Vous z’avez vu l’info ?!? Selon le « Futuromètre », nouveau « baromètre citoyen » réalisé par l’institut AQ-Rate (trouvez le jeu de mot) pour la RTBF et « Le Soir »[[https://www.rtbf.be/info/societe/detail_futurometre-91-des-francophones-veulent-changer-de-systeme?id=9436297 et http://www.lesoir.be/1349918/article/actualite/belgique/2016-10-23/futurometre-91-des-francophones-disent-non-societe-actuelle]], 91% des Belges francophones – ou, plus précisément, 90,9% des 3470 personnes de 18 ans et plus ayant répondu au questionnaire – veulent « changer de système » ! Nonante et un pour cent… Ça me laisse personnellement pantois. Pas toi ?
Oh, bien sûr, il y en aura pour m’objecter la non fiabilité des sondages en me ressortant, par exemple, la fameuse enquête menée à la fin du siècle dernier sur les choix télévisuels des Français. ARTE y talonnait TF1 alors que la réalité des audiences plaçait l’une largement sous les 5% et l’autre bien au-delà des 40… Cerise sur le gâteau, à la question de savoir quelle amélioration ils souhaitaient voir apportée à leur préférée, les amateurs auto-déclarés d’ARTE s’exprimaient majoritairement en faveur d’une diminution de la publicité… qui était déjà bannie de la chaîne !
J’entends ces appels à la prudence et suis disposé à considérer que, selon l’expression consacrée, les chiffres du Futuromètre ne constituent « rien d’autre qu’une photographie de l’opinion publique à un moment donné ». Mais n’empêche : nonante et un pourcent !!! Même en tenant compte de la « marge d’erreur de 1,60% à la hausse comme à la baisse » qui, au mieux, porterait les censeurs à 92,5%, cela signifie que 7,5% des francophones belges – enfin, des 3740 personnes etc. etc. etc. – se satisfont du système actuel. Et ça, c’est quand même à se les mordre. Car on se demande bien où ils se cachent, ces « satisfaits » !
Entre ceux qui veulent plus de libéralisation de l’économie, de services publics, de sécurité, de taxation du capital, de contraintes sociales ou environnementales… et ceux qui veulent moins de tout ça ; ceux qui s’épuisent le moral à chercher vainement un emploi et ceux que le travail conduit au burn-, bore- ou brown-out ; ceux qui trouvent qu’on paie trop d’impôts, que les riches sont trop riches et eux trop pauvres, qu’on accueille trop – ou pas assez… – de réfugiés, que les politiciens sont tous des menteurs incapables qui ne font rien que s’en mettre plein les poches, que la justice est corrompue et que, de toute façon, ce pays est pourri, j’échoue pour ma part à les localiser. A vrai dire, les seuls qui me semblent réellement se satisfaire « du système » sont les membres de la famille royale qui y jouissent, il faut l’admettre, d’un statut leur garantissant une vie peinarde. Mais même en comptant très large, les de Belgique sont loin de représenter plus de 7 francophones sur cent…
Enfin, je ne vais pas ergoter davantage sur les chiffres car l’essentiel est ailleurs.
Il est où l’essentiel, il est où ? Il est là, l’essentiel, il est là : ça veut dire quoi, « changer le système » ?
C’est une chose de comprendre, fut-ce tardivement, que des formules qui échouent depuis des décennies ne peuvent plus être considérées comme des solutions plausibles. Ç’en est une autre de s’accorder sur ce qui rend lesdites formules caduques et sur celles qui doivent les remplacer. L’idéal Bisounours d’un monde dont le chômage, la pollution et la précarité seraient bannis, où nous serions tous des producteurs respectueux et des consommateurs responsables unis par un même souci du bien commun se heurte en effet à des réalités qui imposent de faire des choix en attendant l’hypothétique avènement de ce paradis sur terre. Il y a des priorités à définir, des mesures à mettre en œuvre et des conséquences à assumer.
« Changer le système », c’est un objectif partagé par les adeptes de la simplicité volontaire et les prosélytes du rêve américain, les adorateurs de « la main invisible du marché » et les zélotes crypto-communistes – pour ne citer que ceux-là. L’autre monde dont rêvent les uns est pourtant à l’exact opposé de celui auquel aspirent les autres.
Impossible dans ce contexte de tirer des enseignements de ces chiffres… sinon qu’ils traduisent un mal-être généralisé. Et c’est d’autant plus vrai que les derniers résultats électoraux sont loin, mais alors très très très loin, de refléter une aspiration quasi unanime au changement et ne disent donc rien de la forme que celui-ci devrait prendre. On semble de facto plus proche de la « lutte primale », « thérapeutique cathartique des névroses reposant sur la reviviscence corporelle et psychologique d’un traumatisme »[[http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/primal_primale_primaux/63912#LSVAlp63xJrdKg53.99]] consécutive à une évolution jugée inquiétante de la société que de la lutte finale révolutionnaire!
On me dira, car on me l’a déjà dit, que l’on se moque de tout cela, que « ce qui importe est d’exploiter la prise de conscience opérée par une large majorité de la population pour faire émerger un nouveau modèle ». Sauf qu’il importerait de préciser a minima les contours de ce « nouveau modèle » ainsi que les voies et moyens qui doivent permettre d’y accéder sous peine de perdre son âme dans l’illusion de l’idéal Bisounours évoqué précédemment.
A cet égard, même s’ils sont très politiquement corrects et parfaitement dans l’air du temps parfumé de « Demain », deux chiffres de ce Futuromètre me perturbent l’optimisme. 68% disant croire « davantage aux initiatives individuelles qu’aux collectivités pour faire bouger les choses » et 10% (!) faisant « confiance au monde politique pour réformer la société en profondeur », ça pue le repli sur soi et la déliquescence des mécanismes de solidarité au cœur des projets collectifs.
« Changer le système », oui, en évitant d’en faire n’importe quoi.