L’eau, l’alimentation, l’électricité, un accès à internet… tous sont des produits ou services essentiels. Et s’il fallait choisir en temps de sécheresse ?
Décembre, son temps maussade et ses précipitations nous feraient presque oublier les épisodes de sécheresse que notre territoire connaît de plus en plus régulièrement en été1. Si certains implorent le ciel en période estivale pour maintenir un niveau de production agricole acceptable ou encore garder nos jardins plus verts, nous devrions tous bénir la pluie de novembre et les précipitations hivernales car elles sont déterminantes pour une recharge optimale des aquifères dont provient une grande partie de notre eau de distribution2.
Au-delà de la gestion de crise que la Wallonie peut connaître lors d’été un peu trop sec, il est important de projeter des scénarios sur l’évolution probable du régime de précipitations dans un contexte de changement climatique, d’anticiper toutes les conséquences d’épisodes de sécheresse plus marqués et/ou plus fréquents et préparer une stratégie pour amortir ces impacts. Sujet traité de façon très pédagogique dans un récent cahier de prospective édité par l’IWEPS.
Au niveau de l’évolution des précipitations3 dans notre pays, la plupart des modèles prévoient une augmentation des précipitations durant l’hiver, une diminution des précipitations mensuelles en été (pouvant aller jusqu’à plus de 20%) et davantage d’épisodes de pluies plus intenses (or, pour humidifier un sol mieux vaut des petites pluies modérées qu’une grosse drache qui ruisselle). Même s’il reste de nombreuses incertitudes liées à ces modèles, il est très probable que les épisodes de sécheresse soient récurrents et plus intenses dans les années à venir.
Le fait que la recharge hivernale des nappes aquifères ne semble pas compromise au travers de ces projections n’occulte en rien les conséquences de conditions hydriques plus extrêmes en été sur toute une série de secteurs. Certains impacts sont évidents, bien connus et relativement bien médiatisés (on peut même craindre que ce sujet devienne un marronnier en juillet-août) : chute de rendement des productions agricoles, dépérissement des forêts, limitation de certaines activités touristiques comme la pratique du kayak, restriction d’usage de l’eau pour les ménages…
Les conséquences sur d’autres secteurs industriels sont un peu moins médiatisées, mais pas moins inquiétantes. Si de nombreuses industries ont investis dans des processus de production et de refroidissement beaucoup moins consommateurs d’eau, d’autres dépendent de débits d’eau difficilement compressibles. Les centrales de production d’électricité ont besoin de grande quantité d’eau pour abaisser la température de condensation. A noter qu’il s’agit bien de volumes d’eau prélevés, restitués au cours d’eau après usage. En cas de sécheresse, ces centrales peuvent voir leur fonctionnement menacé car les prélèvements sont conditionnés à des débits minimums. De plus, les eaux rejetées dans le milieu doivent respecter une certaine gamme de température pour ne pas perturber les écosystèmes. Aussi, avec les épisodes de chaleur et de sécheresse, les conditions d’exploitation de ces centrales risquent bien d’être plus délicates. Quant aux centrales hydroélectriques, particulièrement celles situées sur les cours d’eau non navigables, elles sont davantage soumises aux variations de débit en condition d’étiage. Ces dernières années, la plupart des microcentrales sur le réseau hydrographique wallon ont dû interrompre leur fonctionnement en période de sécheresse afin de ne pas détourner une partie des volumes d’eau indispensables au maintien d’un débit minimal qui préserve la vie aquatique. A l’heure actuelle, des choix sont donc déjà opérés quant à une priorisation des usages ou fonctions que les eaux de surface doivent garantir.
Quelle priorisation pour un autre secteur devenu indispensable comme l’internet? Si on pointe du doigt les data centers pour leur grande consommation d’énergie, leur consommation d’eau peut aussi poser question. La concentration de serveurs dans les data centers génèrent énormément de chaleur qu’il faut évacuer et s’il existe différents système de refroidissement de ces centres, certains consomment de grandes quantités d’eau dont une bonne part (75%) n’est pas restituée au milieu dans lequel elle a été prélevée. Une étude réalisée aux USA par Bloomberg a révélé qu’en 2019, Google a demandé, pour des centres de données dans trois États différents, des autorisations pour un approvisionnement en eau de 2.3 milliards gallons us, soit plus de 8 milliards de litres (ou de quoi remplir 3500 piscines olympiques). Et les nouvelles demandes pour l’installation de data centers dans de états souffrant structurellement de la sécheresse (Arizona, Texas, California) frise l’indécence alors que la population est priée d’adopter une consommation d’eau plus parcimonieuse.
En Wallonie, le data center de Google près de Mons est refroidi par évaporation d’eau pompée dans le canal Nimy-Blaton-Péronnes. Sur sa page, Google défend son bilan environnemental : « ce centre de données utilise l’eau recyclée d’un canal industriel voisin pour refroidir ses serveurs, ce qui élimine le besoin de réfrigération et permet au site de consommer beaucoup moins d’énergie. » Ce qu’il faut savoir c’est que ce canal est alimenté par pompage dans l’Escaut. Si les volumes de pompage devaient être maintenus, même en période de sécheresse, il pourrait y avoir des répercussions sur le réseau hydrographique et le débit de l’Escaut avec notamment des impacts sur la navigabilité du fleuve.
Au vu de la répétition de périodes de sécheresse dans les années à venir, les pouvoirs publics mettent en œuvre une série de réponses : le schéma régional des ressources en eau, cellule de crise, dispositif sécheresse, restriction d’usages dans les communes à risque…Mais pour préserver le bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques, garantir un accès à l’eau pour tous les citoyens ainsi que pour remplir les obligations de la directive cadre sur l’eau, une priorisation d’usages devra peut-être être opérée. Toutes une série d’activités, même si elles ne dépendent pas directement de la générosité du ciel à déverser de la pluie, verront leurs permis et conditions d’exploiter modifiés ou soumis à de plus fortes restrictions. Avec quelles balises ? S’il est évident qu’assurer les récoltes est plus important que de remplir une piscine, comment va s’opérer la priorisation entre certaines activités? La crise sanitaire actuelle nous a montré à quel point il est difficile de définir l’essentiel du « non-essentiel » et combien les compensations peuvent être potentiellement un lourd tribut pour la collectivité. Faute de vaccin contre les effets du changement climatique, l’anticipation et l’adaptation restent nos meilleures armes pour ne pas subir ces situations de stress hydrique.
Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !
- En Wallonie, nous avons connu des épisodes de sécheresse estivale en 2016, 2017, 2018, 2019, 2020.
- 80% de l’eau distribuées en Wallonie provient de masses d’eau souterraines, le reste vient de la potabilisation d’eaux de surface (e.a Meuse à Tailfer, barrage de la Gileppe, Ry de Rome à Couvin)
- Plateforme wallonne pour le GIEC- Lettre n°18- Novembre 2018