Depuis 2013, l’usage des pesticides en Wallonie est régi par le Plan Wallon de Réduction des Pesticides (PWRP), dont les objectifs visent à réduire l’utilisation de ces produits potentiellement dangereux et leurs impacts sur la santé et l’environnement. Nous sommes à la troisième version de ce plan. Une enquête publique est en cours jusqu’au 20 mars pour faire valoir vos avis et observations sur ce 3ème PWRP.
La Fédération vous invite à réagir à cette enquête publique afin de faire entendre votre voix et vous suggère quelques éléments d’analyses.
Pour cela, renvoyez ce courrier daté et signé, par mail ou par courrier, aux adresses suivantes, avant le 20 mars !
napan@health.fgov.be
Dr Ir Vincent Van Bol,
SPF Santé Publique, Service Produits phytopharmaceutiques et Fertilisants,
Avenue Galilée, 5/2,
1210 Bruxelles
Quels sont les objectifs de ce nouveau Plan ?
Le Plan poursuit deux objectifs : la réduction de 50 % de la quantité de pesticides utilisée d’ici 2030, mais également la réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides les plus dangereux. Ces objectifs de réduction sont louables et ambitieux. La proposition de Plan ne nous semble pourtant pas se donner les moyens de cette ambition. On constate en effet un décalage entre les ambitions du Plan et l’adéquation des mesures destinées à l’atteinte de l’objectif : sur les 38 mesures du Plan, seules 4 (!) auront un impact direct sur la réduction de l’utilisation des pesticides, qui est pourtant l’objectif premier du Plan.
Cette réduction ambitieuse de la quantité de pesticides utilisée nous semble pourtant réalisable et surtout indispensable pour faire face aux enjeux environnementaux liés à l’utilisation de ces substances : diminution drastique de la biodiversité, pollution des eaux, risques majeurs pour la santé, appauvrissement des sols, dépendance de notre agriculture à ces composés issus du pétrole, etc. Cet objectif de réduction de 50 % est en outre aligné avec les objectifs de la stratégie européenne Farm to Fork, qui pourraient devenir contraignants dans le cadre de la révision actuelle de la Directive cadre « Pesticides ». Il nous semble dès lors souhaitable d’anticiper sa mise en oeuvre dans ce Plan wallon.
Le PWRP III, le petit frère des deux autres ?
La Wallonie a adopté son premier Plan Wallon de Réduction des Pesticides en 2013. Pourtant, entre 2013 et aujourd’hui, la quantité de pesticides utilisée est restée la même ! La Wallonie reste dans le top 3 européen des plus gros consommateurs de pesticides.
En lisant le Plan, on comprend que celui-ci ne concerne que des actions « pour aller plus loin », les actions mises en place dans les Plans précédents étant devenues des actions récurrentes qui servent de socle de base à la politique de réduction des pesticides en Wallonie. Des actions “pour aller plus loin” devraient cependant être des actions innovantes, disruptives. Or, la majorité des mesures actuelles sont de l’ordre de l’état des lieux (monitoring, observations, études) et non pas d’actions concrètes pour agir sur la diminution des quantités d’utilisation des pesticides. Nous émettons de nettes réserves quant à cette manière de fonctionner.
- Les actions des Plans précédents, considérées comme “récurrentes” devraient, à minima, être listées dans le PWRP III et ce, afin d’objectiver clairement parmi celles-ci lesquelles ont été maintenues et lesquelles ont été abandonnées.
- Le rapport d’incidences sur l’environnement (RIE) montre que sur la période 2003-2022 que couvraient les deux PWRP précédents, aucune baisse significative de la consommation de pesticides n’a pu être mise en évidence. Il semblerait donc que les Plans précédents n’aient pas atteint leurs objectifs.
- Les deux premiers PWRP avaient des objectifs différents de celui-ci. Là où les projets précédents visaient une réduction des impacts de l’utilisation de pesticides, ce 3ème programme vise bien une réduction de la quantité utilisée.
- Le RIE stipule que sur les 37 mesures définies dans ces Plans, seules 4 ont effectivement été mises en place/ont abouti. Il semble donc que les deux PWRP précédents ne constituent pas vraiment un socle solide.
Les impacts des pesticides sur nos milieux
Les impacts des pesticides sur nos milieux et notre santé sont pourtant nombreux.
Santé : les résultats du biomonitoring wallon ont montré une contamination généralisée par les pesticides sur le territoire. 93 % des Wallons présentent des traces de pesticides dans leurs urines, que ce soit chez les adultes ou les enfants. Or, une exposition chronique à ces molécules peut générer des effets très néfastes, qui se marquent après des décennies. Les maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson, sont par exemple reconnues comme maladies professionnelles des agriculteurs.
