Attendue de longue date, inscrite dans la déclaration de politique régionale suite à la régionalisation de la compétence, la réforme du bail à ferme pourrait aboutir au cours de cette législature. Campé dans des positions antagonistes, propriétaires et agriculteurs s’accordent en effet depuis peu sur les dysfonctionnements induits par cette législation[[http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/proprietaires-et-locataires-meme-combat-55fea35b3570b0f19ec36901]]. S’il faut se réjouir de voir la Fédération Wallonne de l’Agriculture reconnaître certains dysfonctionnements au bail à ferme actuel, étape indispensable à l’avancement du dossier, les solutions envisagées ne font pas encore consensus.
L’évolution constructive du débat entre les partenaires naturels du bail ne doit cependant pas occulter la nécessité d’adapter cet outil aux nouvelles attentes sociétales. Le verdissement de l’agriculture, principalement par le biais des mesures agroenvironnementales et de la conditionnalité, s’est progressivement imposé sous l’impulsion des politiques et du droit européen. Le droit du fermage, instauré dans l’après-guerre, n’a lui quasiment pas évolué[[En 1988, le législateur a permis aux propriétaires d’inscrire dans un bail écrit la protection de certains éléments paysagers (haies, arbres, chemins, …) mais cette disposition n’est pas très effective dans les faits.]] et est donc resté très protecteur des intérêts des agriculteurs. Il importe donc de l’adapter, non pas sur base des seules considérations socio-économiques mais également en y intégrant les enjeux environnementaux et territoriaux.
Le Code Wallon de l’Agriculture a donné des orientations au développement du secteur, privilégiant la fonction de production tout en assurant la préservation et la gestion des ressources naturelles, de la biodiversité et des sols. Il consacre donc la vocation multifonctionnelle de l’agriculture tandis que le bail à ferme s’est arrêté à la vision productiviste héritée des années 60 : la gestion en « bon père de famille »[[« Sont réputées inexistantes, toutes clauses conventionnelles restreignant la liberté du preneur quant au mode de culture des terres louées ou quant à la disposition des produits de la ferme.
Sont toutefois valables, les clauses du bail relatives à la restitution du bien loué dans un état d’assolement, de fertilité et de propreté équivalent à celui existant lors de l’entrée en jouissance, ainsi que celles qui limitent le droit de disposer du fumier de ferme au cours du bail et celles qui limitent à la moitie au maximum le droit de disposer de la paille des deux dernières années.
Sont aussi valables les clauses maintenant les haies, chemins, buissons et arbres. »]] et la « liberté de culture » inscrite dans la Loi limitent les possibilités d’utiliser le bail dans une perspective de multifonctionnalité. Un propriétaire ne peut donc pas inscrire dans le bail le mode de production biologique, un cahier des charges pour assurer la gestion d’un milieu naturel protégé ou encore des dispositions permettant de développer de l’agroforesterie, même de commun accord entre l’agriculteur et le propriétaire. Les seules voies actuelles pour la gestion de ces milieux passent par des conventions à titre précaire et gratuite ou via l’entreprise agricole…
Un bail qui préserve une ressource peu renouvelable
Les propriétaires publics et privés n’apportent pas qu’un capital « foncier » aux agriculteurs qui en sont les gestionnaires pendant la durée du bail. Les terres ont des caractéristiques propres qu’il est essentiel de pouvoir transmettre au terme du bail. Certaines sont d’ailleurs reconnues dès lors qu’elles contribuent à la productivité du bien (arrière fumures, …) tandis que d’autres ne le sont pas. Ainsi, un propriétaire peut difficilement agir en cas d’érosion anormale des sols ou quand les pratiques agricoles amènent, au terme du bail, des pertes importantes du taux d’humus. Les pratiques culturales de l’après guerre ne permettaient probablement pas de présager des altérations de ces éléments clé de la fertilité des sols, altérations qui ne sont plus rares aujourd’hui.
