Invisibles, inodores, insipides… mais pas sans danger ! L’omniprésence des microplastiques dans les milieux aquatiques fait qu’ils sont aujourd’hui une préoccupation majeure dans les sphères scientifiques, environnementales mais aussi politiques.
Cet article est une mise à jour de l’article publié le 19 octobre 2017 .
Remonter aux sources des microplastiques
Quand on parle de pollution des mers par les plastiques, des images atroces d’animaux empêtrés dans des sacs et filets en plastiques ou d’oiseaux marins dont l’estomac est rempli de déchets sont éloquentes. L’image d’un «septième continent », immense plaque formée par des plastiques amalgamés sous l’effet des courants peut être également parlante pour sensibiliser à l’ampleur de cette pollution mais elle est trompeuse. L’ampleur du problème est bien plus difficile à imaginer puisque la majorité des plastiques se retrouvant dans les mers sont invisibles.
Les microplastiques sont des particules composées de polymères synthétiques insolubles dont la taille est inférieure à 5mm[1]. Les microplastiques sont donc très variés en taille et en composition. En fonction de leur origine, il convient de distinguer les microplastiques primaires des microplastiques secondaires.
Les premiers sont directement émis sous forme de petites particules, soit ajoutés volontairement aux produits, telles les « microbilles » qui entrent dans la composition de certains produits cosmétiques ou d’entretien, soit ils sont issus de l’abrasion « naturelle » d’objets (pneus, vêtements, etc.). Les microplastiques primaires représenteraient entre 15 à 31% des µplastiques marins[2].
Les microplastiques secondaires quant à eux sont issus de la dégradation d’objets ou de déchets composés de plastiques qui échouent dans l’environnement (bouteilles, filets pêche, sacs,…). Ils composeraient entre 69 et 85% des µplastiques trouvés dans les océans.
D’après une étude de l’Union internationale pour la conservation de la nature, les principales sources de microplastiques primaires sont : l’usure des vêtements au lavage, l’abrasion des pneus, poussières urbaines issues de l’usure d’objets et de la dégradation d’infrastructures, la dégradation des peintures…
Figure 1 : Répartition des rejets de microplastiques primaires [source : IUCN, 2017]
Omniprésence toxique
Les études montrent que tous les océans sont touchés par cette pollution. Des carottages en zones polaires ont révélé d’importantes concentrations de microplastiques dans les glaces arctiques et antarctiques. Exutoires des eaux surface, mers et océans concentrent ces micro-déchets mais 80% de ces fragments viendraient des rivières. Leurs impacts en eaux douces, voire pour l’approvisionnement en eau potable[3], ne sont donc pas à sous-estimer.
L’évaluation de ces particules et leur caractérisation reste une gageure néanmoins des études estiment que les océans contiendraient entre 15 000 et 51 000 milliards de ces particules. Dans certaines régions, la concentration en microplastiques serait supérieure à celle en plancton. Et selon une étudede la fondation Ellen MacArthur, le rapport tonne de plastique/tonne de poissons qui était de un pour cinq en 2014, sera de un pour trois en 2025, et dépasserait un pour un en 2050.
Le devenir de ces particules dans les milieux aquatiques est des plus inquiétants. La présence de microplastiques dans des sels marins provenant de différentes régions du monde a été confirmée par de nouvelles études[4]. L’ingestion de ces particules par les animaux marins ne fait plus de doute. Les bactéries et microalgues s’accrochant aux microplastiques émettent une odeur qui attire les poissons qui les ingèrent[5]. Fruits de mer, poissons, cétacés…les microplastiques finissent dont par contaminer la chaîne alimentaire. Un chercheur de l’Université de Gand[6] a mesuré la présence d’au moins une particule de plastique pour chaque gramme de chaire de moules élevées en mer du Nord. A chaque casserole de ce délicieux mollusque, ce sont des centaines de microplastiques que nous ingérons. Avec quelles conséquences ? Les composants des plastiques sont loin d’être inoffensifs. Ils libèrent des polluants organiques persistants (POP’s) comme le DDT, des PCB ainsi que des phtalates ou des métaux lourds. La toxicité pour les organismes marins a été démontrée : malnutrition et insuffisance hépatique chez les poissons, retard de croissance et effets reprotoxiques…Et qu’en est-il chez le consommateur final ? Effets cumulatifs, effets cocktail… On est encore loin de mesurer les conséquences d’une exposition chronique à ces particules.
