Associations 21, Mouvement Luttes Solidarités Travail et ATD Quart Monde ont organisé le 21 septembre dernier le « Forum Durabilité Pauvreté ». Cet événement avait pour objectif de revenir sur le Rapport Durabilité et pauvreté, publié en décembre 2019 par le Service Interfédéral de Lutte contre la pauvreté. Ce fut l’occasion de (re)découvrir comment les enjeux environnementaux sont perçus et vécus par les personnes en situation de pauvreté. Quelques points marquant, avec un focus sur l’énergie…
La méthode de rédaction de ce rapport (comme celle des 9 éditions précédentes) mérite d’être soulignée. Il est le fruit de concertations approfondies entre des associations dans lesquelles des personnes pauvres se reconnaissent, des CPAS, des interlocuteurs sociaux, des professionnels de divers secteurs, des administrations… « Au total, ce sont 147 organisations et 247 personnes qui ont contribué à l’élaboration du présent Rapport » (p.91). Plus qu’un rapport sur la pauvreté, c’est donc un rapport écrit avec les personnes en situation de pauvreté et qui fournit de nombreuses recommandations transversales et thématiques.
On retiendra l’intérêt des personnes en situation de pauvreté pour les enjeux de durabilité et leur volonté de contribuer au débat sur l’avenir de notre planète. « On entend souvent dire que les personnes en situation de pauvreté ne se préoccupent pas de durabilité, qu’elles essayent toutes de survivre et que cela en reste là. C’est absolument faux ! Nous devons revendiquer notre place dans ce débat et y apporter notre contribution. Nous savons en effet à quoi conduit le modèle de croissance actuel, car nous en subissons les conséquences et nous en souffrons. Nous devons faire comprendre cela, car on nous considère seulement comme des gens qui n’apportent rien et qui coûtent cher à la société » (p. 7)
Le rapport met également en lumière les situations difficiles et injustes vécues par bon nombre de nos concitoyens. 16,4 % de la population belge était exposée à un risque de pauvreté en 2019 (p.15), un chiffre en augmentation. En matière d’énergie, le dernier Baromètre sur la précarité énergétique indique que 21,7 % de ménages belges ont potentiellement été touchés en 2017 par une forme ou l’autre de précarité énergétique. Pour la Wallonie ce chiffre monte à 27,8%, plus d’un Wallon sur quatre, un constat choquant pour un bien de première nécessité. Durant le Forum Durabilité Pauvreté, une militante d’ATD Quart Monde témoigne : « On a besoin de l’énergie pour vivre bien. Tout le monde est concerné. Mais certains ont très dur. Je suis motivée pour défendre ceux qui ont très dur. Par exemple, Fabienne n’a pas pu rester en maison d’accueil. Elle n’a ni électricité ni gaz. Elle ne peut pas cuisiner, pas se chauffer, n’a pas d’eau chaude. Elle n’ose pas se plaindre. L’immeuble serait déclaré insalubre et tout le monde serait expulsé. Ou Cathy qui un problème de gaz dans son logement social. On lui dit que cela ne pourra être réparé que dans deux ans et qu’elle doit laisser la fenêtre ouverte ! Il faut que ces injustices s’arrêtent ! 2».
Le rapport souligne que le mode de vie économe adopté par nécessité par les personnes en situation de pauvreté n’est pas souvent reconnu dans le débat sur la durabilité. Les mesures pour encourager un comportement durable (primes, avantages fiscaux) sont souvent peu accessibles à ces personnes : travaux d’isolation, appareils économes en énergie, panneaux photovoltaïques ou citernes à eau de pluie sont souvent impayables pour elles. Quant aux mesures « pollueur-payeur », celles-ci peuvent renforcer les inégalités sociales en l’absence d’alternatives abordables. « Les mesures prises vont à l’encontre des personnes en situation de pauvreté. Par exemple les vieilles voitures qui ne peuvent plus rouler en ville. Qui roule avec ces voitures ? C’est bien beau de réclamer des changements, mais les personnes en situation de pauvreté n’ont pas la possibilité de s’adapter » (p. 25)
Alors, comment concilier concrètement urgence sociale et urgence environnementale dans l’action publique? Parmi les multiples solutions à mettre en œuvre, une piste concrète me semble faire particulièrement du sens à l’issu de ce forum : concevoir et évaluer les mesures environnementales, non seulement pour, mais surtout avec les personnes en situation de pauvreté. « La politique devrait considérer les plus vulnérables (les enfants, les personnes âgées, les personnes en situation de pauvreté, …) comme la norme, pour tester son effectivité. Lorsqu’une politique est bénéfique pour ces groupes-là, elle l’est pour tout le monde. « La bonne gouvernance, ça signifie de s’occuper du bien-être de tout le monde, et de ne laisser personne de côté» (p.91)
- Les citations de personnes qui se sont exprimées durant les consultations sont reprises en italique. Les autres citations du rapport sont reprises en caractère habituel.
- Voir aussi les témoignages vidéo recueillis pour la Fondation Roi Baudouin dans le cadre de sa publication « F(r)acture énergétique. Témoignages de personnes en défaut de paiement ».