Ecoféminisme : vers une convergence des luttes

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Le 8 mars, c’était la Journée internationale des droits des femmes. Mais quel rapport avec la cause environnementale, me direz-vous ? Pour le savoir, partons à la découverte de l’écoféminisme…

Introduction

Partant du constat que les grandes crises environnementales (dérèglement climatique, érosion de la biodiversité, dégradation de la qualité de l’air) renforcent les inégalités sociales en impactant davantage les personnes victimes de diverses formes d’oppression ou d’exclusion telles que les pauvres, les femmes, les personnes racisées ou encore les personnes handicapées, la remise en question de ces rapports de domination nous paraît essentielle pour créer les conditions d’une résilience de nos sociétés qui soit équitable, solidaire et démocratique pour tous et toutes. C’est pourquoi Canopea a participé l’an dernier au festival « Polyphonies écoféministes » en y animant un atelier contes et un dispositif « Porteuses de paroles ». Cette Racine est largement inspirée des discussions suscitées par ces activités.

Un peu d’histoire

Le terme « écoféminisme » apparaît pour la première fois en 1974 sous la plume de l’écrivaine militante Françoise d’Eaubonne, qui fait le constat que les problèmes environnementaux et les inégalités sociales sont le résultat d’un même système socio-économique fondé sur des rapports de domination. Le terme est né de la contraction des mots « écologie » et « féminisme », mais ce mouvement va plus loin et vise la lutte contre toutes les formes de domination (racisme, classisme, validisme, spécisme,…).

D’un point de vue historique, la naissance du système capitaliste, qui se situe entre le XVIème et le XVIIIème siècle, coïncide avec le paroxysme de la chasse aux sorcières, le mouvement des « enclosures » (privatisation de l’usage des terres agricoles ayant entraîné un exode rural important) et le colonialisme.

La chasse aux sorcières a été un véritable génocide à l’encontre de la gent féminine, ciblant surtout les femmes un peu trop indépendantes qui dérangeaient l’ordre établi, et qui maîtrisaient l’usage des plantes médicinales qu’elles étaient capables d’utiliser notamment à des fins contraceptives et abortives. Le mouvement des « enclosures » et la prolétarisation qui l’a suivi a également contribué au cantonnement des femmes à un rôle de « femmes au foyer ».

Aujourd’hui, certaines écoféministes telles que Starhawk remettent au goût du jour des rituels païens et se revendiquent comme sorcières, faisant ainsi un pied-de-nez à l’histoire.

« Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler » (Christine Delmotte-Weber)

Des rapports de domination inculqués depuis l’enfance… et non sans conséquence

En faisant l’analyse des contes pour enfants et autres dessins animés, on y constate une normalisation de ces rapports de domination de l’homme sur la femme et sur la nature.

Prenons l’exemple d’un conte classique, « Le petit chaperon rouge ». Il y a trois rôles féminins dans cette histoire, tous assez caricaturaux. L’héroïne est la plus jolie fille du village, elle est petite, mignonne, douce, naïve et fragile, incapable de se défendre seule. Sa mère est cantonnée dans un rôle de ménagère, elle cuisine et prend soin de la famille. La grand-mère, quant à elle, est dans une situation de dépendance, elle est malade et a besoin qu’on s’occupe d’elle.

Le loup est le principal personnage masculin, il prend de l’espace, il est grand, rapide et fort, trompeur, voleur, il colonise l’espace, le petit chaperon rouge se laisse abuser par lui. Cette figure du grand méchant loup est très présente dans les contes, on la retrouve aussi par exemple dans « Les trois petits cochons », « Le loup et les sept chevreaux », et même, très récemment, dans « Le Chat Potté 2 » (2022), où cet animal représente la mort. Cette image n’est pas sans conséquence pour l’espèce qui a été persécutée durant des siècles et dont le retour chez nous suscite encore de vives polémiques.

Le chasseur, autre figure masculine, apparaît comme un sauveur pour ces femmes faibles que sont le petit chaperon rouge et sa grand-mère. L’acte de sauvetage n’est pas anodin puisqu’il implique le meurtre de l’animal ; la maîtrise de la nature sauvage serait donc nécessaire pour sauver les êtres humains… Cette maîtrise de la nature est encore omniprésente dans notre culture, comme en témoigne la récente campagne « Nature maîtrisée, vies sauvées » lancée par le SPW Infrastructures dont les affiches ont été détournées par des activistes namurois.

