Mobilité : la FEB sert la soupe à ses secteurs

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Faiblesse du constat, flou des objectifs, mauvaise identification des acteurs concernés par les mesures proposées et vision purement dogmatique caractérisent le document « Contours d’une vision mobilité en Belgique » présenté ce 25 avril 2016 par la FEB. Suivre ses recommandations constitue, objectivement, une manière infaillible de manquer les objectifs de l’accord climat de Paris.

Le cadre dans lequel s’inscrit la réflexion de la Fédération des Entreprises de Belgique est clair : « l’absence d’une mobilité fluide » constitue, avec les coûts salariaux, « l’un des principaux handicaps concurrentiels de notre pays. » Le constat posé par la FEB se résume dès lors à rappeler le rôle économique de la mobilité des personnes et des marchandises, à déplorer qu’elle n’est pas organisée de manière optimale, et à souligner que le principal problème induit est celui de la congestion.

Ceci explique l’incapacité de la FEB à se projeter dans une mobilité délivrée de la dépendance automobile et son inclination à développer une « vision » tendant à prolonger, en le fluidifiant, le modèle de mobilité actuel. Or, les incidences de celui-ci ne s’arrêtent guère à la congestion ; pour n’en citer que quelques-uns : facture énergétique des importations de pétrole, inégalité d’accès à l’automobile, exposition aux nuisances sonores, aux polluants atmosphériques, insécurité routière, émissions de gaz à effet de serre non maîtrisées, … Focalisant toute son attention sur un élément du problème, la FEB ne peut que formuler des propositions qui au mieux s’avéreront très partielles, au pire aggraveront la situation.

Sur base de ce constat bancal, la fédération des entreprises de Belgique avance trois « objectifs poursuivis » non chiffrés, qui constituent plutôt des principes très généraux visant manifestement à emporter l’adhésion. La « réalisation des objectifs environnementaux » est ainsi évoquée sans que ceux-ci ne soient identifiés. Le reste du texte ne clarifie pas les choses et ne laisse nullement transparaître que la protection de l’environnement constitue de facto l’un des trois objectifs structurants de la « vision » de la FEB. Les commentaires ponctuels ci-dessous visent à illustrer l’esprit de celle-ci sans prétendre en constituer une analyse exhaustive.

Une gestion différenciée des infrastructures

Même si les moyens budgétaires actuels ne permettent pas, loin s’en faut, d’entretenir l’infrastructure routière, la FEB n’en plaide pas moins pour la « compléter ». L’accroissement de capacité et la fluidité semblent être les maîtres mots. Remarquons que :

 la recherche d’une meilleure fluidité vise clairement ici à augmenter le trafic et donc, in fine, à aggraver les problèmes : on soigne momentanément les symptômes pour permettre à la cause de mieux s’exprimer ;

 le plaidoyer en faveur des « missing links » (chaînons manquants) et le renvoi aux demandes de la Road Federation Belgium[[« Missing links – Où en est-on en 2014 ? », RFB, 2014, téléchargeable ici : http://www.rfbelgium.be/press/RFB-MissingLinks2014_FR.pdf]] est peu raisonnable : la RFB identifie 82 chaînons manquants en Wallonie, 61 en Flandre et 15 à Bruxelles ; or, il est notoire que les pouvoirs publics ne disposent pas des moyens nécessaires à l’entretien du patrimoine existant : augmenter la valeur de celui-ci dans ces conditions, est-ce là un exemple de saine gestion ?

