Agriculture : des mesures agro-environnementales orientées « climat »

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Le nouveau cadre de la Politique Agricole Commune prévoit une meilleure intégration des questions climatiques. Pour rencontrer cet objectif, les programmes de développement ruraux devront contribuer aux enjeux relatifs au climat. Mais en l’absence d’indications claires et d’objectivations de l’impact climatique des mesures proposées, les Etats-Membres risquent de justifier sous cet enjeu des mesures réalisées à d’autres fins et à faible « impact climat ». Pour objectiver les marges de progrès et prioriser les actions qui pourraient entrer dans cette politique, nous proposons d’analyser le bilan des émissions de la Wallonie en le mettant en relation avec les mesures potentielles de réduction des émissions en agriculture qui viennent de faire l’objet d’une évaluation scientifique.

Émission par l’agriculture wallonne

agro1.pngSelon le Tableau de bord de l’environnement wallon, les émissions de gaz à effet de serre par l’agriculture représentent un peu moins de 10 % des émissions de la Wallonie. Elles sont principalement liées à l’élevage (38 % proviennent de la fermentation entérique), aux émissions de protoxyde d’azote induites par la fertilisation (43 % ), à la gestion des effluents d’élevage (12%) et à la consommation d’énergie (7 % provenant des machines agricoles, du chauffage des bâtiments, …). Ces émissions ont diminué depuis 1990 de près de 10 %, réduction qu’il faut cependant relativiser eu égard à la diminution substantielle des surfaces agricoles et d’autres éléments propres au mode de calcul des émissions. Mentionnons aussi que la comptabilité des émissions définie par les Nations-Unies ne prend pas en compte les émissions associées à la production des engrais ni l’énergie grise associées aux matériels et bâtiments.

Un premier plan air climat Wallon

En l’absence des mesures prévues par le futur Plan Air Climat Énergie (PACE-W), nous utiliserons les mesures détaillées dans le Plan air climat 2008-2012 de la Région. Ce plan incluait – sans leur donner un nouvel élan – différentes dispositions existantes qui participent à la réduction des émissions de GES par l’agriculture tel que le programme de gestion durable de l’azote. Il prévoyait également de nouvelles mesures ou le renforcement de mesures existantes pour limiter les émissions de NH3 des bâtiments d’élevage (mesure 25), pour soutenir le développement de la biométhanisation agricole (mesure 26) et la diffusion des bonnes pratiques via des actions de démonstration. Le plan n’objectivait pas les marges de progrès possible ni le coût de leur mise en œuvre. Il est vrai qu’il n’existait pas d’études précises sur les actions les plus appropriées à adopter pour réduire les émissions agricoles.

Potentiel d’atténuation et coût des mesures possibles

Une récente publication de l’INRA « Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions de gaz à effet de serre » permet cependant de clarifier l’état des connaissances et de prioriser les mesures sur base de critères plus objectifs : le coût de la réduction des émissions et le gisement de réduction d’émissions. Cette étude n’envisage que des actions aux effets avérés et sans impact notable sur d’autres compartiments de l’environnement. Leur mise en œuvre ne modifie pas non plus les systèmes agricoles et elles sont socialement acceptables. Les actions envisagées ne se limitent pas au cadre de la comptabilité agricole des émissions puisqu’elles envisagent également des réductions d’émissions via la captation du carbone (dans les sols par exemple) et une réduction des émissions attribuée au secteur industriel (production d’azote minéral par exemple). Sur ces bases et en prenant en compte les interactions entre les différentes mesures, le potentiel de réduction d’ici à 2030 est estimé à 25 %/an. Ce chiffre est à priori transposable à la Wallonie étant donné que l’origine et la nature des émissions y sont relativement similaires.

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Des mesures économiquement rentables pour l’agriculture

Un tiers du potentiel de réduction correspond à des actions à coût technique négatif, c’est-à-dire donnant lieu à un gain financier pour l’agriculteur. Il s’agit d’actions relevant d’ajustements techniques avec économies d’intrants sans perte de production. Figurent dans cette catégorie des sous-actions relatives à la conduite des prairies : l’allongement de la durée de pâturage, l’accroissement de la part des légumineuses dans les prairies, l’allongement de la durée des prairies temporaires et la désintensification des prairies les plus intensives.
Certaines actions portent sur les économies d’énergie fossile (réglage des tracteurs et éco-conduite, isolation des bâtiments d’élevage), l’ajustement de la fertilisation azotée à des objectifs de rendement réalistes, la modulation des dates et la localisation des apports, une meilleure prise en compte de l’azote apporté par les produits organiques, l’ajustement de l’alimentation protéique des bovins et des porcs.

