Depuis plusieurs années, et souvent sans trop savoir ce que cela signifie réellement, la politique de la ville est à la mode en Wallonie : que ce soit à la faveur du recentrage de l’urbanisation devenu un enjeu majeur pour beaucoup, à la faveur d’un marketing territorial belge et européen qui laisse souvent les villes wallonnes sur la touche, ou encore à la faveur de la régionalisation d’une politique fédérale historique et bien dotée, la Politique Fédérale des Grandes Villes. Tour d’horizon.
Lors de la législature précédente, le Ministre de la Ville et des Pouvoirs locaux, Paul Furlan, avait marqué politiquement ce phénomène. D’un colloque sur le sujet à l’échafaudage d’une vision ad hoc, le Gouvernement Demotte avait souhaité ainsi préparer le terrain en vue de la régionalisation de la compétence.
En cette première année de législature 2014-2019, on continue politiquement à peaufiner les fondations. Mais, si l’on se base sur une observation attentive de l’actualité régionale en urbanisme, on ne sait pas encore très bien dans quelle direction on va en termes de politique de la ville.
Park Spoor Noord à Anvers : la Politique Fédérale des Grandes Villes a permis ici la création d’un espace vert au rôle social essentiel, au milieu de quartiers denses historiquement en difficulté (crédits : Commission Européenne, DG Regio).
Rapide retour sur les principales infos ad hoc de l’année écoulée. Une des principales propositions du CDH pendant la campagne, la création de nouveaux quartiers, sinon de nouvelles villes, a été reprise dans la Déclaration de Politique Régionale 2014-2019. Par ailleurs, une étude, sur les localisations potentielles de quartiers nouveaux en Wallonie, a été commandée en janvier aux universités UCL, ULB et ULg. Enfin, la régionalisation de la compétence fédérale de la Politique Fédérale des Grandes Villes (PFGV) devra être formalisée.
Ce qui est aussi intéressant que perturbant avec la politique de la ville aujourd’hui, c’est le clair mélange des genres. En effet, sûrement parce qu’il continue à régner une grande confusion sur ce qu’on met derrière le vocable, la proposition « politique de la ville » crée un large consensus autour d’elle parmi tous les interlocuteurs. Tout est le monde est pour, même si on ne sait pas trop ce que c’est. Et si on est pour, c’est souvent pour des raisons très variées.
Aujourd’hui, on est pour, pour soutenir l’économie. En effet, la politique de la ville pourrait être synonyme du développement de nouveaux quartiers ou de re-développement des centres villes, avec leurs cortèges de nouveaux chantiers, d’activités, et d’emplois. Aujourd’hui, on est pour, pour soutenir le recentrage de l’urbanisation dans une optique environnementale. En effet, la politique de la ville pourrait permettre d’augmenter l’habitabilité et la convivialité des centres villes et villageois, et de ce fait, d’en améliorer l’attractivité résidentielle au détriment des périphéries. Aujourd’hui, on est pour, pour lutter contre les inégalités sociales. En effet, la politique de la ville pourrait être synonyme de soutien aux plus défavorisés, qui, configuration territoriale belge spécifique oblige, se trouvent souvent en plus grand nombre dans les quartiers les plus centraux des grandes villes.
C’est d’ailleurs sur base de cette motivation – la lutte contre la pauvreté – que l’idée de la politique de la ville s’est développée en Belgique. Ce qui n’a rien d’évident quand on entend « politique » et « ville ». La politique de la ville, à la limite en Belgique, n’a à la base aucun lien avec la ville, l’urbanisme ou le territoire. On est simplement parti du constat que les populations qui connaissent les plus grandes difficultés socio-économiques se retrouvent aujourd’hui en ville.
Sont alors mis sur pied – on est fin des années 1990 – différents dispositifs pour améliorer les conditions de ces personnes. Cela va de services sociaux personnalisés à des mesures de soutien plus global, qui ont trait au confort des logements, à l’accès aux services publics, à la qualité de l’environnement urbain. Ces différents dispositifs sont formalisés dans une grande boîte, la Politique Fédérale des Grandes Villes (PFGV).
Sans refaire l’histoire, le Fédéral fin des années 1990, en envisageant la lutte contre la pauvreté dans une acception large, s’est offert la possibilité d’intervenir dans l’urbanisme, une compétence pourtant régionalisée dès les années 1980. Ce qui est ironique, en définitive, c’est que si on en reste à la motivation intrinsèque de la PFGV, cette politique aurait très bien pu s’intituler « politique fédérale du monde rural, si, fin des années 1990, c’est dans le monde rural qu’on avait rencontré les plus grands problèmes sociaux à l’échelle du pays. Ce qui est bien entendu très éloigné de la situation territoriale belge, avec des villes relativement pauvres et des campagnes relativement riches.