Un bail qui préserve les « biens communs »
Le bail met également à disposition un bien qui peut présenter des caractéristiques non appropriables, de type « bien commun », qui sont l’objet d’une réelle préoccupation de la société et de certains propriétaires. L’existence de haies, talus ou d’autres éléments paysagers au sein d’une parcelle agricole, tout comme le caractère prairial par exemple, contribue à la préservation de la biodiversité, à la réduction de l’impact des pratiques agricoles sur l’environnement (érosion, limitation des transferts de pesticides ou d’azote, …) et à la qualité des paysages. Ces surfaces d’intérêt écologique ont également un impact positif sur la production agricole en créant autant de refuges pour les auxiliaires des cultures. Préserver et restaurer de tels éléments devraient constituer la pierre angulaire d’une agriculture écologiquement intensive, préférant s’appuyer sur les services des écosystèmes plutôt que sur la chimie… Le bail actuel reste très limitatif et ne permet pas d’assurer la protection et la gestion de ces milieux.
Un bail qui favorise des modes de gestion plus écologique
Les pratiques agricoles traditionnelles, encadrées par la Loi, génèrent des impacts sur l’environnement et la biodiversité à tel point qu’elles limitent la réalisation d’objectifs environnementaux importants telle que l’atteinte du bon état de certaines masses d’eau, pour ne citer qu’un exemple. Les moyens importants alloués via les mesures agro-environnementales (agriculture biologique, maintien de milieux naturels, etc.) ou l’accompagnement du secteur (agriculture de conservation des sols, etc.) ne suffisent manifestement pas à répondre aux enjeux environnementaux. Le soutien de telles pratiques par le biais du bail à ferme contribuerait à l’évolution souhaitée de l’agriculture en vue d’assurer la préservation et l’amélioration des sols, de l’environnement et de la biodiversité.
Un équilibre à trouver
Le bail doit autoriser le propriétaire à soutenir ces politiques publiques et ces préoccupations sociétales dans le cadre d’une relation équilibrée entre le preneur et le bailleur. Il ne s’agit pas d’autoriser ou même d’encadrer l’ingérence des propriétaires dans la gestion des fermes mais seulement de permettre au propriétaire de préserver les qualités du bien qu’il met en location, de favoriser l’adoption par consentement mutuel de modes de production offrant des bénéfices pour la société et d’assurer la protection et la gestion de « biens communs ».
Un exemple inspirant : le bail environnemental français
En France, le bail rural n’a pas fait l’objet de réforme visant à rééquilibrer les relations entre bailleurs et preneurs. Il est donc très proche de notre bail à ferme et génère les mêmes problématiques. Le bail rural français a cependant évolué pour intégrer progressivement des enjeux environnementaux et territoriaux. La Loi d’Orientation agricole en 2006, l’équivalent des premiers articles de notre Code de l’agriculture a autorisé l’ajout de clauses environnementales au bail rural via un bail environnemental spécifique. Dans un premier temps, seuls les pouvoirs publics et les associations reconnues pour leurs missions d’intérêt général ont pu souscrire un bail environnemental. La Loi d’orientation, revue en 2014, a largement assoupli les conditions d’utilisation du bail environnemental.
