S’il n’est pas l’unique composante du tissu urbain, le commerce n’en est pas moins une de ses fonctions majeures. Historiquement développées autour de pôles d’échanges et de négoce, les villes sont en grande partie façonnées par le commerce qui s’y développe. En effet, celui-ci ne répond pas uniquement à des besoins économiques (offre de biens, pourvoyeur d’emplois…). Il participe également à la qualité de vie en ville puisqu’il constitue un véritable lieu de rencontres et de liens sociaux, il a un impact sur la fréquentation et l’animation des rues et des quartiers, ou encore sur la qualité architecturale et esthétique de l’espace dans lequel il est ancré.
Or, depuis une vingtaine d’années, nous assistons à un déclin de l’activité commerciale dans nos villes. Il ne s’agit pas uniquement d’une diminution quantitative (qui s’observe principalement par l’augmentation du nombre de cellules vides comme on les appelle dans le jargon), mais aussi d’une évolution en termes de qualité et de types de commerces que nous trouvons actuellement dans nos rues.
Lentement, mais très sûrement, les commerces des centres villes ont changé
En quelques décennies, le commerce présent dans les noyaux urbains a littéralement changé de visage. L’offre de qualité et spécialisée que l’on trouvait dans chaque ville s’est tellement généralisée et uniformisée que vous trouvez les mêmes boutiques que vous soyez rue Neuve, rue de Fer ou Place Saint-Lambert. De plus, nous sommes passés de petits commerces tenus par des indépendants qui connaissaient parfaitement leurs produits qu’ils sélectionnaient eux-mêmes, à des surfaces commerciales beaucoup plus grandes dans lesquelles des employé(e)s, voire des intérimaires, en sont réduits à vous faire passer à la caisse faute de savoir vous conseiller sur la marchandise.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette évolution. Tout d’abord, le comportement du consommateur qui, sur-stimulé par l’omniprésence de la publicité commerciale, veut toujours plus de choix lorsqu’il pousse la porte d’un magasin. Plus de modèles, plus de marques…. Cela pousse non seulement les commerçants à devoir agrandir leur surface de vente, mais aussi à renouveler leur stock beaucoup plus souvent. Cela engendre donc des investissements et des risques financiers plus importants, et plus facilement supportables pour de grands groupes possédant des dizaines, voire des centaines de magasins que pour un petit indépendant. Cette nécessité d’augmenter les surfaces dédiées à la vente au détriment des surfaces de stockage accentue ce renouvellement plus régulier des stocks. Les magasins doivent donc désormais être approvisionnés beaucoup plus souvent, engendrant des contraintes de livraison et d’accessibilité supplémentaires, et ce dans un contexte urbain où la pression automobile se fait de plus en plus sentir.
Par ailleurs, les loyers sont de plus en plus élevés dans les rues les plus fréquentées. Seules les grandes enseignes appartenant à des grands groupes internationaux ont les reins suffisamment solides pour encore se permettre d’avoir pignon sur rue dans les artères commerçantes des grandes villes.
Enfin, un autre changement apparaît également chez le consommateur. Il est devenu pressé, très pressé. C’est que le week-end, et même en semaine fin de journée, il y a tellement de choses à faire : aller conduire le gamin aux louveteaux, la petite à son cours de natation (non non elle n’attendra pas l’école pour apprendre à nager, on est pressé on vous a dit !). Le consommateur est tiraillé entre l’envie d’aller dépenser son argent et le fait qu’il n’ait plus beaucoup de temps. Alors perdre trente minutes à tourner en voiture (évidemment) dans le centre-ville pour trouver une (bonne) place, ça lui coupe quand même un peu l’envie.
Maasmechelen Village, ou l’art de créer une fausse rue commerçante au milieu de nulle part. Crédit photo : architectura.be
S’il y a bien un secteur qui a assimilé toutes ces mutations, c’est celui des promoteurs de centres commerciaux et de retail parks en périphérie qui parviennent à répondre à cette évolution. Là où le bât blesse, c’est que le nombre de consommateurs et le pouvoir d’achat n’évolue pas à la même vitesse que l’augmentation de l’offre. De plus en plus de communes font maintenant face à une sur-offre commerciale. Et ce qui est dépensé dans un commerce ne l’est pas dans un autre. Ce sont donc les petits commerçants qui font les frais de l’apparition de ces mégas monstres du shopping. Mais depuis quelques années, même ces icônes de notre société consumériste courant après le temps doivent faire face à un nouveau concurrent qui incarne désormais cette société à la perfection : Internet.
Comment renverser la vapeur ?
