La révision de la Directive européenne « Eaux destinées à la consommation humaine », soit la Directive « Eau potable », oblige tous les Etats membres à revoir leur législation en la matière. Le Parlement wallon a ainsi adopté le 4 avril le nouveau Décret « Eau potable », porté par la Ministre de l’environnement Céline Tellier. Bonne nouvelle : pour certains aspects, la Wallonie a décidé d’aller plus loin que ce qui est imposé par l’Europe. Pourtant, les métabolites de pesticides, vrai point noir pour la qualité de nos eaux, restent les grands oubliés de ce nouveau décret. Explication.
Faciliter l’accès à l’eau pour tous les publics
Premier bon point, le décret veut améliorer l’accès à l’eau de la population, notamment en installant des fontaines et des toilettes dans l’espace publique. Touristes en visite, gourde vide un jour de canicule, personnes sans abri ou sans domicile fixe, l’amélioration de l’accès à l’eau dans l’espace publique pour tous est une vraie avancée sociale et environnementale que Canopea soutient avec enthousiasme. On en avait parlé dans une précédente Racine.
Meilleure information du public sur la qualité de l’eau de distribution
Autre très belle avancée : une meilleure information des consommateurs sur l’eau qui est distribuée. Les distributeurs d’eau devront envoyer aux clients des précisions sur la qualité de l’eau distribuée au moins une fois par an, via la facture de régulation. En réalité, cette avancée n’est pas spectaculaire puisque la majorité des producteurs d’eau donnent déjà accès à ces informations via leur site Web.
Mais ces informations seront dorénavant cartographiées sur WalOnMap, ce qui permettra de faire apparaitre des disparités pouvant exister entre certaines régions de Wallonie.
Par contre, cette obligation d’information ne couvrira que les paramètres que les distributeurs d’eau doivent obligatoirement analyser (une cinquantaine). Or, l’eau est extrêmement bien contrôlée via des analyses beaucoup plus complètes et fréquentes que le minimum imposé par la législation (notamment en matière de métabolites de pesticides). Canopea regrette que les résultats de ces analyses complètes, transmises par les producteurs à l’administration, ne soient pas disponibles au grand public (pour les obtenir, une demande doit être adressée à l’administration, et, si la réponse est négative, un recours peut être introduit à la Commission de Recours pour l’Accès à l’Information en matière Environnementale).
Autre aspect dont on peut se réjouir : sur cette facture de régulation figurera aussi la comparaison entre votre consommation d’eau et la consommation moyenne en Wallonie.
Surveillance accrue de certains paramètres
Troisième bon point : grâce à cette réforme, la liste des paramètres devant être obligatoirement analysés par les distributeurs d’eau est allongée : PFAS, bisphénol A, chlorites et chlorates1, uranium et microcystines rejoignent la liste des autres paramètres dont l’analyse était déjà obligatoire (Annexe XXXI du Code de l’eau). Une norme de concentration maximale leur est ainsi attribuée.
La Wallonie a choisi d’aller plus loin que l’Europe et a également ajouté les perchlorates, perturbateurs endocriniens, à cette liste.
Watch list pour les substances émergentes
Pour les substances dont l’étendue de la présence dans le réseau de distribution n’est pas connue, la Wallonie se dote d’une watch list ! Cette liste pourra être alimentée sur décision du Gouvernement wallon. Lorsque la présence d’une substance dans l’eau pose question, le gouvernement peut ainsi décider de l’inscrire sur sa watch list. C’est le cas notamment de l’amiante, qui a rejoint la Watch list suite au reportage du magasin Investigation, auquel Canopea a participé. Les producteurs et distributeurs d’eau seront alors tenus d’appliquer un protocole d’analyse spécifique pour cette substance, afin de mieux caractériser sa présence dans l’eau de distribution. A l’issue de cette période d’attention, deux options : soit la présence de la substance s’est avérée négligeable ou non dangereuse, et la substance est retirée de la Watch list et des protocoles d’analyses, soit les analyses ont révélé une présence importante et problématique, auquel cas une norme est associée à cette substance et elle rejoint la liste des paramètres devant être obligatoirement analysés par les producteurs d’eau.