 pour maintenir le réseau en bon état, la FEB recommande d’en assurer un monitoring professionnel ; elle semble donc ignorer que les organismes publics en charge de la gestion des réseaux de transport (routier fluvial et ferroviaire) n’ont pas attendu ses recommandations pour assurer un « monitoring professionnel » des infrastructures dont elles ont la charge ; il s’agit là d’un mauvais procès d’intention[[Voir par exemple « Notes stratégiques », Direction générale opérationnelle des routes et des bâtiments, SPW, janvier 2015, téléchargeable ici : http://routes.wallonie.be/listePublication.do?action=1&shortId=76]] ;

 la FEB recommande d’être « prudent à plus d’un titre » dans la mise en place de voies dédiées pour les transports en commun, les vélos ou encore les voitures partagées ; ainsi, même si (et peut-être, justement, parce que) les voies dédiées ont largement fait la preuve de leur efficacité dans le cadre d’une politique de transfert modal, la FEB préfère suivre la FEBIAC dans sa « promotion à reculons » de ce type d’aménagements[[Voir par exemple « Spécial mobilité : 10 recommandations pour un réseau routier performant », FEBIAC, janvier 2013, p. 14, téléchargeable ici : http://www.febiac.be/documents_febiac/2013/FEBIAC_info_janvier2013_FR.pdf]] ;
• La FEB plaide pour la réalisation d’études sur les plates-formes multimodales. Le travail a été effectué en Wallonie en 2004[[Voir à ce propos Arnold et Borsu, « Le défi du fret : vers une définition de la stratégie wallonne », in Territoire wallon, CPDT, septembre 2007]] et en Flandre en 2008.[[Projet Extended Gateway Vlaanderen]]

Pour le transport ferroviaire, la FEB suggère « le remplacement des lignes ferroviaires peu exploitées par des voies dédiées d’une part aux bus allant de gare à gare et d’autre part éventuellement à d’autres types de véhicules – privés – contre rémunération ». Ceci nous inspire quatre remarques :

 la différence d’approche entre les deux réseaux (rail et route) est flagrante ; les deux types d’infrastructure souffrent d’un manque d’entretien : pour la route, la FEB soutient l’accroissement du réseau alors que, pour le rail, elle soutient la désaffectation des lignes les moins fréquentées ; désinvestissement dans le réseau dédié au mode de transport motorisé le moins polluant et investissement dans le réseau du mode le plus polluant ;

 c’est souvent en raison d’une offre lamentable que les lignes ferroviaires sont peu fréquentées ; améliorer l’offre permettrait d’accroître la demande ; c’est élémentaire – et étonnant que la Fédération des Entreprises de Belgique n’y pense pas bien qu’elle parle de lignes « peu exploitées », ce qui laisse supposer que leur potentiel n’est pas en cause ;

 la proposition de la FEB revient à démanteler des infrastructures équipées pour faire circuler les seuls véhicules motorisés réellement durables : véhicules de transport en commun électriques, sans stockage d’énergie à bord, avec roulement à faible friction (métal contre métal) – pour les remplacer dans un premier temps par des véhicules routiers à moteur thermique (énergie fossile) et sans doute, dans un second temps, par des véhicules routiers à moteur électrique avec stockage d’énergie à bord (batteries individuelles). S’il est possible d’y voir un intérêt financier pour certains secteurs, il est plus difficile d’y déceler le souci d’une utilisation rationnelle de l’énergie et des matières premières ;

 l’approche développée par la FEB peut sans réserve être qualifiée de purement dogmatique : il s’agit de préparer le terrain pour de futurs opérateurs privés qui par essence (c’est le cas de le dire) feraient mieux que les opérateurs publics.

La technologie vue comme voie royale

Gestion intelligente du trafic, échanges d’informations en temps réel : les mesures de type technologique sont largement promues, ce qui est révélateur d’une croyance immodérée en les vertus de la technique. Notons à ce propos que :

 la FEB veut que les autorités « puissent s’adapter rapidement aux évolutions technologiques » ; on a vu avec les politiques de promotion des agrocarburants le danger d’un soutien trop rapide de développements technologiques sans sérieuse étude de leurs incidences[[Des études menées pour la Commission européenne établissent aujourd’hui que la majorité des agrocarburants promus en Europe émettent plus de gaz à effet de serre que les carburants fossiles qu’ils remplacent : http://www.iew.be/spip.php?article7721. Ceci sans parler des effets sociaux désastreux dans de nombreux pays du sud.]] ; les autorités n’ont pas de « devoir d’adaptation technologique » ; leur devoir est plutôt d’analyser de manière dépassionnée et rationnelle les avantages et inconvénients des voies de solutions (pas uniquement technologiques) proposées par la société civile, les acteurs socio-économiques, le monde académique, … et d’ensuite soutenir les solutions porteuses d’un mieux-être sociétal ;