Des clauses environnementales et une approche territoriale
La législation révisée en 2015 précise, à travers une liste fermée, les pratiques culturales susceptibles de protéger l’environnement dans le cadre du bail environnemental. Les clauses pouvant être incluses portent sur 16 pratiques culturales[[le non-retournement de prairies ; la création, maintien et modalités de gestion de surfaces en herbe ; les modalités de récolte ; l’ouverture d’un milieu embroussaillé et maintien de l’ouverture d’un milieu menacé par l’embroussaillement ; la mise en défens de parcelles ou de parties de parcelle ; la limitation ou l’interdiction des apports en fertilisants ; la limitation ou l’interdiction des produits phytosanitaires ; la couverture végétale du sol périodique ou permanente, pour les cultures annuelles ou les cultures pérennes ; l’implantation, maintien et modalités d’entretien de couverts spécifiques à vocation environnementale ; l’interdiction de l’irrigation, du drainage et de toutes formes d’assainissement ; les modalités de submersion des parcelles et de gestion des niveaux d’eau ; la diversification des assolements ; la création, maintien et modalités d’entretien d’infrastructures écologiques (haies, talus, bosquets, arbres isolés, mares, fossés, terrasses, murets) ; les techniques de travail du sol ; la conduite de cultures ou d’élevage suivant des cahiers des charges de l’agriculture biologique ; les pratiques associant agriculture et forêt, notamment l’agroforesterie.]] tel le maintien des prairies et leur modalité de gestion, des restrictions voir l’interdiction d’utiliser des engrais ou des pesticides, la création, le maintien et la gestion de surfaces d’intérêt écologiques (haies, talus, …), les techniques de travail du sol et le respect du cahier des charges de l’agriculture biologique. Ces clauses peuvent être introduites sur tout le territoire quand le bailleur est une personne morale de droit public ou une association agréée de protection de l’environnement. Les propriétaires privés peuvent les introduire dans le bail dès lors que les parcelles sont situées dans le zonage existant et identifiant les enjeux du territoire[[Pour les parcelles ayant fait l’objet d’un document de gestion officiel et en conformité avec ce document et situées dans : des zones humides d’intérêt environnemental particulier (ZHIEP) ; des zones de rétention des crues ; des zones de mobilité des cours d’eau ; des zones humides stratégiques pour la gestion de l’eau (ZSGE) ; des terrains du Conservatoire du littoral ; un parc national ; une réserve naturelle ou dans le périmètre de protection d’une réserve ; un site classé ou inscrit ; un site Natura 2000 ; un périmètre de protection des captages d’eau potables ; une zone d’érosion ; des zones soumises à un plan de prévention des risques naturels prévisibles.]] tels que les milieux naturels reconnus (réserves naturelles, site Natura 2000, …), les zones de rétention des crues ou d’inondation, les périmètres de protection de captage et les zones d’érosion. Enfin, les propriétaires privés peuvent recourir au bail environnemental pour maintenir des pratiques ou des éléments du paysage préexistant au bail sur tout le territoire.
Des résultats concrets
Un premier bilan du bail environnemental a été réalisé par le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA). L’analyse porte sur la première version du bail environnemental et dont l’utilisation était limitée aux acteurs publics ou agréés. Bien qu’étant relativement récent, il s’est développé dans différents domaines de l’environnement ce qui démontre son intérêt. Les Conservatoires d’espaces naturels et les Conseils Généraux en font une large utilisation pour gérer les terrains qu’ils ont acquis pour assurer la préservation de la biodiversité et des paysages de leur domaine. Des associations et des mouvements (comme Terre de Liens), des collectivités territoriales et des établissements publics l’utilisent pour soutenir l’agriculture biologique. Il s’est également développé en intégrant des clauses de type « agro-environnementales ».
Le bail environnemental a également investi des champs auxquels il n’était pas destiné à l’origine comme la protection des captages. En France, le périmètre immédiat des captages doit faire l’objet d’une acquisition par la puissance publique et toutes activités susceptibles de porter atteinte à la qualité de l’eau potable sont interdites dans les périmètres rapprochés. Le bail environnemental est donc utilisé pour éviter toute pollution et garantir le maintien des pratiques agricoles. De même, il a également été utilisé pour assurer la mise en place de mesures compensatoires sur des espaces naturels et agricoles.
Vers une évolution du bail à ferme en Wallonie
La révision de la Loi sur le bail à ferme ne peut se limiter à la seule dimension socio-économique, cet outil offre en effet de larges opportunités pour favoriser des pratiques et des modes de production souhaités par la société et qui permettront de répondre à des enjeux territoriaux bien identifiés. En s’inspirant du bail environnemental français, la Fédération, à travers la Plate Forme Foncier Agricole[[Elle regroupe les associations suivantes : le MAP, la FUGEA, IEW, le CNCD-11.11.11, Natagora, Nature et Progrès, UNAB, Terre-en-vue, FIAN Belgium]], travaille sur des propositions qui pourront inspirer la réforme programmée du bail à ferme wallon.