Ce dimanche 21 mai, veille de la Journée Internationale de la Biodiversité, nous avons participé à une manifestation à Bruxelles pour demander la reconnaissance de l’écocide. Une pétition a également été lancée par Greenpeace, et un manifeste a été signé par 50 associations. Mais qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
Actuellement, les infractions environnementales sont principalement sanctionnées par des amendes. Celles-ci visent la compensation des impacts et/ou la remise en état des sites touchés, selon le principe du « pollueur-payeur ». Or, dans certains cas, la remise en état n’est pas possible à l’échelle d’une vie humaine et les impacts sont si catastrophiques qu’ils ne peuvent pas être compensés.
Prenons l’exemple de la destruction d’une forêt primaire. Celle-ci mettra des centaines, voire des milliers d’années à se régénérer et la plantation d’arbres ne permettra pas de compenser la perte de la biodiversité liée à cet écosystème particulier, ni de restaurer l’ensemble des services écosystémiques qui y étaient associés.
Les pollutions massives sont un autre type de catastrophe écologique. Le cas du delta du Niger en est un exemple emblématique. Les sols et les eaux y ont été contaminés par près de 18 millions de litres de pétrole brut, dans cette région qui figure parmi les plus polluées au monde. Il n’y a plus d’animaux, la mangrove est devenue un désert biologique. Les habitants locaux qui vivaient auparavant de la pêche sont plongés dans la pauvreté et la famine, mais surtout, la pollution impacte directement leur santé, provoquant de nombreux cancers et réduisant leur espérance de vie à seulement 40 ans.
Tout l’argent du monde ne pourra jamais compenser les nombreuses vies humaines et animales perdues ! Et pourtant, actuellement les entreprises les plus riches peuvent se contenter de payer des amendes tout en continuant à polluer et à détruire massivement l’environnement, simplement parce qu’elles en ont les moyens. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des sanctions réellement dissuasives, pouvant aller jusqu’à des peines d’emprisonnement pour les coupables d’écocide.
Définition de l’écocide
La définition proposée par la Fondation Stop Ecocide, sur base du travail d’un groupe d’experts indépendants, est la suivante : « Actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ».
Au niveau belge
Dans sa Déclaration de politique fédérale, le gouvernement belge s’est engagé à prendre des mesures pour mettre fin aux crimes d’écocide. En décembre 2020, lors d’une assemblée de la Cour Pénale Internationale, Sophie Wilmès (MR) a plaidé pour que les Etats membres s’intéressent au nouveau crime international d’écocide, faisant de la Belgique le premier pays européen, avec la Finlande, à soutenir officiellement la proposition portée par des petits états insulaires (Vanuatu et les Maldives).
A l’initiative de Samuel Cogolati (Ecolo), le Parlement a déposé une proposition de loi visant à introduire le crime d’écocide dans le Code pénal belge. A quelques nuances près, la définition proposée par le Parlement est proche de celle proposée par la Fondation Stop Ecocide : « Actes illégaux ou résultant d’un défaut grave de prévoyance ou de précaution commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables. »
Mais le gouvernement a proposé une autre définition plus restrictive : « Sera qualifiée de crime d’écocide toute infraction consistant à commettre délibérément un fait illégal causant des dommages graves, étendus et à long terme à l’environnement en sachant que ces actes causent de tels dommages ». On observe deux différences importantes par rapport à la définition du Parlement : les dommages doivent être à la fois étendus ET à long terme, et doivent être commis délibérément. Ce critère est problématique car dans de nombreux cas, l’écocide n’est pas le résultat d’un acte délibéré mais bien d’un défaut grave de prévoyance ou de précaution ; c’est le cas, par exemple, des grandes marées noires. De plus, en pratique il est très compliqué, voire impossible, de prouver que des dommages ont été commis délibérément. Une telle définition rendrait donc la loi inapplicable.
Au niveau international
Le 29 mars 2023, le Parlement européen a proposé d’inscrire l’écocide dans le droit européen, avec la définition suivante : « Tout comportement causant des dommages graves et étendus, à long terme ou irréversibles ». Cette proposition doit encore être débattue en trilogues.
Il s’agit véritablement d’un enjeu mondial, car la reconnaissance de l’écocide par l’ensemble des pays européens pourrait faire pencher la balance pour que l’écocide devienne le cinquième crime reconnu par la Cour Pénale Internationale, aux côtés du crime contre l’humanité, du génocide, du crime de guerre et du crime d’agression.