Une bataille de longue haleine
Si les conséquences sanitaires et économiques de cette pollution sont difficiles à évaluer, autorités et gouvernements de différentes parties du monde perçoivent la nécessité d’agir. Oui mais comment s’attaquer à un problème aussi colossal dont les sources sont multiples et omniprésentes ?
Depuis 2015, la Commission européenne n’a pas chômé sur le sujet en abordant les choses via le 1er paquet Economie circulaire et surtout une Stratégie européenne sur les matières plastiques parue en 2018. Différents axes visant spécifiquement les microplastiques ont été proposés :
- Améliorer les connaissances de l’origine des microplastiques, de leurs interactions avec le milieu et de leurs effets sur la santé et les écosystèmes ;
- Imposer des restrictions d’utilisation des microbilles ;
- Limiter les sources de microplastiques secondaires en visant des produits qui finissent trop souvent comme déchets sauvages
En 2019, l’UE a adopté la Directive relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement, dite Directive SUP (pour single-use plastics). Une avancée notoire avec l’interdiction des plastiques oxodégradables[7], l’interdiction de certains objets à usage unique (coton-tige, paille, couverts en plastique…), la réduction de la consommation d’autres produits (bouteilles, emballages, etc) et des mesures visant à améliorer la gestion de certains déchets (REP pour les équipements de la pêche, mégots de cigarette…).
L’année dernière toujours, l’ECHA a conclu à la nécessité et à la faisabilité d’interdire l’adjonction de microplastiques dans certaines produits (cosmétiques principalement). D’autres pays n’avaient pourtant pas attendu la Commission pour avancer sur cette question puisque la France a promulgué dès 2018 un décret interdisant la mise sur le marché des produits cosmétiques rincés à usage d’exfoliation ou de nettoyage comportant des particules de plastiques solides. La Belgique, elle s’était contentée d’un accord sectoriel moins contraignant.
Axe fort du Green Deal européen, l’économie circulaire s’est vue renforcée dans un nouveau plan d’action Economie circulaire présenté en mars 2020. La lutte contre la pollution plastique figure toujours en bonne place avec notamment un nouvel accent sur la réduction et la réutilisation ainsi que des restrictions sur le sur-emballage. Malgré tout, ce nouveau plan est jugé timide sur la problématique des microplastiques, en restant axé sur la quantification et le monitoring de ce phénomène, sur des mesures d’information et d’action en aval (captation des µplastiques) sans réelle avancée pour limiter la libération des microplastiques primaires dans l’environnement. Par ailleurs, on peut s’inquiéter de l’intérêt de la Commission pour les plastiques biosourcés et biodégradables alors que ceux-ci n’ont pas prouvé leur innocuité pour l’environnement et qu’ils n’offrent pas, aujourd’hui, des gages suffisants de durabilité.
On le voit de nombreuses initiatives législatives ont été prises depuis quelques années pour essayer d’enrayer ce flot continu de plastiques dans les océans mais l’ampleur du phénomène que représente ces microplastiques, le caractère diffus de cette pollution, difficilement réversible même à long terme, nécessitent des mesures urgentes, qui s’appuient sur différents leviers : normatifs, économiques, d’accompagnement de secteurs dans la recherche de produits plus durables… Une approche mondiale et coordonnée est indispensable, il en va de l’avenir de nos océans.
[1] On peut également parler de nanoplastiques, particules de taille inférieure à 100 nm
[2] IUCN:’Primary microplastics in the oceans: a global evaluation of sources, 2017 https://www.iucn.org/content/primary-microplastics-oceans
[3] https://www.theguardian.com/environment/2017/sep/06/plastic-fibres-found-tap-water-around-world-study-reveals
[4] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5382780/
[5] http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/284/1860/20171000
[6] http://www.ecotox.ugent.be/micro-plastics-mussel-tissue
[7] Plastiques oxodégradables : des matières plastiques renfermant des additifs qui, sous l’effet de l’oxydation, conduisent à la fragmentation de la matière plastique en micro-fragments ou à une décomposition chimique;