Comme on peut le constater, la majeure partie de ce potentiel d’atténuation à coût négatif est liée à la gestion de l’azote (fertilisation des cultures et des prairies, légumineuses, alimentation azotée des animaux). Viennent ensuite la gestion des prairies et les économies d’énergie fossile.

Si le programme de gestion durable de l’azote en agriculture contribue à améliorer la gestion de l’azote, les actions économiquement rentables vont clairement plus loin. Relevons que la Flandre dispose déjà via le MesActiePlan IV d’un cadre pour la gestion des effluents qui rencontre certaines des actions relevées ci-avant (ajustement de l’alimentation protéique, bilan d’azote, …).

Des mesures économiquement efficientes pour la société

Un deuxième tiers du potentiel de réduction a un coût très modéré (inférieur à 25 € par tonne de CO2e évitée). Il s’agit d’actions nécessitant des investissements spécifiques (la méthanisation) ou modifiant un peu plus fortement le système de culture (réduction du labour, agroforesterie, développement des protéagineux) occasionnant de légères baisses du niveau de production, partiellement compensées par des baisses de charges (carburants) ou la valorisation de produits complémentaires (électricité, bois). Notons que l’analyse intègre les subventions et la défiscalisation des carburants. Sans défiscalisation des carburants, le non-labour devient rentable tandis que la méthanisation coûterait 55 €/tonne de CO2e évitée. Le non-labour et la méthanisation ont un potentiel très important en terme de réduction des émissions. Enfin, ces actions contribuent à d’autres objectifs agroenvironnementaux : production d’énergie renouvelable (méthanisation) et réduction de l’érosion des sols (non-labour, agroforesterie).

Des actions plus « multifonctionnelles »

Le troisième tiers correspond à des actions à coût plus élevé (supérieur à 25 € par tonne de CO2e évitée). Il s’agit d’actions nécessitant un investissement sans retour financier direct (torchères, par exemple), des achats d’intrants spécifiques (inhibiteur de nitrification), du temps de travail dédié (cultures intermédiaires, gestion des haies…) et/ou impliquant des pertes de production plus importantes (tournières), sans baisse de charges et avec peu de valorisation des produits supplémentaires (ne sont pas pris en compte les soutiens financiers octroyés par les mesures agroenvironnementales). Les actions visées ont cependant un effet positif sur d’autres enjeux environnementaux (érosion, biodiversité, paysage, protection des eaux de surface et souterraines) Ces actions contribuent à des objectifs multiples et l’évaluation de leur intérêt et de leur coût en regard des seuls effets bénéfiques sur l’atténuation des émissions de GES est insuffisante.
Enfin, il importe de relever les différences importantes en terme de maîtrise technique et d’avantage climatique pour les intercultures en Wallonie. L’étude compte une récupération d’azote de l’ordre de 5 à 10 kg par ha alors qu’en Wallonie[ [Les cultures intermédiaires pièges à nitrate (CIPAN) et engrais verts : protection de l’environnement et intérêt agronomique ]], la moyenne est 35 Kg/ha pour la culture qui suit et globalement 70 kg/ha. En Wallonie, cette mesure devrait donc se classer dans les mesures à faible coût.

Parmi les différentes actions proposées, il faut souligner que certaines font l’objet d’un soutien dans le cadre du programme agroenvironnemental (tournière, haie, interculture) mais l’étude postule qu’elles rencontrent un succès allant au-delà de la situation actuelle, excepté pour les intercultures qui sont obligatoires sur la majorité du territoire wallon contrairement à la France (lié aux zones vulnérables pour les nitrates).

Les mesures potentielles identifiées en France constituent une base intéressante pour l’élaboration du volet agricole du prochain Plan d’Action « Air Climat ». Une analyse plus fine eu égard au contexte wallon devrait également contribuer à l’élaboration des mesures du prochain programme de développement rural. Relevons à cet effet la mise en place, en France, de mesures agroenvironnementales ayant une composante climat importante du fait notamment de l’introduction d’une approche globale de l’exploitation, du soutien à l’introduction des légumineuses et d’une gestion plus parcimonieuse de la fertilisation.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité