Ces dernières années, une poignée de climatosceptiques belges tentent de semer le doute sur la réalité du réchauffement global et remettent frontalement en cause le bien-fondé des politiques menées en vue de limiter ses impacts négatifs. Après s’être penché sur certaines de leurs motivations idéologiques, nous tentons de déchiffrer ici leur stratégie.
Au cœur de cette mouvance, le philosophe libéral Drieu Godefridi, grand habitué des médias belges francophones. En mars 2012, il fut auditionné au Parlement fédéral avec un autre climatosceptique belge, Itsvan Marko, à l’invitation du député David Clarinval (MR). Le cœur de son intervention consista en une tentative de décrédibilisation du GIEC et de son travail.
Nous sommes tombés sur une conférence qu’il a donnée le mois suivant à l’Institut Turgot, un think tank néolibéral français, où il commente pour ses pairs cette audition et la replace dans une stratégie globale.
Drieu Godefridi :
« Cette audition au Parlement est le résultat d’un long travail, on a pas été auditionnés par hasard. On s’est mis ensemble – un groupe de scientifiques, de journalistes, de politiques etc. – et on s’est dit qu’on allait essayer de faire quelque chose. D’abord en Belgique, puis essayer de voir si on ne pouvait pas essaimer ailleurs en Europe. Et beaucoup d’autres, Nigel Lawson[Nigel Lawson est le fondateur de la Global Warming Policy Foundation (GWPF), [un think tank climatosceptique qui combat les politiques visant à lutter contre le réchauffement climatique, tout en prétendant subtilement vouloir amener « la confiance et l’équilibre » dans le débat sur le climat. Parmi les administrateurs de la GWPF, on retrouve aussi Henri Lepage, membre fondateur de l’Institut Turgot, initiateur de la conférence de Drieu Godefridi qu’il présente ainsi : « Vous connaissez les idées de l’Institut [Turgot] en matière d’écologie et d’environnement et il [Godefridi] est tout à fait en alignement sur nos approches ».]] par exemple en Grande-Bretagne, font la même chose dans d’autres pays. En France, ça ne prend pas vraiment pour le moment (…)
Il doit y avoir un certain nombre d’initiatives qui soient coordonnées. Mais là où il faut porter le fer, je le crois prioritairement, c’est sur la nature du GIEC, puisque là nous pouvons assez facilement démontrer que ces gens sont dans une forme d’imposture. Alors que dans le débat scientifique proprement dit – indépendamment de moi, il y en a d’autres qui sont des scientifiques avec nous – c’est beaucoup plus difficile de convaincre les gens, parce que les gens ne comprennent rien. Moi non plus d’ailleurs ! »[L’enregistrement vidéo est disponible [ici à 27 min 30.]]
Drieu Godefridi a, depuis lors, cosigné avec quelques autres intellectuels, journalistes et scientifiques, un ouvrage climatosceptique[ [Voici une analyse des ficelles argumentatives de ce collectif, dont les membres sont : ANNE DEBEIL, Ingénieur civil Chimiste, ingénieur conseil en sécurité & environnement (Brabant). – LUDOVIC DELORY, Licencié en Journalisme, Essayiste &Journaliste (Brabant). – SAMUEL FURFARI, Ingénieur civil Chimiste, Docteur en Sciences Appliquées, Maître de Conférences à l’Université Libre de Bruxelles (Brabant). – DRIEU GODEFRIDI, Juriste, Docteur en Philosophie, Essayiste & Administrateur de Sociétés (Brabant). – ISTVAN MARKO, Docteur en Chimie, Professeur à l’Université Catholique de Louvain]] . Pour l’anecdote, cet ouvrage est édité par une maison d’édition dont Drieu Godefridi est lui-même administrateur délégué. Parmi les autres ouvrages édités par cette maison d’édition, on retrouve celui de David Clarinval qui pourfend les énergies renouvelables et le développement durable, ou encore un ouvrage de Samuele Furfari faisant l’éloge des énergie fossiles.
David Clarinval a fait de la dénonciation des énergies renouvelables et de leur coût un étendard de son combat politique. Il s’exprime moins souvent directement sur l’enjeu climatique, mais lorsqu’il le fait, comme ci-dessous sur Twitter (2013), c’est pour défendre le point de vue des climatosceptiques ou faire la promotion de leur livre.
Il existe des nuances dans l’affirmation du climatoscepticisme. Certains tentent d’attaquer frontalement les conclusions scientifiques du GIEC, comme le chimiste Itsvan Marko. D’autres, qui prétendent généralement ne pas se prononcer sur la science du climat, tentent de discréditer le GIEC, comme Drieu Godefridi, ou se focalisent sur le refus des politiques visant à minimiser les changements climatiques, comme David Clarinval et Corentin de Salle. Ces derniers refuseront parfois le qualificatif « climatosceptique », peu porteur politiquement.
L’historienne Naomi Oreskes a analysé les origines du discours climatosceptique aux Etats-Unis. Dans une conférence donnée en 2012 en Belgique, elle montre que la stratégie du doute utilisée par les climatosceptiques est directement importée de l’industrie du tabac[[Voir à ce propos l’édifiant ouvrage : “Golden Holocaust, la conspiration des industriels du tabac”, de Robert N. Proctor, Editions des Equateurs pour la traduction française, 2014, 698p.]] . Hier, l’objectif était de faire douter les décideurs et le grand public de la réalité des effets néfastes du tabac sur la santé, aujourd’hui, il s’agit de faire douter décideurs et citoyens de la réalité des changements climatiques. Des scientifiques prêts à collaborer sont recrutés pour instiller le message que « la science est trop incertaine pour justifier l’action gouvernementale ».
Cette stratégie avait également été utilisée pour retarder l’action politique contre le trou dans la couche d’ozone, l’amiante ou encore contre les pluies acides.
Dans le cas anglo-saxon, Oreskes montre qu’à la base du discours climatosceptique, il y a souvent une motivation idéologique à défendre le capitalisme et le libre marché contre la régulation des états. Suivant des penseurs tels que Friedman et Hayek, de nombreux climatosceptiques sont convaincus que les libertés individuelles sont inextricablement liées au libre marché. Et que lorsque le gouvernement commence à vouloir réguler le marché, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne cherche aussi à contrôler nos vies.
Cette idée est historiquement fausse, selon Oreskes. Dans les faits, la social-démocratie s’est souvent accompagnée d’une amélioration de la démocratie, malgré une large régulation étatique. Alors qu’à l’inverse, le libre marché semble bien compatible avec un régime autoritaire, comme le montre le cas de la Chine, dont le régime actuel est parfois qualifié d’« autoritarisme de marché ».
Dans une démocratie comme la nôtre, il est normal que les opinions diverses puissent s’exprimer, fût-ce pour raconter des contre-vérités. Si des climatosceptiques ont décidé de mener campagne dans notre petit pays, il faudra contrer leur désinformation par une argumentation qui met en évidence leur stratégie, leurs motivations et les incohérences de leur discours.
A vrai dire ce n’est pas la lutte contre les changements climatiques qui menace notre démocratie. La désinformation et la manipulation lui font plus de tort. Mais le plus gros risque pour nos sociétés démocratiques, c’est encore celui de l’inaction face à un réchauffement global dont les conséquences destructurantes pourraient mener à la barbarie.