La PFGV, appelée aujourd’hui à être régionalisée, se trouve donc à la croisée des chemins. En la régionalisant en Wallonie, doit-on en repenser les contours ? En particulier, la lutte contre la pauvreté doit-elle en demeurer le moteur principal ?
Un autre aspect crucial de la régionalisation est ce qu’on va faire des outils existants de l’urbanisme opérationnel wallon en milieu urbain. L’urbanisme et l’aménagement du territoire étant des matières historiques régionalisées dès les années 1980, la Région a développé tout un arsenal d’outils, aujourd’hui actifs en de nombreux lieux du territoire. Rénovation urbaine, revitalisation urbaine, zone d’initiative prioritaire et quartiers d’initiative… les outils pour améliorer l’état des quartiers urbains wallons sont nombreux. Dans ce contexte, la régionalisation de la compétence fédérale doit-elle amener à une refonte totale des dispositifs ? On peut le penser.
Ce qui manque certainement en Wallonie en l’état, c’est une vision de ce que doivent être les interventions régionales positives sur les centres urbains. Quel doit être le grand objectif poursuivi ? Quelles doivent être les outils ? Comment doivent-ils s’articuler entre eux ? Selon quelles modalités ces outils doivent-ils fonctionner. Des opérations au temps long ou au temps court ? Des subsides importants ou limités, pour chaque opération ? Des périmètres d’opération restreints ou non ? Des possibilités de montage de projets en partenariat avec le privé ? Des interventions publiques sur les espaces publics et / ou sur le bâti privé ?
La question des moyens est aussi de celle qui compte. On peut faire montre de toutes les intensions les plus ambitieuses du monde, on peut créer la boîte à outils la plus complémentaire et aboutie qui soit…, si nos moyens sont nuls ou quasi, on ne pourra pas aller bien loin. Mais d’ailleurs, d’où part-on ? Quels sont les moyens aujourd’hui consacrés à la politique de la ville ou apparentée dans les trois régions du pays ?
Les moyens qui sont consacrés avant régionalisation de la PFGV sont très divers. De 10 millions d’euros investis chaque année en moyenne en Wallonie dans ses dispositifs d’urbanisme opérationnels urbains, c’est 60 millions d’euros qui le sont en Région Bruxelloise et plus de 110 millions d’euros en Flandre. En outre, si la Flandre concentre plus de la moitié du budget sur deux de ses villes, Anvers et Gand, et que Bruxelles fait le pari d’un nombre d’opérations limité dans des périmètres de taille réduite pour une durée de seulement quelques années – les contrats de quartier –, la Wallonie est beaucoup moins restrictive dans sa manière de faire des politiques urbaines. En Wallonie, on ne limite pas le nombre d’opérations, plus ou moins toutes les villes et quartiers un peu denses de la Région sont éligibles, et les opérations sont envisagées sur le long-terme.
Les bâtiments de la rue des Brasseurs côté Sambre à Namur : une opération de rénovation urbaine réussie a permis ici, par des interventions sur le bâti et sur l’espace public, de re-faire de ces ilots un quartier vivant et attractif de la Corbeille (crédits : http://vydra.fd.cvut.cz).
Tant le montant des budgets consacrés que les modalités beaucoup moins sélectives en Wallonie qu’à Bruxelles et en Flandre font que les politiques urbaines wallonnes y sont beaucoup moins visibles qu’ailleurs. Un écueil ? Une satisfaction ? En tout cas, ces différences régionales et l’analyse croisée des résultats pourrait permettre de refonder sur des bases solides une politique de la ville wallonne. En effet, régionaliser la PFGV, c’est régionaliser des politiques qui ont pesé ces dernières années près de 200 millions tous les trois ans à destination des trois régions.
Le tableau de la situation permet de prendre conscience du caractère stratégique de cette régionalisation. Il y a beaucoup à faire en Wallonie en matière de politiques urbaines. A moyens inchangés, la régionalisation et un regard vers Bruxelles et la Flandre, aux profils territoriaux similaires, devraient nous pousser à re-penser toute la boite à outils de l’urbanisme opérationnel urbain wallon. Une politique de la ville spécifique qui viserait des objectifs propres aux caractéristiques de notre territoire doit être inventée. Des enjeux comme le re-centrage de l’urbanisation, l’attractivité des villes wallonnes par rapport aux autres villes belges, mais aussi la lutte contre la pauvreté en sortiraient en définitive mieux entendus.
Le prochain numéro de la Lettre des CCATM portera d’ailleurs sur tous ces enjeux qui accompagnent la régionalisation de la Politique Fédérale des Grandes Villes. N’hésitez donc pas à vous procurer ce prochain numéro de nos publications, et à vous abonner à la Lettre.