J’ai conscience que le rapprochement mis en titre de cette humeur risque de me valoir un procès en hérésie. Mais devrais-je finir exhibé au parlement wallon le corps couvert de sirop de Liège et de Quinoa bio, mon devoir polémiste m’impose de ne pas me dérober. J’y vais donc.
L’événement restera gravé dans les annales comme un épisode majeur de l’Histoire régionale, l’expression glorieuse d’une Wallonie debout, fière et forte face à la menace mondialiste : il y a quelques semaines, nosse ministre-président s’opposa vaillamment à l’adoption du Comprehensive Economic and Trade Agreement, dit CETA, censé faciliter le libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Tel Cambrone lâchant un « Merde ! » d’anthologie au général british qui appelait les troupes napoléoniennes à se rendre, Paul Magnette opposa trois « Non ! » retentissants aux ultimatums des instances européennes et du gouvernement fédéral belge qui le pressaient d’approuver le CETA en l’état.
L’homme justifia alors sa position par une volonté de « respecter le débat démocratique » et « d’entendre la voix de la société civile » majoritairement contre cet accord. Que le grand Paul ait ensuite eu raison ou non d’accepter un texte plus (dixit himself) ou moins (selon la « société civile ») amendé est un autre débat qui n’entre pas dans le cadre de ma démonstration.
« Quel rapport avec l’autre connard ricain… ? », vous entends-je gronder. J’y arrive.
Entre autres conneries, ignominies, avanies, abominations, absurdités, balivernes et billevesées, Donald Trump a dit, répété et martelé tout au long de sa campagne que, s’il accédait à la présidence, il « annulerait » sans délai la ratification par les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat, ces histoires de réchauffement global et de CO2 étant selon lui pures bullshits ou, plus précisément, « une invention des Chinois pour affaiblir l’industrie américaine ».
Ce point de vue tout en nuances prévaut très largement chez les coreligionnaires du Chevalier orange. Ainsi, parmi les principaux candidats qui s’affrontèrent lors de la primaire républicaine, seul Jeb Bush reconnaissait la réalité du problème climatique et, mieux (ou pire…, c’est selon), la responsabilité de l’activité humaine dans celui-ci. A l’opposé, Trump mais aussi Ben Carson, Ted Cruz, Marco Rubio, John Kasich, Mike Huckabee et Rand Paul se revendiquaient ouvertement climato-sceptiques. Carson se contentait d’évacuer le sujet en estimant qu’il n’avait « aucune importance » mais le sénateur de Floride Mario Rubio déclara dans un entretien à ABC qu’il n’acceptait pas « la notion, avancée par certains, notamment par des scientifiques, que nous pourrions agir de manière à avoir un impact réel sur le climat. Je ne crois pas que l’activité humaine provoque ces changements climatiques spectaculaires, de la façon dont les scientifiques le décrivent. Et je ne pense pas que les lois qu’ils proposent que nous adoptions auraient un quelconque impact, à part le fait qu’elles détruiraient notre économie. » Interviewé par la radio publique NPR, le Texan Ted Cruz expliqua quant à lui que « dans le débat sur le réchauffement climatique, bien trop souvent, les politiques à Washington et un grand nombre de scientifiques recevant des subventions publiques importantes, ignorent la science et les données et avancent au lieu de ça une idéologie politique. (…) Le changement climatique est une théorie gauchiste sans fondement scientifique dont l’objectif est d’imposer un contrôle important de l’économie et du secteur énergétique par les gouvernements. »
Cerise sur le gâteau du déni républicain, le site américain PoliticalFacts a établi fin 2014[[http://www.politifact.com/truth-o-meter/statements/2014/may/18/jerry-brown/jerry-brown-says-virtually-no-republican-believes-/]] qu’à peine 3% (trois pour cent !) des élus du Great Old Party au Congrès avaient officiellement reconnu la réalité d’un réchauffement climatique induit par l’Homme.
Au regard de ces éléments et sachant que, d’une part, outre la Présidence échue à Trump, le Congrès et Sénat américains sont aujourd’hui aux mains des républicains et que, d’autre part, selon une enquête Gallup de mars 2014[[Gallup Global Warming Opinion Groups – Demographic Profile (March 6-9 2014)]], 80% des citoyens US se déclarant sceptiques quant à la réalité du réchauffement global revendiquent cette sensibilité politique, l’annulation de la ratification de l’accord de Paris par les Etats-Unis pourrait légitimement se prévaloir elle aussi du « respect du débat démocratique » et de « l’écoute de la société civile »… CQFD.
A ce stade, j’anticipe aisément les critiques et commentaires : « Mais cela n’a rien à voir ! » – « On ne peut pas faire un parallèle entre le réchauffement climatique qui est une réalité scientifique incontestable et le libre-échange qui est une option économique discutable… » – « Tu ne vas quand même pas comparer la mobilisation de citoyens conscientisés avec les avis non-autorisés de rednecks bas du crâne ! » – « T’es malade ou quoi ? ! ? ! ! »
Je rassure donc les inquiets : je suis sain d’esprit à défaut de corps. Et c’est en pleine conscience que j’établis une comparaison dont les esprits politiquement sensibles considéreront qu’elle n’est pas raison mais que l’on aurait pourtant grand tort de balayer d’un revers de mépris courroucé.
Sans doute est-ce difficile à entendre et plus encore à admettre mais le fait est que, objectivement, rien ne distingue « l’annulation » potentielle de Trump et le niet de Magnette. Tous deux s’inscrivent dans une détermination à ne pas cautionner benoîtement une démarche supranationale dont le contenu leur pose problème et tous deux arc-boutent leur position sur la volonté populaire.
Nous applaudissons l’un car il va dans le sens de notre engagement politique – au sens le plus large et le plus noble du terme – et de ce que nous considérons être juste. A contrario, nous conspuons l’autre car ses choix s’opposent à nos valeurs et notre vision du monde. C’est logique, compréhensible, légitime. Mais cela peut s’avérer dangereux dès lors que cette attitude nous enkyste dans nos certitudes. La propension à déterminer ce qui est « bien » ou « mal » en fonction d’une grille de lecture aussi univoque que fermée risque en effet de générer une incapacité à entendre, décoder et comprendre ce qui s’exprime par ailleurs.
Reconnaissons-le : nous avons une fâcheuse tendance à regarder le monde à travers des lunettes de bobos urbains informés et cultivés, socialement sinon financièrement privilégiés, humanistes – forcément humanistes… – et convaincus de détenir le mode d’emploi d’un monde plus égalitaire, solidaire, responsable en zovoort. Sans même en avoir conscience, nous nous comportons en caste élitiste détentrice de LA vérité et distribuons les bons et mauvais points avec une morgue condescendante.
On peut ne voir dans les électeurs climato-sceptiques de Trump&Co que des ploucs ignares manipulés par des élus vendus aux lobbies.
On peut de même réduire les bataillons de la France Bleu Marine à des hordes de beaufs intolérants et racistes,
On peut, mais ce serait une grave erreur. On passerait en effet à côté de l’essentiel, à savoir du malaise que ces votes expriment et que l’on se doit d’entendre, analyser et décoder pour y porter remède.
L’heure n’est plus au rejet dégoûté et aux incantations bien-pensantes. Il est temps d’oser se confronter de manière directe et décomplexée aux questions que les succès de Trump, Le Pen et consorts font surgir des oubliettes dans lesquelles nous avons trop longtemps espéré de les faire disparaître.