Il est des batailles âpres, qui se gagnent dans la durée et la douleur. Pied à pied, arpent après arpent. Celle du glyphosate, le désherbant le plus répandu dans le monde, est de cette nature. Parée de toutes les vertus par l’industrie, cette molécule phare de Monsanto tombée dans le domaine public depuis l’an 2000 est à la croisée des chemins.
Incapables de s’entendre sur la mise au placard de la star des herbicides, fin octobre, les 27 Etats européens ont repoussé l’échéance d’une indispensable décision au 9 novembre prochain. Où il s’agira, grosso modo, de choisir entre deux voies : celle de la prolongation pour cinq ans de l’homologation proposée par la Commission ou de son interdiction souhaitée par plus d’un million d’Européens dans une récente pétition.
Plusieurs gouvernements, dont la Belgique et la France, se sont prononcés avec clarté en faveur du bannissement de cette substance nuisible pour la santé humaine et l’environnement. Mais le combat est loin d’être gagné et l’obtention d’une majorité qualifiée en ce sens n’est pas acquise puisque l’ordonnance de la Commission européenne, sensible aux arguments de l’industrie agro-alimentaire, ne préconise pas d’interdiction, à terme, de ce cancérogène probable.
Combien de morts faudra-t-il à l’Europe pour qu’elle agisse enfin ? Combien de nouveaux rapports sur l’impact des pesticides sur la vie sauvage seront-ils nécessaires pour que ses agences ouvrent les yeux ? Le 18 octobre, une nouvelle étude conduite par des chercheurs hollandais et allemands concluait que 75 % des insectes volants avaient disparu en trente ans en Allemagne. Selon ces mêmes chercheurs, la cause la plus plausible de cet effondrement se situe du côté des intrants chimiques utilisés dans les zones agricoles voisines des aires protégées où les recherches ont été menées. Et que nous disent les experts de la Commission Juncker ? Circulez, il n’y a rien à voir !
En effet, à ce rythme, il n’y aura bientôt plus grand-chose à voir sur le terrain de la biodiversité. Il apparaît urgent, à cet égard, d’envoyer ces experts européens en stage de recyclage pour mesurer sur le terrain des coléoptères l’inquiétante régression du vivant engendrée par les pesticides. Au passage, certains agriculteurs leur démontreront qu’il y avait pourtant bien une vie avant le glyphosate. Et que la condition même de la perpétuation de cette vie dans nos sols meurtris impose de ne pas reconduire l’homologation de cette substance.
Certes, les alternatives ne seront pas simples à mettre œuvre pour nos grandes cultures de pomme-de-terre, de betteraves ou de céréales. Mais elles existent en partie et permettent de faire évoluer un système agricole coincé dans une course productiviste qui pénalise au premier chef ses agriculteurs égarés comme des brebis sur l’autoroute de l’endettement et de l’augmentation des rendements.
En Wallonie, quelque 1500 fermes bio ont décidé de tourner le dos aux pesticides en mettant en œuvre un modèle soutenable sur le plan économique. Preuve de cette bonne santé, leur nombre a doublé en moins de dix ans et ces agriculteurs représentent aujourd’hui 4 % du marché.[[https://www.biowallonie.com/wp-content/uploads/2017/05/Le-bio-en-chiffre-2016.pdf]] Certes, c’est encore timide, mais la croissance des exploitations bio et l’engouement d’une frange grandissante des consommateurs pour une alimentation locale et saine enracinent l’espoir de voir notre région amplifier cette dynamique.
Exprimée par le ministre de l’Environnement wallon Carlo Di Antonio, la voie vers le zéro phyto à l’horizon 2030 est tracée politiquement. Cependant, en l’absence d’un plan et de moyens, les sillons de cette volonté ministérielle s’apparenteront à des traces dans le sable face aux vents contraires des représentants du monde agricole conventionnel. Heureusement, la Wallonie n’est pas la seule, en Europe, à vouloir avancer dans cette direction. Pour concrétiser son intention, elle pourra s’inspirer du plan d’action du Danemark, qui ambitionne de devenir le premier pays européen 100 % bio et qui a mis des moyens conséquents sur la table afin de soutenir la reconversion des filières agricoles danoises.
Pour gagner cet horizon, l’obtention d’une majorité qualifiée entre les Etats européens, en vue d’interdire le glyphosate, serait une victoire importante sur le chemin d’une agriculture et d’une alimentation plus durables. La transformation de nos champs et de nos assiettes repose sur la fin d’une dépendance aux conséquences funestes. Pied à pied, arpent après arpent, cette révolution passera par Bruxelles le 9 novembre.