Biodiversité : les pesticides ont prouvé le rôle important qu’ils jouaient dans le déclin de la biodiversité dans notre région. Si la biodiversité s’effondre, c’est tout l’écosystème qui est mis à mal, et donc les services qu’il nous rend, notamment en termes de sécurité alimentaire.
Eau : les pesticides sont responsables du mauvais état de 25 % de nos eaux de surface et près d’un tiers de nos masses d’eau souterraine. Cette eau souterraine, d’où provient 80 % de notre eau de distribution, doit désormais être traitée avant d’être distribuée. Notre eau, qui était potable, ne l’est plus.
Agriculture : les pesticides sont d’abord un danger considérable pour la santé de l’agriculteur qui les manipule. Or, peu d’informations sont aisément accessibles aux agriculteurs sur les risques qui y sont liés et sur l’existence de méthodes culturales alternatives. Selon les principes de la lutte intégrée, il est opportun d’enseigner les pratiques de prévention et les alternatives aux pesticides, dans les cursus agronomiques et les formations d’accès à la profession.
La question de la souveraineté alimentaire
Les entreprises productices de pesticides et les acteurs ayant avantage au maintien du statut quo du modèle agricole traditionnel utilisent systématiquement le même argument pour s’opposer à une réduction des pesticides : sans eux, c’est la famine. Et les agriculteurs, déjà pauvres, le seront encore plus.
L’usage des pesticides a commencé dans les années 50 pour se remettre de la guerre et de la famine qu’elle engendrait – et un peu pour recycler les armes de guerre… Avec d’autres intrants comme les engrais, les pesticides font partie du package de la Révolution Verte qui a permis de booster les rendements des cultures par une maîtrise de la nature.
L’agriculture est désormais passée dans un modèle industriel qui lui permet de produire beaucoup plus que nos besoins. La production agricole mondiale permet de nourrir 12 Mrds de personnes. Nous sommes actuellement 7.7 Mrds et le maximum de population attendu pour 2100 est de 10,9 Mrds. Nous produisons déjà trop, et pourtant tout le monde ne mange pas à sa faim. En cause : notre énorme gaspillage alimentaire (+- 20 % en moyenne en Europe) d’une part et la très mauvaise répartition des denrées d’autre part.
En Wallonie, même constat. Notre production de pommes de terres par exemple, culture de loin (de très loin) la plus consommatrice en pesticides, couvre 600 % de nos besoins… Une baisse de rendement liées à une diminution des pesticides nous laisse encore beaucoup de marges avant de crier famine !
L’augmentation du rendement liée à l’industrialisation de l’agriculture a poussé le modèle vers une course effrénée à l’agrandissement (la superficie moyenne des exploitations a doublé en 30 ans). Qui dit plus grandes exploitations, dit plus d’utilisation de produits chimiques pour limiter les parasites, plus d’automatisation pour garantir un rendement suffisant… pour permettre de rembourser les emprunts qui ont précisément servi à l’augmentation de la taille de l’exploitation. Vous le sentez, le cercle vicieux ?
Or, malgré cette augmentation de la taille des exploitations et l’usage de pesticides et d’engrais, la viabilité économique des exploitations n’est pas garantie. En effet, les aides de la PAC interviennent en moyenne pour 126 % du revenu des agriculteurs. En d’autres mots, sans cette aide publique massive, aucune exploitation agricole n’est actuellement rentable.
Concrètement
Nous demandons donc à la Wallonie de relever le niveau d’impact des mesures proposées dans le PWRP III afin que l’objectif de réduction de 50 % de l’utilisation de pestcides soit atteint d’ici 2030.
Particulièrement, la Fédération plaide pour :
- la mise en œuvre rapide de l’ambition de 30 % de bio en Wallonie et le redéveloppement de 10 % d’éléments de paysage soutenant la biodiversité dans les milieux agricoles ;
- une interdiction de l’utilisation des pesticides à moins de 100 mètres de tous les lieux de vie ;
- une interdiction d’usage des pesticides se retrouvant dans les masses d’eau dans les zones vulnérables pour la qualité des eaux souterraines ;
- une interdiction de l’usage des pesticides dans le périmètre et au pourtour des sites Natura 2000 et des sites d’intérêt biologique ;
- la mise en place d’un conseil indépendant pour que les agriculteurs puissent bénéficier d’un conseil neutre sur les risques liés à l’utilisation des pesticides et sur les alternatives existantes ;
- l’augmentation et la focalisation de la recherche, l’enseignement, la formation et le conseil agricole sur les alternatives aux pesticides et sur la prise en compte de leurs impacts sur la santé publique et la biodiversité dans les pratiques agricoles.
Nous encourageons d’autre part l’inclusion de ce PWRP III dans une démarche plus large de transition de notre modèle agricole wallon vers plus d’autonomie et de durabilité.