Le « scandale VW » a mis en lumière certaines pratiques illégales délibérées, allant bien au-delà de l’exploitation des « flexibilités » des procédures de test des voitures. Limiter la possibilité, pour les constructeurs, de recourir à ces pratiques implique de renforcer la législation en la matière. Alors que les débats se focalisent aujourd’hui sur les mesures de répression ou de compensation, il nous paraît essentiel que s’ébauche dans les plus bref délai une réflexion en profondeur sur le système de tests des véhicules routiers en Europe. Propositions concrètes d’actions à initier au plus vite.
Carte Blanche parue dans le journal L’Echo du 27 octobre 2015.
Le 18 septembre 2015, la nouvelle ébranlait la galaxie automobile : l’administration fédérale américaine ainsi que l’administration californienne lançaient des procédures à l’encontre du groupe Volkswagen pour non-respect de la législation relative à la protection de l’air. Ceci sur base de la preuve dûment établie que VW trichait délibérément pour maintenir les émissions d’oxydes d’azote de certains de ses véhicules en-deçà des limites légales lors des tests en laboratoire – et lors des tests seulement.
Comment cette triche a-t-elle pu exister impunément pendant des années ? Quelle est l’ampleur de la triche ? Les Etats pourront-ils récupérer les primes à l’achat et autres bonus calculés sur des données fausses ? Ces questions monopolisent le débat public. Il nous semble nécessaire d’aller au-delà, et d’initier une profonde réforme du système de test des véhicules routiers en Europe.
Rappelons que pour les polluants locaux (NOX, particules…) les émissions en conditions réelles sont, en moyenne, cinq fois plus importantes que celles annoncées, tandis que pour les émissions de gaz à effet de serre (CO2), l’écart moyen est passé de 8% en 2001 à 40% en 2014.
Plusieurs facteurs concourent à maintenir ces distorsions.
Un, les cycles de test, inchangés depuis des décennies, ne sont pas représentatifs des conditions réelles d’utilisation.
Deux, les constructeurs flirtent avec la légalité en considérant que tout ce qui n’est pas strictement interdit par les textes légaux est autorisé. Ce qui transforme les véhicules testés, optimisés spécifiquement pour cet usage, en prototypes impropres à circuler sur la route (en anglais, on parle de « golden cars »).
Trois, certains constructeurs trichent délibérément en équipant leurs véhicules de logiciels qui optimisent la combustion et la dépollution durant les cycles de test.
Quatre, la dynamique de renforcement des normes et objectifs d’émissions est gravement entravée par l’incessant lobbying du secteur.
Ces quatre facteurs justifient pleinement une réflexion en profondeur sur l’entièreté du système de test des véhicules routiers en Europe.
Un cinquième facteur doit impérativement être pris en compte : l’évolution de la masse, de la vitesse de pointe et de la puissance des véhicules. La masse des véhicules neufs vendus en Europe a augmenté de 8,2% entre 2001 et 2010, passant de 1268 à 1372 kg tandis que la puissance augmentait de 13,5%, passant de 74 à 84 kW. Or, plus un véhicule est lourd et puissant, plus il faudra d’énergie pour le faire rouler : il consommera plus de carburant et ses émissions seront plus élevées. Par ailleurs, un véhicule puissant aura des accélérations plus « énergiques » – et durant celles-ci, les émissions de polluants (oxydes d’azote et particules fines) sont plus importantes comme l’ont prouvé tous les tests menés en conditions de conduite réelles (tests dits RDE pour Real driving emissions). Ce cinquième facteur requiert une réflexion en profondeur sur le type de véhicules que l’on peut laisser circuler sur les routes – d’autant que, plus lourd et plus puissant, un véhicule est aussi plus dangereux.
Etablir un cadre fiable pour la quantification des émissions de polluants locaux et de CO2 des véhicules routiers implique une série d’actions qui doivent être initiées au plus vite.
Mise en place d’une autorité européenne indépendante de contrôle des émissions
Publication, en 2016, d’une proposition d’objectifs CO2 pour 2025, de propositions de normes Euro 7/VII pour les véhicules légers et les poids lourds ainsi que d’une proposition de normes Euro 6 pour les véhicules de catégorie L (motos et mobylettes)
Mise en place du nouveau cycle et des nouvelles procédures de test (WLTC/P) dès 2017 en veillant à supprimer les possibilités de triche
Mise en place de tests en conditions réelles (RDE – real driving emissions) dès 2018 et extension de ces tests à tous les polluants et au CO2
Introduction de tests de véhicules de production menés de manière aléatoire
Introduction de limites de masse, puissance et vitesse de pointe des véhicules
Non inclusion du transport dans le système d’échanges de droits d’émissions (ETS)
Les Etats membres européens ont un rôle important à jouer dans le processus de réflexion. Certains auront beaucoup de mal à s’extraire de l’influence de l’industrie automobile. Il revient dès lors aux Etats plus neutres en la matière – aux rangs desquels la Belgique – de montrer la voie.