La forêt apparaît dans le conte comme un espace masculin, occupé par le loup, le chasseur et les bûcherons. Les femmes peuvent la traverser mais pas s’y attarder, sinon il y a danger…

Cette représentation est encore très présente aujourd’hui puisque la plupart des métiers de la forêt (sylviculteur, bûcheron, débardeur, garde forestier) sont encore exercés par des hommes, tout comme la chasse qui reste un loisir quasi exclusivement masculin. La chasse et ses dérives sont le fait d’un petit nombre d’hommes blancs issus de classes sociales aisées voire riches, qui se battent pour conserver leurs privilèges au détriment de la biodiversité, du bien-être animal et des autres usagers de la forêt.

Le cas de « Blanche-Neige » est encore plus éloquent. On y oppose une jeune fille très belle (le « teint blanc comme la neige » y est d’ailleurs présenté comme un critère de beauté, faisant ainsi subtilement l’éloge de la race blanche), naïve, bonne ménagère, à la figure de la sorcière, vieille et laide. Encore une fois, la forêt est présentée comme un endroit dangereux, d’où Blanche-Neige doit s’échapper en se réfugiant dans la maison des nains. La question du consentement n’est pas posée alors que Blanche-Neige est réveillée par un baiser (dans la version de Disney) voire, dans certaines versions populaires du conte, par un viol.

Figure 1: « Sorcière » apparaissant dans « Blanche-Neige » (Disney, 1937)

Dans de nombreux contes, on retrouve l’histoire similaire d’une jeune fille qui épouse un prince avec ce dénouement typique : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Cet imaginaire véhicule l’idée selon laquelle l’aboutissement ultime de la vie d’une femme serait de se marier et d’enfanter. Les femmes sans enfant sont donc fréquemment stigmatisées, l’infertilité étant perçue comme un handicap et l’absence de désir d’enfant comme une déviance.

Heureusement, la culture évolue et des thèmes écoféministes se retrouvent maintenant dans certains dessins animés pour enfants. Prenons l’exemple de « Vaïana, la légende du bout du monde » (2016). L’héroïne est une jeune fille courageuse, aventurière, capable de s’affranchir des règles, qui va sauver son peuple et la nature. Sa grand-mère rappelle la figure de la sorcière, mais cette fois vue sous un angle plus positif : bien qu’un peu folle, elle est porteuse d’une certaine sagesse et prodigue de précieux conseils. On retrouve également la figure de la déesse-mère, personnification de la nature source de toute vie, qui se rebelle lorsqu’on la dégrade. Malgré la présence de ces symboles inspirés de l’écoféminisme, certains rapports de domination sont pourtant bien présents, notamment le déterminisme social : Vaïana est destinée à devenir chef, non par mérite, mais parce qu’elle est la fille du chef. L’idiotie caricaturale du poulet révèle également un certain spécisme, on en viendrait presque à se demander si un animal aussi idiot mérite de vivre… Serait-ce une justification à la maltraitance de cette espèce, qui est le vertébré dont l’élevage intensif est le plus répandu avec 71 milliards d’individus abattus chaque année dans le monde ?

A travers les histoires qu’on raconte, c’est une vision du monde qu’on transmet. Si la place de la femme s’améliore petit à petit, il reste encore un long chemin à parcourir pour faire évoluer les rapports entre les différentes cultures, classes sociales et espèces.

Comment construire une société plus égalitaire ?

Réduire les inégalités économiques

L’égalité des salaires serait déjà un premier pas dans la bonne direction. Un même salaire pour un même effort, ne serait-ce pas logique ? De manière plus générale, il faut viser une meilleure répartition des richesses. Taxer les grosses fortunes permettrait de réduire ces inégalités avec un impact positif sur le climat. Par exemple, taxer à 1.5 % le capital des personnes possédant plus de 100 millions de dollars permettrait de collecter une somme de 295 milliards de dollars annuellement, ce qui permettrait de financer la prévention et l’adaptation au dérèglement climatique des pays les plus pauvres.