Les entreprises doivent-elles s’inquiéter ?
La majorité des entreprises n’auront jamais à s’inquiéter de la reconnaissance de l’écocide puisqu’elles respectent la législation environnementale en vigueur. Au contraire, elles bénéficieront de davantage d’équité puisqu’elles ne subiront plus la concurrence déloyale de quelques « mauvaises élèves » qui se comportent comme si elles étaient au-dessus des lois. Ces dernières sont minoritaires en nombre mais causent des dégâts disproportionnés.
Encourager la transition
Si le crime d’écocide est inscrit dans le code pénal, les entreprises les plus destructrices seront contraintes de changer leurs pratiques. Par exemple, les entreprises pétrolières responsables de pollutions massives devront soit investir dans le renforcement de la sécurité de leurs infrastructures, soit abandonner ces infrastructures et réorienter leurs investissements vers d’autres secteurs plus durables tels que les énergies renouvelables. Au vu du contexte environnemental, la deuxième option serait probablement la plus rentable à long terme.
La biodiversité sur le devant de la scène
En nous mobilisant pour la reconnaissance de l’écocide, notre objectif est aussi de porter la crise de la biodiversité dans le débat public. En effet, l’effondrement de la biodiversité est encore très peu médiatisé (huit fois moins que le climat) alors que l’urgence est là ! Les espèces disparaissent à un rythme alarmant ; on parle de sixième extinction de masse et pour la première fois, une espèce (l’humain) en est responsable. La perte de biodiversité fait partie des limites planétaires qui sont déjà dépassées ; ça signifie que nous courons un risque élevé d’effondrement de nos sociétés si nous n’agissons pas immédiatement pour réduire le taux d’extinction.
Si la crise de la biodiversité est moins médiatisée que celle du climat, c’est peut-être parce que ses conséquences sont plus difficiles à évaluer. Elles n’en sont pas moins potentiellement dramatiques, car nous dépendons de la nature qui nous fournit toute une série de services écosystémiques : services d’approvisionnement (alimentation, eau, matériaux, produits pharmaceutiques, énergie,…), services de régulation (épuration de l’air et de l’eau, lutte contre l’érosion, régulation du cycle de l’eau, pollinisation,…) et services culturels (loisirs, éducation, spiritualité,…).
Pour le climat, nous disposons maintenant de modèles précis qui nous donnent une vision claire de ce à quoi ressemblerait un monde à +2°C, +3°C ou +4°C. Pour la biodiversité, c’est plus compliqué car les interactions entre espèces sont complexes ; la disparition d’une espèce peut avoir des conséquences sur de nombreuses autres espèces, et il est difficile de déterminer précisément quelle sera la « disparition de trop » qui mettra à mal le fonctionnement des écosystèmes et les services associés.
Bien sûr, climat et biodiversité sont étroitement liés. En effet, la biodiversité joue un rôle tampon face aux événements climatiques extrêmes. Elle contribue à la régulation du cycle de l’eau et atténue les îlots de chaleur en période de canicule. C’est en quelque sorte notre assurance vie face au dérèglement climatique ! Sans nature, pas de futur !
Or, la biodiversité est elle-même menacée par le dérèglement climatique. Les espèces sont capables de s’y adapter mais à condition de pouvoir se déplacer librement et de disposer de populations suffisantes et en bonne santé génétique. Pour de nombreuses espèces, ces conditions ne sont malheureusement pas remplies, car la destruction des habitats naturels provoque une fragmentation des paysages qui entrave le déplacement des espèces sauvages. La destruction des écosystèmes est d’ailleurs la principale cause d’extinction de la biodiversité, suivie par la surexploitation des ressources naturelles.
Les prémices d’un changement culturel
La reconnaissance de l’écocide revêt également un caractère symbolique et pourrait être un premier pas vers la reconnaissance des droits de la nature, qui permettrait d’initier un véritable changement culturel pour une cohabitation plus harmonieuse entre toutes les formes de vie. On évoluerait d’une société anthropocentrique vers une société biocentrique, reconnaissant le droit à la vie pour tous les êtres vivants, qu’ils soient humains, animaux ou végétaux. Vu notre interdépendance avec l’ensemble du monde vivant, ce changement de paradigme est nécessaire pour notre survie sur cette planète.
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