La manière d’aborder l’accès à la justice en matière d’environnement est multiple que ce soit à travers la question de l’intérêt à agir du citoyen ou d’une association, du pouvoir de révision du juge, de la nature de l’acte attaqué. Un des pans concerne aussi la dimension financière et plus spécifiquement le coût inhérent aux procédures en justice. Je vous propose de parcourir brièvement ce dernier volet à la lumière d’un arrêt tout frais tout chaud rendu par la Cour de justice de l’Union européenne.
Je ne vous apprendrai rien en vous indiquant qu’agir en justice est susceptible de générer des frais financiers qui s’avèrent parfois très importants. Différents textes internationaux et européens prévoient que les procédures en justice en matière d’environnement ne doivent pas générer un coût prohibitif. Ainsi, la Convention d’Aarhus[ [Convention des Nations Unies relative à l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement adoptée le 25 juin 1998 ]] prévoit que « (…) les procédures (…) doivent être objectives, équitables et rapides sans que leur coût soit prohibitif. (…) » (art.9.4.) mais aussi que « (…) chaque Partie veille à ce que le public soit informé de la possibilité qui lui est donnée d’engager des procédures de recours administratif ou judiciaire, et envisage la mise en place de mécanismes appropriés d’assistance visant à éliminer ou à réduire les obstacles financiers ou autres qui entravent l’accès à la justice » (art.9.5.).
De son côté, la Directive européenne 2003/35/CE[[Directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement, et modifiant, en ce qui concerne la participation du public et l’accès à la justice, les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil (JO L 156, p. 17).]] stipule notamment que les «(…) procédures doivent être régulières, équitables, rapides et d’un coût non prohibitif » (art. 3, point 7 et article 4, point 4).
Toute la question est de savoir ce que recouvre cette notion de coût non prohibitif.
En droit belge, différents mécanismes ont été créés concernant les frais de justice que ce soit à travers un mécanisme d’indemnité de procédure, d’aide juridique (mécanisme d’aide en faveur de personnes qui ne disposent pas de revenus suffisants afin qu’elles puissent obtenir les conseils et/ou l’assistance d’un avocat) ou encore d’assistance judiciaire (mécanisme en vue d’obtenir la gratuité partielle ou totale des coûts liés à une procédure en justice). Il n’est cependant pas question de faire un état des lieux de ces différents procédés mais plutôt de présenter quelques enseignements tirés d’un arrêt tout récent de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
En effet, le 13 février dernier, la CJUE rendait un arrêt sur la question des coûts inhérents à l’accès à la justice en matière d’environnement[C.J.U.E., 13 février 2014 (Commission européenne c/ Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord), C-530/11.]]. La Cour était saisie d’un recours introduit par la Commission européenne à l’encontre du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord en raison de l’absence de transposition intégrale et d’un défaut d’application correcte de la directive 2003/35/CE. L’objectif de cette niews n’est pas d’entrer dans l’examen du cas d’espèce mais plutôt de faire état de quelques une des considérations générales mises en avant par la juridiction européenne. Vous pourrez consulter [l’intégralité de l’arrêt sur le site de la Cour de justice.
Ainsi, la Cour rappelle que « ( …) l’exigence relative à l’absence de coût prohibitif n’interdit pas aux juridictions nationales de prononcer une condamnation aux dépens à l’issue d’une procédure judiciaire, pour autant que ceux-ci soient d’un montant raisonnable et que les frais supportés par la partie concernée ne soient pas, dans leur ensemble, prohibitifs » (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C 260/11, non encore publié au Recueil, points 25, 26 ainsi que 28) » (point 44 de l’arrêt).
Elle poursuit en énonçant que « Lorsqu’une juridiction statue sur la condamnation aux dépens d’un particulier (…), elle doit cependant s’assurer du respect de l’exigence relative à l’absence de coût prohibitif en tenant compte tant de l’intérêt de la personne qui souhaite défendre ses droits que de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt Edwards et Pallikaropoulos, précité, point 35)» (point 45 de l’arrêt). Cette considération a par ailleurs le mérite de reconnaître, qu’au niveau de l’accès à la justice en matière d’environnement, le recours n’est pas systématiquement introduit en vue de faire valoir des intérêts personnels et privés mais aussi afin de préserver et de protéger l’environnement lequel présente une dimension collective.
Cependant, la Cour de justice indique également que les Etats bénéficient d’une marge d’appréciation. En effet, « Quant aux critères pertinents d’appréciation, la Cour a estimé que, en l’absence de précision du droit de l’Union, il revient aux États membres lors de la transposition d’une directive, d’assurer le plein effet de celle-ci et qu’ils disposent d’une ample marge d’appréciation quant au choix des moyens (voir en ce sens, notamment, arrêt Edwards et Pallikaropoulos, précité, point 37 ainsi que jurisprudence citée). Il en résulte que, s’agissant des moyens susceptibles de réaliser l’objectif d’assurer une protection juridictionnelle effective sans coût excessif dans le domaine du droit de l’environnement, il doit être tenu compte de toutes les dispositions du droit national pertinentes et, notamment, d’un système national d’aide juridictionnelle ainsi que d’un régime de protection des dépens tel que celui appliqué au Royaume-Uni (voir, en ce sens, arrêt Edwards et Pallikaropoulos, précité, point 38)» (point 46 de l’arrêt).
Néanmoins, si les Etats disposent d’une marge d’appréciation, « (…) le juge ne saurait limiter son appréciation à la situation économique de l’intéressé, mais doit également procéder à une analyse objective du montant des dépens, d’autant plus que les particuliers et les associations sont naturellement appelés à jouer un rôle actif dans la défense de l’environnement. Dans cette mesure, le coût de la procédure ne doit ni dépasser les capacités financières de l’intéressé ni apparaître, en tout état de cause, comme objectivement déraisonnable (voir, en ce sens, arrêt Edwards et Pallikaropoulos, précité, point 40).
S’agissant de l’analyse de la situation économique de l’intéressé, celle-ci ne peut reposer uniquement sur les capacités financières estimées d’un requérant «moyen», dès lors que de telles données peuvent n’avoir qu’un rapport lointain avec la situation de l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt Edwards et Pallikaropoulos, précité, point 41).
Par ailleurs, le juge peut tenir compte de la situation des parties en cause, des chances raisonnables de succès du demandeur, de la gravité de l’enjeu pour celui-ci ainsi que pour la protection de l’environnement, de la complexité du droit et de la procédure applicable ainsi que du caractère éventuellement téméraire du recours à ses différents stades (voir, en ce sens, arrêt Edwards et Pallikaropoulos, précité, point 42 ainsi que jurisprudence citée), mais aussi, le cas échéant, des coûts déjà engagés lors des instances antérieures dans le même litige » (points 47, 48 et 49 l’arrêt).
La CJUE rappelle, dans l’analyse du cas d’espèce, qu’une certaine prévisibilité est de mise pour toute personne désireuse d’introduire une procédure en justice. Ainsi, elle considère qu’ « Il ressort également de ce qui précède que ce régime jurisprudentiel ne permet pas d’assurer au requérant une prévisibilité raisonnable en ce qui concerne tant le principe que le montant du coût de la procédure juridictionnelle dans laquelle il s’engage, (…)» (point 58 de l’arrêt).
Bien que la Cour de justice avait déjà eu l’occasion d’examiner la question des coûts au niveau de l’accès à la justice en matière d’environnement, cet arrêt a le mérite de baliser le concept de coût non prohibitif, terme qui par définition, se veut pour le moins très général.