La fiscalité peut également être un levier important pour dissuader certains comportements destructeurs de l’environnement, tels que l’achat de voitures très polluantes. C’est pourquoi Canopea plaide pour une réforme en profondeur du régime fiscal des voitures de société, qui dans son état actuel génère d’importants impacts environnementaux et amplifie les inégalités sociales.

Le travail domestique gratuit, qui repose encore en grande partie sur les épaules des femmes, devrait être partagé de manière plus juste et équitable, voire être rémunéré, par exemple en octroyant un revenu universel à tous et toutes, qui doit s’inscrire dans une stratégie globale de transformation de notre société visant à réduire les inégalités socio-économiques et de genre.

Renforcer la démocratie

Les décideurs politiques devraient être bienveillants avec les citoyens et citoyennes, se mettre à la place des gens. Mais n’est-ce pas un peu compliqué de comprendre ce que vit une personne sous le seuil de pauvreté pour un ministre qui gagne en moyenne 12 000 € nets par mois ?

La démocratie représentative ne suffit donc pas à prendre en compte la diversité des points de vue et des vécus des citoyens et citoyennes, il faut aller plus loin et créer une véritable démocratie participative, qui pourrait passer par exemple par la mise en place d’assemblées citoyennes tirées au sort. Le collectif Cap Démocratie a récemment lancé une pétition à ce sujet sur le site du Parlement Wallon.

Eduquer

L’enseignement doit être transformé dans son contenu et dans sa forme, en éduquant les enfants à l’égalité des genres et au respect de l’environnement et en luttant activement contre tous types de harcèlements, qu’ils soient sexistes ou non. Un véritable changement culturel est nécessaire, et les médias ont aussi un rôle à jouer. L’éducation passe aussi par l’émotion, souvent plus vectrice de changement que les arguments rationnels.

D’abord se changer soi-même…

Nous devons tous et toutes apprendre à être bienveillant·e·s avec les humains et avec la terre, à écouter, se respecter, laisser son égo de côté, se remettre en question, améliorer la communication entre genres, générations et espèces, pour développer une vision globale. Le travail qui relie peut être un moyen de se reconnecter au Vivant sous toutes ses formes.

Et puis changer le monde

Pour en finir avec le capitalisme et le patriarcat, il est nécessaire de d’abord questionner, inviter à la discussion, puis créer un mouvement pour une révolution non violente. Mais comment aboutir à une réelle convergence des luttes, sans exclure personne ?

Par exemple, le mouvement climat est constitué principalement de jeunes (plus de la moitié des militant·e·s ont entre 15 et 34 ans), surtout des femmes (2/3), d’un niveau de diplôme élevé (49 % ont un niveau de master).  Les militant·e·s impliqué·e·s dans des luttes de territoire sont plus diversifié·e·s en termes d’âges, de genres et d’origines socio-économiques… mais en très grande majorité blanc·he·s. Pourquoi cette absence de personnes racisées ? Etant moi-même impliquée dans ces luttes, je me suis interrogée sur cette question et c’est en assistant à une conférence de Fatima Ouassak, fondatrice du Front de Mères et de la Maison de l’Ecologie Populaire, que j’ai pu obtenir une ébauche de réponse.

Les personnes issues de l’immigration sont régulièrement la cible de remarques racistes telles que « Retourne dans ton pays ! ». Même les enfants de deuxième génération, qui sont nés et ont grandi en Belgique, sont considérés comme des étrangers, des « sans terre ». C’est compliqué pour elles et eux de se mobiliser pour des territoires qui ne leur appartiennent pas et dont iels se sentent exclus… Pour faire de l’écologie dans les quartiers populaires, le mouvement créé par Fatima Ouassak part de problèmes très concrets touchant au quotidien des gens, par exemple la pollution de l’air ou le manque d’alternatives végétariennes à la cantine de l’école. Elle fait également des liens entre pollution de l’air et violences policières : ces problèmes en apparence bien distincts partagent une origine commune (un système basé sur des rapports de domination) et des conséquences semblables (les victimes ne peuvent plus respirer car elles se sentent opprimées).

Enfin, pour une vraie convergence des luttes, les beaux discours ne suffisent pas ; il faut créer une réelle solidarité sur le terrain, lors des mobilisations mais aussi avant et après.

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