Et les métabolites dans tout ca ?
Pourtant, malgré de belles avancées, le décret a manqué l’occasion de s’attaquer à la principale menace qui pèse actuellement sur la qualité de l’eau de distribution : les métabolites de pesticides qui restent les grands absents de cette réforme. L’Anses a publié en ce mois d’avril un rapport complet sur une campagne nationale d’analyses réalisées en France sur des échantillons d’eau du robinet, qui révèlent que sur 150 pesticides et métabolites recherchés, plus de la moitié (77) se retrouvent dans les eaux de distribution. C’est le cas notamment pour un métabolite du chlorothalonil, le R471811, qui est retrouvé en concentration au-delà des normes de potabilité dans 30% des échantillons français. Pourtant, en Wallonie, on persiste à faire l’autruche et à ne pas rechercher spécifiquement ces substances dans l’eau de distribution. Or, l’étude SEMTEP a montré que 4 métabolites de pesticides étaient retrouvés de manière très large dans l’eau souterraine (eau brute avant potabilisation) : les métabolites de la chloridazone, du chlorothalonil, du métolachlore et du métolachlore.
Pour le métabolite R471811, la France le considère comme pertinent en raison de doutes sur son caractère cancérigène, et lui attribue une norme de potabilité de 0.1 µg/l. En Wallonie, aucune norme de potabilité n’existe pour ce paramètre. Seule une valeur guide existe pour l’eau de distribution : 10 µg/l… soit 100 fois la norme française.
L’étude SEMTEP a ainsi conclu à la nécessité d’ « Imposer l’analyse du desphenyl- et du methydesphenyl chloridazon, du chlorothalonil SA, du metazachlore ESA et du metolachlore ESA aux producteurs d’eau potable afin d’obtenir un inventaire complet de l’état des captages d’eau souterraine ». Cette définition nous semble être la définition même de « mettre une substance sur la watch list ». Canopea regrette que le Gouvernement n’ait pas choisi de mettre dès à présent ces éléments sur la watch list, afin de rendre compte de leur présence dans l’eau de distribution, et de pouvoir éventuellement leur imposer une norme de potabilité plus stricte que cette valeur de 10 µg/l.
Pour plus d’infos sur la présence de métabolites de pesticides dans les eaux wallonnes, consultez le dossier de canopea !
Quel impact sur le prix de l’eau ?
Un élément de réponse à la frilosité du gouvernement à s’attaquer à cette problématique des pesticides est sans doute que la pollution est tellement étendue, et les techniques de repotabilisation tellement coûteuses (filtration par osmose inverse), que leur mise en place aurait pour conséquence une augmentation importante du prix de l’eau. En effet, l’eau est soumise au coût vérité : si le coût de sa production augmente parce qu’on doit mettre en place des techniques onéreuses pour la rendre potable face à ces contaminations de pesticides et métabolites, cette augmentation doit être répercutée sur le prix de l’eau payée par le consommateur.
Dommage… Il faudrait inventer un principe, qui s’appellerait par exemple le « principe du pollueur-payeur », qui voudrait que ce soient les firmes phytopharmaceutiques, qui ont mis ces produits sur le marché, qui doivent couvrir les investissements nécessaires à la repotabilisation de l’eau.
Que dites-vous ? Ca existe déjà ? Qu’est-ce qu’on attend alors ?
Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !
- Les chlorites et chlorates sont des sous-produits de traitement de l’eau par chloration. L’eau du réseau de distribution est chlorée afin d’éviter le développement de bactéries dans le circuit de distribution. Une exposition chronique à ces substances (ce qui est typiquement le cas de l’eau du robinet) peut avoir des conséquences sur la capacité du métabolite à absorber l’iode et mener à des carences en cet élément.