Le jeudi 7 novembre, les membres du gouvernement wallon ont validé ce que sera l’avis de la Wallonie sur le plan d’investissements du Groupe SNCB, attendu depuis l’été dernier par l’autorité fédérale. Il y a un mois, nous vous partagions notre espoir de voir cet avis inspiré par les deux très bons rapports publiés récemment sur le sujet (lire ici. Saint-Nicolas serait-il en avance dans sa tournée ? Notre souhait a été en grande partie exaucé. Une ombre au tableau : les décisions en matière d’investissements dans la région de Charleroi, qui pèsent quand même pour un tiers environ du budget consacré aux priorités wallonnes.
Petite analyse point par point de cet avis
Première bonne nouvelle :
La Wallonie décide d’apporter 180 M€ pour co-financer une partie des projets wallons. Dans un contexte de difficultés budgétaires, nous apprécions ce choix du Gouvernement. Mettre de l’argent dans le développement des transports publics n’est pas une dépense superflue mais bien à proprement parler un investissement au service des citoyens d’aujourd’hui et de demain.
Seconde bonne nouvelle :
La Wallonie adhère à la proposition du fédéral d’activer le solde des préfinancements 2005. Cela permettra d’accélérer les chantiers RER et d’y mettre fin en 2021 pour le L161 et en 2023 pour la L124. Le choix de priorité entre les deux lignes est le bon vu l’avancement des chantiers et les contraintes administratives encore existantes (permis non délivré pour la L124).
Troisième bonne nouvelle :
La Wallonie précise ses exigences en termes de suivi de la mise en œuvre du Plan Pluriannuel d’Investissements (PPI), en particulier à travers les aspects que devra comporter l’Accord de coopération (entre l’Etat fédéral et les Régions). Elle réclame un meilleur accès aux données (suivi des chantiers), la connaissance du Plan Transport, la consultation de la Wallonie et son approbation en cas de modifications des projets et leur calendrier. Autre point positif, la possibilité d’adapter le plan par des glissements éventuels d’un projet à l’autre, de sorte que le budget prévu pour la Wallonie soit effectivement utilisé au final, même si des chantiers initialement prévus ne devaient pas être réalisés.
Quatrième nouvelle, qui pourrait être bonne :
La Wallonie considère que « garantir les fondamentaux » est un préalable impérieux. Elle pointe l’insuffisance des moyens prévus par le PPI pour assurer le maintien et le développement du transport ferroviaire en Wallonie. Et rappelle l’engagement pris par le fédéral le 19 juillet 2013 concernant le maintien des lignes C (lignes les moins utilisées), engagement qui vise à en assurer une exploitation sûre et de qualité pour les voyageurs. De notre point de vue, tant que ces engagements ne se traduisent pas concrètement par des budgets supplémentaires affectés en début de plan à ce poste, l’avenir des lignes C reste inquiétant. Une exigence très précise serait de ne pas autoriser Infrabel à réduire la vitesse autorisée sur ces lignes (première conséquence en cas d’investissement insuffisant en renouvellement d’infrastructures, et première étape de la dégradation du service menant à un risque de fermeture à termes).
Cinquième nouvelle, qui pourrait être bonne :
La Wallonie n’admet pas que l’achèvement des travaux de modernisation de l’axe 3 soit reporté à 2021. La convention de préfinancement, dans le cadre de laquelle la Wallonie a déjà déboursé 28M€, prévoyait la fin du chantier pour 2014.
C’est bien de se plaindre, mais en sus, la Wallonie doit exiger une adaptation du PPI pour permettre de raccourcir le délai annoncé, quitte à accepter le report au calendrier d’autres projets pour respecter la clé de répartition régionale. Par exemple, le P+R de LLN prévu dès les premières années du PPI alors que la L161 ne pourra pas accueillir une exploitation type RER avant 2021.