 La FEB aimerait que l’on encourage le « renouvellement de la flotte de véhicules afin de favoriser l’adoption de véhicules plus propres ». Cet appel, récurrent dans les discours de l’industrie automobile, est fondé sur une quadruple ignorance (ou cécité volontaire…) :

    • le parc de véhicules automobiles belges est l’un des plus jeunes en Europe[[Voir IEW, « Le renouvellement du parc automobile belge – Fausse solution et vraie arnaque, Imagine, novembre-décembre 2008, téléchargeable ici : http://www.iewonline.be/IMG/pdf/Pages_iew_from_Imagine_70.pdf]] ;
    • une voiture ne pollue pas que quand elle roule : les étapes de fabrication et de fin de vie polluent en moyenne autant que l’utilisation pendant plusieurs dizaines de milliers de kilomètres[[Voir « l’automobile en question(s) », page 18 : http://www.iew.be/spip.php?article5922]] ;
    • un véhicule neuf n’est pas de facto « plus propre » : des développements techniques peuvent accroître la pollution ; ainsi l’application de l’injection directe aux moteurs à essence en vue d’améliorer leur efficacité énergétique a-t-elle accru fortement leurs émissions de particules fines ;
    • les normes de pollution ne sont pas nécessairement respectées sur route (dieselgate[[http://www.iew.be/spip.php?article7535]]) ; à titre d’exemple, l’intensité de la triche s’est accrue dans de telles proportions au cours des 15 dernières années qu’un véhicule diesel Euro 6 n’émet que 1,67 fois moins d’oxydes d’azote qu’un Euro 3 alors qu’il devrait en émettre 6,25 fois moins[[Calcul IEW sur base de: ICCT, 2014, Real-world emissions from modern diesel cars – Fact-sheet: Europe, p. 3]].

Les « éco-combis » (ou VLL pour véhicules plus longs et plus lourds), camions dont la masse peut atteindre 60 tonnes et la longueur 25,25 mètres (contre 44 t et 18,75 m actuellement) sont présentés comme vecteurs d’augmentation de la fluidité, de la capacité et de la sécurité. Or,

 ce sont surtout des vecteurs d’économie de main d’œuvre (un chauffeur pour une charge augmentée de 50%) ; sur le plan de la sécurité, il faut savoir que les lois de la physique sont incontournables : si on augmente la masse d’un véhicule, on augmente la quantité d’énergie qu’il restitue en cas de choc ;

 la FEB propose d’autoriser légalement les VLL « aux endroits où l’infrastructure le permet » ; ceci relève de la politique du pied dans la porte : à partir du moment où de tels véhicules seront acceptés sur une partie du réseau, il y aura bien sûr pression pour l’élargir progressivement.

Une vision sociale particulière

Concernant les solutions centrées sur le partage, la FEB fait uniquement référence à « l’économie partagée ». Si, comme le souligne la FEB, il convient d’éviter les dérives (travail au noir) par un cadre adapté, réduire le partage à une source de croissance économique est malheureux. Le partage sans transaction monétaire, motivé par la solidarité, est aussi et avant tout source de renforcement du lien social et de « bien-vivre ensemble ». Cette logique de partage désintéressé (de son véhicule, de son temps disponible) permet à de nombreuses initiatives de mobilité alternative de fonctionner.[[Voir par exemple « La mobilité rurale alternative en Wallonie », SAW-B, 2011, téléchargeable ici : http://www.saw-b.be/Publications/Rapport_IMRA_Final.pdf et « Déplacements en milieu rural – Quelles alternatives ? La Cémathèque n°33, SPW DGO2, 2011, téléchargeable ici : http://mobilite.wallonie.be/files/Centre%20de%20doc/CeMath%C3%A8que/cematheque32.pdf]]