Il existe an Wallonie une série d’outils d’aide à la décision. Par exemple, l’Observatoire du Commerce qui est un organe de consultation composé d’experts en différents domaines (consommateurs, développement urbain, mobilité…) qui remet notamment des avis sur des demandes d’implantations commerciales. La Wallonie s’est également dotée d’un Schéma Régional de Développement Commercial dont l’objectif est de planifier le développement commercial sur l’ensemble du territoire wallon. Les communes peuvent également disposer du même type de documents d’orientation et de programmation. Ce sont les Schémas Communaux de Développement Commercial. Enfin, la Wallonie a dernièrement investi dans deux logiciels LOGIC et MOVE qui donnent des informations spatiales sur l’offre commerciale d’une part, et le comportement d’achat des wallons d’autre part.
Qu’il s’agisse de logiciels offrant des informations précieuses sur l’état actuel du commerce en Wallonie, de documents stratégiques locaux ou régionaux, ou encore de l’existence d’une commission d’avis, l’ensemble de ces outils peuvent aider et accompagner les administrations communales et régionales à prendre les bonnes décisions en matière de permis et d’autorisations. Mais est-ce suffisant ? Les communes arrivent-elles enfin à voir plus loin que le bout de leurs limites communales ? Avons-nous réellement une vision régionale de ce que nous voulons et de ce que nous ne voulons plus en termes de développement commercial ? Au vu du nombre de nouveaux magasins qui fleurissent encore en périphérie de nos centres villes, nous pouvons sérieusement en douter.
Parallèlement, Jean-Claude Marcourt, alors ministre du commerce, a lancé fin 2016 une stratégie de soutien et de redynamisation du commerce en Wallonie : le plan « Wallonie commerce ». Ce dernier s’adresse cette fois directement et concrètement aux commerçants : soutien financier à la création de commerces, définition d’un cadre juridique mieux adapté concernant par exemple les baux commerciaux… Un certain nombre d’outils mis en place dans le cadre de cette stratégie sont louables et permettent d’apporter un réel soutien aux petits commerçants ou à ceux qui souhaitent tenter leur chance avec de formes alternatives de commerce (par exemple la création d’une plateforme dédiée au développement de commerces éphémères, autrement dits les « pop-up stores »). Par contre, nous sommes plus dubitatifs concernant les mesures d’aide et d’accompagnement pour les commerçants souhaitant se lancer dans le commerce en ligne. Ce dernier, lorsqu’il est mis en place en support à un commerce « physique » permet sans doute de soutenir ce dernier, voir dans certains cas, de le sauver. Qu’en est-il des commerces en ligne qui n’ont pas du tout pignon sur rue ou de ceux qui en avaient un mais qui au bout de quelques mois ont fermé boutique pour se concentrer sur la vente en ligne moins contraignante, moins couteuse ? On a peut-être sauvé un commerçant, mais le centre-ville lui se retrouve avec une cellule vide de plus. La vente en ligne est-elle un commerce comme un autre ? Que deviennent les rencontres, les échanges et les liens qui constituent la toile de fond d’un commerce ? Les commerçants se lançant frénétiquement dans l’e-commerce ne sont-ils pas en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis ? La Fédération ne manquera pas de revenir sur ces questions dans le cadre de l’élaboration, d’ici quelques mois, d’un position paper consacré à cette question du commerce.
Au-delà du commerce
S’il veut faire face à ces évolutions et à cette concurrence que constituent d’une part les commerces de détail périphériques et d’autre part les boutiques en ligne, le commerce en ville doit impérativement miser sur ses spécificités. Une offre plus spécialisée et surtout de qualité, des commerçants indépendants qui sont passionnés par leur métier et qui connaissent parfaitement leurs produits ou leurs marchandises, du personnel de vente qualifié et formé, susceptible de répondre à une demande plus spécifique…
Mais ce qui différenciera toujours un commerce en ville d’un commerce dans un centre commercial, dans un retail park ou sur une plateforme de vente en ligne, c’est le cadre dans lequel il se trouve. Si un centre commercial garantira d’être au sec et au chaud, il aura beau investir dans la lumière artificielle, les arbres en pot et les noms de rues pour les allées commerçantes, il n’offrira jamais la convivialité, l’architecture, l’histoire, la mixité de fonctions ou la d v1as une ville[Voir la nIEWs : [Le commerce : baromètre n°1 de l’état de santé des villes ? ]]. Il serait donc grand temps qu’à côté de stratégies, de plans et d’outils d’aide à la décision en matière d’implantations commerciales, la Wallonie se dote d’une véritable politique de la ville comprenant des objectifs clairs et précis notamment en termes de qualité de l’air, de mobilité, d’espaces publics conviviaux, de nature et de biodiversité, de logements de qualité accessibles à tous et d’énergie. Au-delà de la survie des commerces, c’est une nouvelle manière de penser et développer nos villes qui doit être mise sur le métier.
Pour en savoir plus :
Photo d’illustration : Les rues commerçantes se suivent et se ressemblent, comme ici Rue de l’Ange à Namur où nous retrouvons les enseignes JBC, H&M, Pizza Hut…