Dernière nouvelle, à la fois bonne et mauvaise :
La Wallonie a enfin fait un travail de priorisation parmi les 35 projets identifiés par l’étude Tritel en 2012. La priorisation se traduit en deux paquets : les priorités et les projets de réserve.
Parmi les 18 projets qui constituent le premier paquet, 16 projets ont leur place. Ce sont effectivement des projets ferroviaires porteurs et donc prioritaires pour la Wallonie. Ils permettront d’améliorer l’offre de transport ferroviaire soit pour les navetteurs au quotidien soit pour les entreprises utilisatrices du rail (transport de marchandises) et parfois pour les deux en même temps. C’est la bonne nouvelle.
Parmi ces projets, beaucoup permettent d’améliorer la capacité de lignes existantes (augmentation du nombre de voies, évitement de cisaillements, ouvrages de croisement, allongement de voies de garage ou de voies d’évitement, quais supplémentaires en gare, etc.). C’est le cas pour les lignes L96 Mons-Bruxelles, L161 sections Ottignies-LLN et Ottignies-Gembloux, L140 et L130 entre Fleurus, Auvelais et Namur, mais encore l’Athus-Meuse, la L42 Rivage-Gouvy, la L43 Jemelle-Herstal, la L132 section Couvin-Walcourt et enfin la L139 entre Ottignies et Leuven. La ponctualité devrait donc s’améliorer sur ces lignes et à terme la fréquence de leur desserte (encore faut-il des trains et des conducteurs disponibles !). D’autres projets retenus comme prioritaires par le gouvernement wallon permettent de réduire le temps de parcours sur certains tronçons et ainsi d’améliorer les correspondances en gare (premiers pas vers un cadencement en réseau optimal). Ainsi, il est prévu le relèvement de la vitesse de référence entre Lille et Tournai, entre La Louvière-sud et Charleroi-Sud, entre la-Louvière-sud et Marchienne, sur la L42 et particulièrement entre Trois-Ponts et Vielsam (actuellement limité à 80km/h), sur la L132 entre Couvin et Mariembourg et aussi sur la L139 entre Ottignies et Leuven. Citons encore quelques projets dédiés particulièrement au développement du transport de marchandises par rail comme la modernisation des gares de triage, l’adaptation de l’infrastructure du corridor européen de fret est-ouest ou encore le projet Liège-Carex. Enfin, deux projets concernent la remise en service de lignes : la L125a (dans le cadre d’un réseau express liégeois) et la L97 Mons-Valencienne.
Tous ces projets, qui totalisent un budget de 648M€, contribueront à améliorer progressivement et concrètement le quotidien d’une bonne partie des utilisateurs du rail, qu’ils soient des navetteurs ou des entreprises. Réjouissons-nous !
Par contre deux projets repris dans la liste des priorités pour la Wallonie ne sont pas des projets ferroviaires et desservent davantage des intérêts plus particuliers. Il s’agit d’une part de la finalisation de la modernisation de la gare de Charleroi-Sud et Gosselies, et d’autre part du projet de raccordement et de gare à proximité de l’aéroport de Gosselies, qui est un projet en faveur du développement de l’aérien.
Il faut savoir que la gare de Charleroi-Sud bénéficie déjà d’un budget de 80M€ d’investissements pour la période 2013-2025, alors même que cette gare a été entièrement rénové en 2011 ! Il est difficilement justifiable d’ajouter 30M€ supplémentaires pour cette gare (Il s’agirait principalement d’améliorer la multimodalité de la gare pour permettre de mieux absorber les flux de et vers l’aéroport) alors que tant d’autres gares ou points d’arrêts sont dépourvus des infrastructures minimales pour l’accueil de voyageurs. Nous ne critiquons pas le projet en lui-même. Améliorer la muti-modalité et les espaces publics autour de la gare sont des objectifs pertinents mais ils relèvent davantage d’une politique urbaine ou d’aménagement du territoire et devraient logiquement être (co-)financés par la Ville de Charleroi elle-même ou par la Région dans le cadre de sa politique des grandes villes par exemple.