La FEB demande des « possibilités d’occupation productive » dans les transports, reconnaissant implicitement un avantage concurrentiel déterminant des transports en commun : celui de pouvoir disposer de son temps de transport à sa guise. C’est évidemment la productivité des travailleurs au cours de leurs déplacements qui intéresse la FEB. N’est-il pas plus fondamental de développer une offre attractive pour tous les usagers ? (fréquences, plages horaires, correspondances, respect des horaires, accueil en gare, …).
La FEB suggère « d’adapter les horaires d’ouverture des écoles et des crèches de manière à permettre un plus grand étalement dans le temps des déplacements ». Ceci étant bien sûr mis en parallèle avec la flexibilité en entreprise. Bref, l’éducation doit se plier aux desiderata des entreprises en termes d’horaires. Ce qui est cohérent avec les appels récurrents à préparer les jeunes « au monde du travail », en oubliant qu’il s’agit avant tout d’en faire des citoyens.
A propos de transport routier, la FEB encourage les autorités belges, là où la législation européenne permet différentes options, à tendre vers une « interprétation progressiste » des réglementations ; progressiste, c’est-à-dire la plus conforme aux intérêts financiers du secteur du transport. A chacun sa définition du progrès.

Fiscalité : un peu léger…

En matière de fiscalité, la FEB appelle à une fiscalité « responsable » ou encore « intelligente » ; concrètement, elle plaide pour l’introduction d’un péage kilométrique et la suppression de la taxe de mise en circulation, ce dernier point constituant une demande récurrente des constructeurs automobiles[[Voir par exemple Febiac Info janvier 2007 page 21, Febiac Info mai 2008 pages 8 et 11, Febiac Info mai 2009, page 3, Febiac Info novembre 2010, page 20, …]] qui aurait pour conséquence d’augmenter le nombre de voitures vendues – donc en circulation. L’intelligence, en matière de fiscalité automobile, ne devrait peut-être pas tant se définir comme le degré de complexité d’un outil fiscal particulier que comme le niveau de lucidité que l’on porte sur les enjeux (notamment environnementaux) et sur la nécessité de définir des objectifs politiques en lien avec ceux-ci. Le prélèvement kilométrique « intelligent » s’il peut offrir à moyen/long terme des potentialités intéressantes constitue aussi – et peut-être, en l’occurrence, avant tout – une excuse pour oublier cette intelligence première sans laquelle les transports ne pourront jamais devenir durables.

Le plaidoyer en faveur du prélèvement kilométrique recèle une contradiction flagrante : d’une part, les autorités « devraient répercuter les coûts réels engendrés par l’utilisation du véhicule » (ce qui revient à imputer à l’utilisateur des coûts actuellement pris en charge par la société) et d’autre part il faut « ne pas augmenter la charge fiscale et administrative pesant sur les secteurs intensifs en transport ». Bref, il faut augmenter les coûts du transport tout en ne les augmentant pas – surtout pour ceux qui en consomment beaucoup.

En guise de conclusion

L’appellation du document de la FEB (« contours d’une vision de la mobilité en Belgique ») apparaît quelque peu usurpée. On peine en effet à trouver l’amorce d’une vision dans ce répertoire de mesures visant principalement à améliorer la fluidité du trafic routier et à répondre aux préoccupations de gros secteurs industriels (automobile, transport routiers, travaux publics, nouvelles technologies, …).
Dès lors, l’appel de la FEB et de ses partenaires aux gouvernements fédéral et régionaux « à se mobiliser autour d’un pacte, d’une vision commune, coordonnée, forte et mobilisatrice de la mobilité » résonne bizarrement. Soyons honnête : il s’agit plutôt d’un appel aux autorités à dédicacer les budgets publics de mobilité à des investissements dans les réseaux (auto)routiers, financièrement porteurs à court terme pour l’économie. Qualifier cette vue très restrictive de vision apparaît plus que déplacé. Suivre ces recommandations constitue, objectivement, une manière infaillible de manquer les objectifs de l’accord de Paris.