à lui plus dicté par l’urgence, dès lors que si le PPI se confirme l’offre ferroviaire dans cette gare restera malheureusement peu attractive jusqu’en décembre 2025. Les besoins relatifs à la gare de Charleroi-sud et à son environnement (80 M€, de 2013 à 2021) méritent d’être étudiés, mais ne seraient, à notre connaissance, associés à aucun projet précis (concours d’urbanisme, étude de faisabilité, etc.) à ce stade. Nous recommandons donc la plus grande prudence avant d’engager ces importants investissements, qui, pour Mons, Louvain-la-Neuve et Charleroi, monopolisent de surcroît des ressources en début de Plan. Or, c’est précisément dans les cinq prochaines années qu’il est indispensable de dégager des ressources pour garantir la pérennité du réseau ferroviaire en Wallonie. Un phasage et/ou un redimensionnement de ces projets paraît nécessaire ». [[(Technum, op.cit., p. 89)]]

Un sursaut de raison de la part de nos édiles wallons ?

Nous espérons vivement que nos décideurs wallons liront attentivement ces deux rapports qui devraient alimenter leurs réflexions et les amener aux mêmes conclusions que leurs auteurs :

Technum :

« Nous recommandons tout d’abord d’accorder la priorité n°1 au maintien du réseau. Ensuite, si les besoins relatifs au maintien sont satisfaits sur toute la durée du PPI, nous recommandons de sélectionner de nouveaux projets sur base de leur intérêt coût/bénéfice et de « l’effet levier » qu’ils peuvent apporter au système ferroviaire en Wallonie. La question des coûts d’exploitation doit également être prise en compte dans le choix, certains projets induisant en effet des coûts d’exploitation importants, et qui seront par nature récurrents (réouverture de ligne, ajout d’un linéaire important de voie ou d’équipements complexes, etc.). »[[(Technum, op.cit., p. 98)]]

Et la cellule ferroviaire :

« La Cellule Ferroviaire conseille ainsi :
• D’utiliser l’enveloppe réservée aux projets prioritaires pour les besoins fondamentaux
• Rééquilibrer le budget consacré aux gares, c’est-à-dire diminuer le budget pour la gare de Mons et réévaluer voire supprimer le budget pour la gare de Charleroi-Sud pour le réaffecter
• D’utiliser les éventuels financements alternatifs pour le RER, l’axe 3, la dorsale wallonne et les projets fret

Si des budgets supplémentaires venaient à se libérer, la Cellule Ferroviaire soutient les projets prioritaires suivant :
• L’utilisation de la LGV1
• L’Athus-Meuse
• Monceau ou Ronet
• REC/REL
• Liège-Carex

Ces projets ne sont viables qu’à partir du moment où le réseau est entretenu, le matériel roulant disponible et les gares « confortables » ». [[(Cellule ferroviaire, op.cit., p. 191)]]

Juliette Walckiers

Anciennement: Mobilité