Le projet de liaison vers Gosselies. Il est très difficilement défendable. A part faire plaisir à BSCA (Brussels South Charleroi Aiport) et à Ryanair, le projet n’apporte rien. Aucun des arguments avancés par ses pourfendeurs ne tient la route. Le projet ne permet pas d’améliorer les navettes vers Bruxelles pour les carolos, au contraire, le détour par Gosselies leur fera perdre environ 7 minutes. Pour les personnes qui doivent se rendre à l’aéroport, l’attractivité de cette nouvelle liaison sera toute relative par rapport à l’efficacité des navettes de bus et autocar existantes (horaires SNCB moins larges et transfert obligatoire du train vers un peoplemover[[Le projet retenu par le Gouvernement est « le projet de gare en surface à localiser au sud de l’autoroute, équipée d’un peoplemover de la gare ferroviaire jusqu’à l’aérogare ». La forme de ce peoplemover n’est pas précisée ; le terme est généralement utilisé pour désigner une sorte de tram aérien ou encore d’un long tapis roulant.]] pour atteindre l’aéroport). Quant aux travailleurs de l’aéropôle, il faudrait qu’ils soient bien courageux pour poursuivre à pied ou à vélo dans la zone d’activité économique après avoir pris le train puis le peoplemover. « Et si demain, la Wallonie devait avoir son propre aéroport national, Bruxelles-Zaventem étant en pays flamand ? » ont avancé certains pour défendre le projet de liaison. Nous leur répondons que si demain la Wallonie était indépendante, alors, elle ferait bien d’investir les derniers deniers de l’Etat fédéral encore disponibles de manière rationnelle. Et dans ce cas, investir dans la desserte ferroviaire d’un aéroport dont le développement est nécessairement limité par la non possibilité d’allonger les pistes pour accueillir des vols transatlantiques[[Vu les progrès technologiques des appareils de vols, il est techniquement possible de permettre à des vols longs courriers (ex. Narrow body type 737, A320 B757) de décoller de Gosselies, mais seulement dans des conditions climatiques optimales (c’est donc aléatoire) et de toute façon, pas pour des vols longs courriers de + de 12 heures (ex. Boeing 747-400, pour des destinations comme la côte Ouest des USA, l’Australie ou encore l’Afrique du Sud).]] (à moins de raser le village de Ransart), alors que Liège Airport offre déjà cette possibilité, n’est pas rationnel. Au-delà des sous-régionalisme, investir cet argent fédéral dans la modernisation du réseau wallon, qui serait demain à charge de la Wallonie, serait beaucoup plus pertinent.
Enfin, pour ceux qui en douteraient encore, ce projet de liaison et de gare ferroviaire à proximité de l’aéroport de Gosselies n’est pas un projet bénéfique d’un point de vue environnemental. Même s’il permetta que presque 4.000 personnes par jour se rendent en train plutôt qu’en voiture à Gosselies, le coût pour la collectivité (argent public investi) par tonne de CO2 économisée grâce ce projet est jusqu’à 250 fois supérieur au prix de la tonne sur la marché du carbone actuellement[[Partant des estimations réalisées par TUC RAIL à propos du potentiel de report modal dans le cadre de liaison ferroviaire (report de VP vers train : environ 4000 personnes par jour), des émissions théoriques des deux modes (VP : 0.20 gCO2/km et train : 0.031gCO2/km), en comptant un taux d’occupation de 2.5 personnes pour les voitures et un amortissement de l’investissement sur 20 ans, nos estimations sont de l’ordre de 1.123€ la tonne de CO2 économisée, alors que sur la marché du carbone, cette tonnes s’échange à l’heure actuel au prix de 4.42$.]] . Il n’est pas difficile de trouver des investissements plus porteurs pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre que celui-là, surtout lorsque les émissions liées aux activités aériennes seront mieux intégrées dans le bilan carbone des pays.