Electricité : le renouvelable, problème ou solution ?

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Récemment, les patrons des dix plus grands groupes énergétiques européens[Il s’agit de la française GDF-Suez, les allemandes EON et RWE, les espagnoles Gas Natural Fenosa et Iberdrola, les italiens ENI et Enel, le néerlandais Gas Terra et le suédois Vattenfallt qui représentent approximativement la moitié de la capacité installée dans l’Union. Ils affirment : « Nous devons réduire le rythme auquel l’Europe installe des parcs éoliens et des panneaux solaires. Actuellement, il est insoutenable ».]] [lançaient un appel pour arrêter les subsides à l’éolien et au solaire.

Ils dépeignaient un tableau bien sombre du paysage énergétique européen. Selon eux, la politique européenne de l’énergie est un triple échec en matière de :

 compétitivité : la facture des ménages et des industriels a augmenté ces quatre dernières années de respectivement 17% et 21% ;

 lutte contre les changements climatiques : les émissions de CO2 ont augmenté de 2,4% entre 2011 et 2012 ;

 sécurité d’approvisionnement : les fermetures de centrales au gaz moins rentables suite à l’essor des renouvelables menacent la sécurité d’approvisionnement. Ces centrales sont en effet essentielles pour assurer la consommation de pointe en cas de froid intense et prolongé.

Leurs solutions ?

 Mettre fin aux subsides à l’éolien et au solaire, qui pèsent sur la facture des consommateurs et accentuent le problème de surcapacités que l’on connaît actuellement. Selon eux ces secteurs sont assez forts pour se passer de soutien dès l’année prochaine.

 Mettre en place à l’échelle de l’Europe un mécanisme de capacités pour les centrales au gaz. Celui-ci permettrait de rémunérer ces centrales pour leur disponibilité à assurer la sécurité d’approvisionnement, qu’elles produisent de l’électricité ou non.

 Revoir la politique de lutte contre les changements climatiques en augmentant le prix du carbone.

Cette analyse des 10 grands énergéticiens est à tout le moins partielle, voire partiale.
Certes, le soutien aux énergies renouvelables a contribué à l’augmentation de la facture des consommateurs mais les énergies renouvelables sont loin d’être les seules énergies subsidiées. Dans un rapport à paraître, la Commission européenne chiffrait les subsides au nucléaire à 35 milliards d’euros, aux renouvelables à 30 milliards d’euros, et aux fossiles à 26 milliards d’euros plus 40 milliards d’euros de coûts sociaux et environnementaux. Bien sûr, il est nécessaire d’adapter le niveau de soutien avec la maturité des technologies renouvelables pour éviter des rendements excessifs – je ne suis pas en mesure de me prononcer si le moment est déjà venu – mais pourquoi ne cibler que le renouvelable ?

Par ailleurs, si les 10 énergéticiens souhaitent améliorer la compétitivité, ce n’est pas en créant le mécanisme de capacité qu’ils souhaitent qu’on y arrivera car cela équivaudrait à un nouveau subside pour le gaz à charge des consommateurs… Ces contradictions s’éclairent peut-être quand on sait que le groupe Magritte – dénommé ainsi suite à sa première rencontre dans le musée dédié à l’artiste bruxellois- est moins impliqué dans les énergies vertes. Les 10 compagnies représentent ensemble 50% de la capacité de production d’électricité en Europe mais seulement 30% des capacités renouvelables.
N’est-il pas légitime de se donner les moyens de ses ambitions climatiques ? Le développement à grande échelle des renouvelables est indispensable pour décarboner notre économie et éviter un chaos climatique. On ne peut en tout cas pas juger valablement la politique énergétique européenne en la matière en regardant l’évolution des émissions sur les deux dernières années seulement. Il est évident que le développement des renouvelables contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’énergie même si celles-ci dépendent aussi de nombreux autres facteurs (évolution de la consommation, crise économique, prix des différents combustibles, températures hivernales,…).

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Le développement des renouvelables représente un investissement important certes mais qui présente aussi de nombreux autres bénéfices en termes de création d’emplois, d’amélioration de notre indépendance énergétique, de réductions des coûts de santé publique liés à la combustion des énergies fossiles. Rappelons également qu’une bonne partie du parc de production électrique est vieillissant en Europe et que des investissements importants devront être réalisés, quelle que soit la technologie choisie. La vraie question est plutôt de savoir comment répartir ses coûts d’investissements de manière équitable et solidaire entre tous les consommateurs, petits et grands.

Que propose le groupe Magritte pour faire face au défi climatique ? La réforme du marché du carbone, actuellement moribond est indispensable mais est insuffisante pour stimuler à elle seule les investissements nécessaires.

Quant aux menaces qui pèsent sur la sécurité d’approvisionnement, le renouvelable n’est pas seul en cause. La situation actuelle est due à l’incompatibilité entre d’une part le maintien d’une production de base inflexible – nucléaire ou au charbon – et d’autre part l’essor du renouvelable. « Prises en sandwich » entre les deux (voir la partie en jaune dans les schémas ci-dessous), les centrales au gaz tournent de moins en moins. Ce problème est accentué par l’essor des gaz de schiste aux Etats-Unis qui a détourné vers l’Europe des volumes importants de charbon bon marché qui les rend encore moins compétitives.

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Figure de gauche : Système électrique actuel avec une faible part d’énergies renouvelables fluctuantes
Figure de droite : Système électrique avec plus de 25% d’électricité renouvelable intermittente
Source : Greenpeace (2011) Battle of the grids

Or l’électricité renouvelable intermittente nécessite actuellement des capacités de réserve flexibles pour prendre le relais, que seules les centrales aux gaz et les centrales hydrauliques sont capables de fournir. Conséquence : la sécurité d’approvisionnement se dégrade : trop peu d’électricité aux pics de consommations (suite à la fermeture des centrales au gaz non rentables) et trop d’électricité à d’autres moment (la production de base inflexible plus la production le renouvelable étant supérieures à la demande). Ces deux situations sont aussi dangereuses l’une que l’autre pour l’équilibre du réseau. Le système actuel est donc à terme difficilement tenable sans engendrer des surcoûts importants.

Que faire alors ? Fermer les centrales nucléaires ou au charbon ! Les simulations du rapport Battle of the grids, démontrent que l’intégration des renouvelables à grande échelle en Europe (68% en 2030 et 99,5% en 2050) est faisable tant sur le point technique qu’économique et ce, en garantissant un niveau élevé de sécurité d’approvisionnement, même dans des conditions climatiques les plus extrêmes. Mais pour y parvenir, leur scénario prévoit une fermeture progressive de 90% des centrales au charbon et nucléaires d’ici 2030, et un abandon complet en 2050. Les centrales au gaz, moins intensives en capital, restent rentables même utilisées de manière intermittente.

Alors, le renouvelable est-il la cause des problèmes actuels ou au contraire la solution ? « C’est la cause de tous nos problèmes » répondent en cœur les 10 grands énergéticiens du groupe Magritte. Tournés vers le passé, ils espèrent maintenir le système qui a fait leur prospérité. Mais si on regarde vers l’avenir, les renouvelables représentent bien évidemment la solution pour notre approvisionnement énergétique. Il est dommage, vraiment très dommage que ces grands groupes ne l’aient pas encore compris et présentent une version tronquée de la réalité pour servir leurs intérêts à court terme. La révolution énergétique est déjà en marche et leur expérience et leur expertise seraient des plus utiles pour faire face au défi de la transition vers une économie neutre en carbone.

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie