Un communiqué de Pierre Ozer Chargé de recherche, Climatologue, The Hugo Observatory, ULiège.
Il met en perspective de façon magistrale le décalage entre le discours de l’industrie automobile, qui demande aujourd’hui une aide à l’Etat pour relancer le marché, et la réalité en ce qui concerne les émissions de CO2 des véhicules neufs.
Le 11 décembre 2019, la présidente de la Commission européenne – Ursula von der Leyen – annonçait les grandes lignes directrices de l’Europe de demain : « Le Green Deal Européen est notre vision d’un continent climatiquement neutre en 2050. Notre objectif est de réconcilier l’économie avec notre planète, de concilier la façon dont nous produisons et la façon dont nous consommons avec notre planète. Par conséquent, l’accord écologique européen vise à réduire les émissions [de gaz à effet de serre] ». Dans la foulée, la Première ministre Sophie Wilmès embrayait à la Chambre « Le Green Deal, le défi climatique, c’est très important et il est porteur d’espoir. » (16 janvier 2020, www.sophiewilmes.be)
Le 18 janvier 2020, la FEBIAC clamait « Les efforts du secteur automobile pour évoluer vers une mobilité à émissions faibles ou nulles n’ont jamais été aussi visibles, aussi tangibles et aussi accessibles aux consommateurs qu’au cours de l’actuel Salon de l’auto » (Le Soir) et ajoutait « On est en train de mettre sur le marché des produits qui sont toujours plus durables et plus propres » (RTLTVI). Rappelons ici que, dès 2020, les constructeurs automobiles sont tenus par la Commission européenne de respecter un plafond moyen de 95 g CO2/km pour les voitures neuves immatriculées dans l’Union (règlement (UE) 2019/631, article premier).
Le 5 avril 2020, lors d’une allocution télévisée, la Première ministre Sophie Wilmès déclarait « Il est évident qu’il y aura un avant et un après covid-19, que ce soit dans la manière d’envisager notre rapport aux autres ou que ce soit dans le fonctionnement de notre société » (L’Echo).
A la sortie de cette période particulière et unique qui s’est imposée au monde suite à la pandémie de COVID-19, cette étude tente de répondre à la question suivante : « comment le secteur automobile s’empare-t-il de la sortie de crise en Belgique ? »
Pour ce faire, une étude exhaustive des publicités pour les voitures neuves dans la presse écrite a été réalisée, selon la même méthodologie, avant le COVID-19 (durant le Salon de l’Auto, du 1 er au 19 janvier 2020, soit 534 publicités) et après le COVID-19 (du 17 mai au 8 juin 2020, soit 164 publicités).
Avant le COVID-19, il est apparu que :
- 68,3 % des messages publicitaires faisaient la promotion de véhicules dont les émissions de CO2 sont supérieures à la moyenne des véhicules vendus en 2019 (121,2 g/km).
- 50,6 % des publicités vantaient des véhicules dont les émissions de CO2 sont supérieures à 140 g/km.
- 19,8 % des publicités étaient consacrées à des véhicules dont les émissions de CO2 sont inférieures à 95 g/km.
- La moyenne des émissions de CO2/km des véhicules neufs vantés par les publicités était de 129,7 g.
Après le COVID-19, il ressort que :
- 88,6 % des messages publicitaires font la promotion de véhicules dont les émissions de CO2 sont supérieures à la moyenne des véhicules vendus en 2019 (121,2 g/km).
- 76 % des publicités flattent des véhicules dont les émissions de CO2 sont supérieures à 140 g/km.
- 8,5 % des publicités sont ciblées sur des véhicules dont les émissions de CO2 sont inférieures à 95 g/km.
- La moyenne des émissions de CO2/km des véhicules neufs prônés par les publicités est de 147,4 g.
Entre l’avant et l’après COVID-19, le pic des publicités pour les véhicules neufs s’est respectivement déplacé de 120 à 160 g CO2/km (46,7 %) à 140 à 180 g CO2/km (72,0 %). Les publicités pour les véhicules dont les émissions de CO2 sont inférieures à 95 g/km ont diminué de 57,2 %. Globalement, la moyenne des publicités pour des véhicules neufs est respectivement passée de 129,7 à 147,4 g CO2/km, soit une augmentation de 13,3 % (Fig.1).
La promotion des véhicules SUV pourrait expliquer l’augmentation significative de la proportion de véhicules fortement émetteurs de CO2 durant la période actuelle (après COVID-19). Ainsi, alors que la vente de SUV a été sans cesse croissante durant quinze ans (passant de 6,1 % en 2005 à 39,1 % en 2019), la proportion des publicités pour ces véhicules est de 61,1 % actuellement (Fig. 2). Or, ces SUV, outre le fait d’être plus dangereux pour les usagers faibles, sont également plus polluants par rapport au reste du parc promu (+42,4 % de g CO2/km selon les publicités après COVID-19).
Clairement, les constructeurs et distributeurs ne sont pas dans une tendance promotionnaire visant à diminuer drastiquement les émissions de CO2 du secteur automobile.
Dans ces conditions, les résultats de cette étude devraient alimenter les décideurs quant à la demande de la Febiac du 3 juin 2020 : « Afin de limiter une forte baisse du marché, du chiffre d’affaires du secteur et des recettes fiscales de l’État en 2020, il convient de rapidement mettre en place une relance forte et temporaire du marché afin de donner aux consommateurs la confiance nécessaire en matière d’investissement. C’est pourquoi le secteur automobile demande à nos gouvernements une incitation financière significative à l’achat de véhicules, ce qui stimulera les ventes de véhicules, rendra nos parcs plus écologiques et accélérera l’électrification de notre mobilité ».
Une fois de plus[1], il y a un fossé abyssal entre les déclarations de la Febiac – représentant du secteur automobile – et les pratiques pour rendre les « parcs plus écologiques » et accélérer « l’électrification de notre mobilité ».
Il est important ici de rappeler que – dans les discussions par rapport à une aide de l’Etat belge à Lufthansa pour sauver Brussels Airlines – le gouvernement a rappelé qu’aucune intervention ne serait possible sans le respect d’une série de conditions. A savoir, notamment, des engagements en termes de respect de l’environnement.
Cette étude démontre à nouveau que rôle de la publicité est primordial. Elle oriente les choix des consommateurs. Il serait trop facile de dire ensuite que si les objectifs climatiques n’ont pas été atteints, c’est parce qu’il n’y a pas eu d’adhésion du citoyen. Plus que jamais, la publicité pour les voitures particulières doit être régulée. Et ce, dans le souci et le respect de toutes et tous, ici et ailleurs.
Contact presse :
Pierre Ozer, Département des Sciences et Gestion de l’Environnement / The Hugo Observatory, ULiège
pozer@uliege.be
0498 387905
Plus d’infos à venir sur la méthodologie : http://hdl.handle.net/2268/248287
[1] Voir l’étude : Ozer P., 2020. Salon de l’auto 2020 : des voitures « toujours plus durables et plus propres ». Vraiment ?